Vignes et vendanges à Canteret

Souvenirs familiaux de la famille Bret.

La vigne de Canteret 

Jean Bret tenait cette vigne de l’héritage de sa mère Hélène qui l’avait reçu de son père Abel Janicot, plusieurs parcelles d’un seul tenant, de plus de 2 hectares, à partager avec son cousin Henri Robert. Cette vigne était située juste au-dessus du lavoir et du moulin de Canteret ; elle avait été léguée aux Janicot par M. Ginouilhac, mort sans enfants, en remerciements des services de toute une vie de la famille Janicot au château Muratel. Abel Janicot, avec son cheval, l’avait toujours entretenue depuis qu’il travaillait à Muratel, où il avait fini comme régisseur.

Quand il en a hérité en 1918, il a poursuivi l’exploitation jusqu’à sa mort en 1942. Le cheval qui avait son écurie au fond de la propriété de la rue de la République dans ce qui deviendrait plus tard la maison des parents de Jacqueline Robert, puis de Jacques, dit Caco, a dû disparaître en même temps que son patron. Ce furent Joseph et Jean qui n’étaient peut-être pas trop préparés à entretenir une pareille surface qui s’y collèrent et prirent le relais d’Abel quand il ne fut plus capable physiquement d’assurer l’exerce. Ils firent appel à un laboureur qui faisait les « façons », c’est-à-dire qu’il passait avec son cheval dans les rangs de vigne pour chausser et déchausser les pieds de vigne. Je ne sais pas quels étaient les prix.

Toujours est-il qu’il fallait ensuite « décavaillonner », cela consistait en un travail physiquement ingrat ; il fallait avec un outil spécifique dont la forme évoquait une raclette, tirer la terre entre les pieds de vigne, la partie que la charrue n’avait pu atteindre et la remettre dans l’intervalle entre les rangs de vigne. Quand les pieds étaient bien plantés de façon rectiligne, l’épaisseur du trait de terre n’était pas bien grande, entre 5 et 10 centimètres, mais quand c’était le cas des vieux ceps tortueux, le trait de terre pouvait atteindre 15 à 20 centimètres, l’effort physique était bien plus conséquent. D’autre part, c’était une terre argileuse, favorable à la vigne, mais capricieuse ; trop mouillée, elle était lourde et collante à l’outil qu’il fallait nettoyer régulièrement ainsi qu’aux sabots, trop sèche elle était dure et il fallait cogner fort pour la casser. C’était le même problème d’ailleurs pour les labours, il fallait trouver le bon créneau météo, quelque temps après la pluie.

On a du mal à imaginer les milliers d’heure de travail d’Abel, de Joseph, de Jean pour tenir cette vigne. Avec mon frère Roger, durant nos vacances, nous avons eu souvent l’occasion de faire les « cavaillons », dure corvée s’il en est, mais nous étions adolescents, et nous avons aimé ce travail qui n’était que ponctuel pour nous. La vigne qui poussait toute seule, c’est vrai, demandait d’autres entretiens. Il fallait la sulfater et la soufrer pour éviter les maladies et cela demandait beaucoup de temps ; parcourir tous les rangs de vigne avec une sulfateuse sur le dos et viser tous les pieds. On devait amener les récipients dans les bessaniers avec une charrette et venir recharger les sulfateuses régulièrement. Cette vigne était la première du Médoc, car elle commençait à 50 mètres à peine de la Jalle ; elle était en forme de croupe, ce qui est excellent pour l’ensoleillement, mais la pente quand il fallait la remonter était redoutable. Si on imagine le pire, c’était quand l’argile collait aux sabots, la chaussure standard de l’époque, et qu’ils pesaient lourd.

Ceci dit, le paysage était magnifique, le coteau dominait la vallée de la Jalle, on apercevait assez proche le « Vieux château », par-dessus le lavoir et sur la droite le moulin de Canteret ; plus loin les massifs forestiers de Majolan, le château de Dulamon en haut du coteau et tout autour des terres, des près et des vignes. La propriété était agrémentée de gros pommiers qui produisaient bon an mal an d’excellentes pommes, très fermes, qui se gardaient les années de bonne production, jusqu’au printemps suivant.

Parmi les autres travaux, la vigne demandait à être liée quand les pousses devenaient de petites branches, c’était grand-mère Hélène qui assurait ce rôle, qu’elle avait dû accomplir toute sa vie. Elle portait un chapeau noir derrière lequel elle ajoutait un mouchoir pour protéger sa nuque des coups de soleil, elle enroulait les liens, des joncs, autour de sa ceinture, et attachait les branches les unes après les autres. On allait chercher ces joncs dans les marais, ils séchaient et ensuite servaient de liens, c’était moins cher que d’en acheter. On se servait aussi de vîmes, qui poussaient en bord de fossés, on les coupait assez tendres et on les préparait à l’avance pour servir de liens.

Hélène passait des jours dans la vigne, elle partait tôt le matin et était très vaillante.

Un autre de ses rôles était d’effeuiller la vigne ; quinze jours environ avant les vendanges, elle passait dans les rangs et arrachait les feuilles de vigne qui empêchaient le soleil d’atteindre directement les grappes. Ce travail n’était pas le plus dur, encore qu’il fallait se casser en deux à chaque pied, mais il était fastidieux.

Je me souviens encore de sa ténacité quand elle avait décidé d’arracher le chiendent dans la vigne, elle creusait profond pour y arriver ; ça, c’était une corvée supplémentaire qu’elle s’imposait, mais elle y était heureuse. Elle passait de longues heures d’un travail minutieux à arracher, année après année, le chiendent dans la vigne en creusant assez profond, au moins 20 cm, avec un outil, rang après rang sur plus d’un hectare ; c’était un travail de forçat qu’elle accomplissait sans se plaindre. Quelle obstination, on ne le ferait plus aujourd’hui. Elle aidait aussi les jours de cerclage des roues, vaillante et solide, à porter les cercles chauffés à blanc jusqu’à la roue.

Le-roi-de-CanteretLe Roi de Canteret, Jean Bret, on aperçoit à gauche la ferme du vieux-château et on devine la dépression de la Jalle derrière la vigne.

Les vendanges 

C’était une véritable institution dans tout le Médoc avec des rites différents pour les récoltes dans les châteaux et grandes propriétés avec des troupes de vendangeurs et les petites exploitations familiales très nombreuses. Nous faisions partie de celles-là, encore qu’un hectare et quelques n’était pas négligeable en termes de travail d’entretien.

L’institution des vendanges doit se perdre dans la nuit des temps, c’est l’aboutissement d’une année de culture, de travail, de soucis, d’incertitude liée au temps et au climat, bref c’est la fin d’un cycle et c’est l’occasion d’une fête comme pour les moissons. À noter la bonne production de 1953 ; tous les ans, c’était l’incertitude ; certaines années une petite production. Les bonnes années, une partie du vin était conservée pour en faire du vin vieux qui était alors mis en bouteilles et bouchonné. Quand on pense qu’aujourd’hui tous les producteurs de vin ont leur œnologue attitré et que le vin est fabriqué scientifiquement, on ne peut qu’être admiratif devant ceux qui produisaient leur vin, en supplément de leur métier, et qui tâtonnaient un peu. Papa demandait parfois conseil à l’école d’agriculture dont il connaissait les chefs de culture par son travail.

Les troupes de vendangeurs des petites exploitations comportaient quelques dizaines de personnes, famille, cousins, proches et voisins. On faisait appel aux bonnes volontés qui ne refusaient pas ce temps convivial d’efforts physiques et d’amusement, de vie sociale intense et de retrouvailles. Selon la récolte estimée, pour Canteret, on était entre 10 et 30 personnes, et les vendanges pouvaient durer d’un samedi et un dimanche matin dans les plus courts délais jusqu’à 2 à 3 jours pour les grandes années.

Jusqu’en 1952, les repas de vendanges avaient lieu chez les grands-parents, avenue du général de Gaulle, dans l’atelier au fond. Le chai était situé entre la petite cuisine et le hangar. La récolte était légère, alimentée par les vignes de Sables et de la plante, à côté du jardin de la cabane. Ce n’est qu’à partir du déménagement en 1953 au bourg que le chai du bourg recevait toute la vendange, surtout celle de Canteret.

On dressait la fameuse table des vendanges qui mesurait 5 ou 6 mètres de long (faite de longues planches de bois) et qui reposait sur des tréteaux, on s’asseyait sur des bancs de bois. Bien sûr, l’atelier était débarrassé en son centre, on arrosait le sol pour éviter la poussière de son qui imprégnait l’ensemble, les toiles d’araignée au plafond étaient respectées. L’ambiance était joyeuse en particulier les bonnes années de récolte, la cuisine était préparée par plusieurs femmes autour de grand-mère Hélène qui se faisait aider en particulier par Mimi Capitaine. Il fallait porter les plats depuis la petite cuisine au bout de la maison. On buvait bien, quelques chants et dans mon souvenir d’enfant des histoires grivoises en fin de soirée où mon père n’était pas le dernier à se défouler, mais c’était bon enfant. Au bourg, ce fut différent, mais les tablées ont été animées elles aussi et plus jeunes ; les René Marque, Riri et Pierrot Delhomme, Henri Robert et son copain Jacky Crassat ont été peu à peu remplacés par notre génération et nos copains.

Les dernières vendanges ont eu lieu en 1969.

Texte d’Henri Bret.

Vendanges à Tanaïs en 1938 et 1939 puis en 1950

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