Les bambous de « La Landille »

Loin d’un conte de Fées, une amitié s’est créée.

Je ne sais pas ce que je vais écrire ? Par contre, je me pose une question : comment d’un quartier ancien d’une commune, grâce à la compréhension des habitants – informés -, peut-on faire le tour du village, de la ville et tendre des liens d’amitiés, de paix, dans le monde ?

Les faits : lundi 18 février, Jean-Jacques, un copain, nous rend visite, nous demandant la possibilité de dons de bambous (quelques unités) en faveur d’une section de l’École de musique de Blanquefort. La demande est applicable durant cette période de vacances scolaires, dans des ateliers de travail, avec l’objectif d’une animation de fabrication d’instruments de musique, mode chilienne. Françoise et moi ne pouvions, qu’avec grand plaisir, accepter cette demande formulée.

En effet, dès ce triste jour du 11 septembre 1973, nous avons été solidaires du peuple chilien martyrisé et exilé. Après un printemps politique éclot le 4 septembre 1970 par la victoire aux élections présidentielles d’Allende, grâce à la prise de conscience politique et la participation active de tout un peuple, les libertés, la démocratie, furent instaurées. Mais, par un coup d’État de l’armée, le bombardement du palais présidentiel, le « suicide » d’Allende, dès le 11 septembre 1973, suivit le triste hiver de la dictature du régime mise en place par le général Pinochet et qui dura de très longues années.

Mardi 19 février, le professeur de l’École de Musique de Blanquefort, Chilien, habitant Blanquefort depuis 1980, accompagné de Jean-Jacques et d’un musicien, Mauricio, venant du Chili, de la région du Taradaca, enseignant musical à la ville d’Iquique, faisant une tournée éducative en Europe, celle-ci débutant en France, viennent visiter « les possibilités existantes dans nos bambous… » Dès leur arrivée, ils sont surpris par la densité de la surface occupée par les bambous, leur hauteur (certains mesurant plus de 20 mètres), d'une circonférence de 12 centimètres en moyenne, certains moins, certains davantage, avec du feuillage et des tiges toutes droites ; chez moi, le nombre de bambou est moindre, du fait que, mensuellement, j'arrache les racines.

Ce lieu, que j'appelle « ma cathédrale », conserve la fraîcheur l'été et l'hiver ; c'est une zone plus tempérée. C'est à cet endroit que j'écris, je lis, je regarde la nature et les nombreux oiseaux : palombes, tourterelles, merles, grives, moineaux, rouges-gorges, mésanges, pinsons, quelquefois mais de plus en plus rarement, des chardonnerets, etc. En fin de journée, quel plaisir d'écouter tous ces chants d'oiseaux qui ont des nids dans les haies et dans les arbres. Venus de Fongravey, sautant d'arbre en arbre, deux écureuils viennent se choisir, des noix pour le repas. Dans le ruisseau bordant l'ensemble des terrains, ruisseau venant des « sables », allant vers les marais après son passage sous l'avenue du 11 Novembre et s'écoulant dans le quartier des « Michels », la zone industrielle, les Jalles, puis se versant dans la Garonne, il arrive de voir des rats jouant entre eux. La nuit, bambous et acacias logent un hibou et des chouettes, séparées l'une de l'autre d'une certaine distance mais qui se causent entre elles par hululement. Quelle chance avons-nous d'habiter dans un tel endroit !

Nos amis me posent la question sur la provenance de ces bambous car… « ils ont des particularités ». Je l'ignore. Tout ce que je sais (dictionnaire « le grand Larousse -édition 2019) : » le bambou est une plante des régions tropicales et subtropicales, à tige cylindrique, creuse et ligneuse, aux nœuds proéminents, à croissance très rapide et qui peut atteindre 40 mètres de hauteur. Les bambous sont comestibles (pousses de bambous). Le bambou est cultivé comme une plante d'ornement et sert à l'ameublement et à la construction légère. »

Personnellement je ne connaissais l'utilisation du bambou que comme tuteur aux plants de tomates mais aussi pour les pêcheurs (à la « Régie Municipale du Gaz de Bordeaux », au cours des années 1950 à 1960, nombreux chauffeurs de four -fabrication du gaz à partir du coke-, prenaient leurs congés au printemps, lors de la pêche, en particulier de l’alose. À cette époque, la Garonne était très poissonneuse ; tel n'est plus le cas maintenant, du fait de la pollution. Donc, pour la pêche, les pêcheurs avaient besoin de bambou solides et de forte taille pour accrocher les filets. Ainsi venaient-ils « à la maison » pour leur grande satisfaction.

Au cours des ans, j'ai découvert un jeune gars, venu demander des bambous de taille moyenne, afin de se fabriquer des meubles pour sa chambre. Un jour, il m’a rendu visite pour me dire son succès au C.A.P. de menuisier, mais aussi pour montrer des photos de sa réalisation de meubles de chambre. Comme il est dit dans les métiers, « cela avait de la gueule ». Le jeune était tout content de mon compliment sincère. Une autrefois, un autre jeune désirait des bambous afin de tresser des lianes servant ensuite à la fabrication de paniers ou de sacs à main …

Une autre fois encore, un jeune homme m'a demandé un certain nombre de gros bambous. N'en ayant pas suffisamment, il avait été, avec autorisation, en prendre chez les voisins ; son objectif était de se fabriquer un radeau. A-t-il réussi ? Pour quelle traversée ?

Je ne parle pas des bambous coupés dans le village ayant servi de décorations pour les fêtes familiales : communions, baptêmes, mariages ; mais aussi lors des fêtes locales des quartiers de Blanquefort (la communale) : place de l'Église, la fête locale de Galochet comme encore la fête locale de Caychac et faisant suite, deux mois après, la fête des vendanges avec le char des vendanges, portant le roi et la reine des vendanges, entouré de l'orchestre, animant les bals des samedis et dimanches. Ce char ne venait pas à Blanquefort, il restait dans ses limites de Caychac.

Voilà, à ma connaissance, tous les services rendus par ces bambous. Dans un reportage TV, j'ai découvert qu'en Chine (mais pas seulement), les tiges de bambou servent à fabriquer des échafaudages dans le BTP ; mais aussi, dans maints endroits isolés, le bambou sert à la construction de ponts facilitant, pour les populations, une libre circulation entre diverses localités, grâce à la réduction des parcours. Le bambou est aussi utilisé en Asie ; en Inde, il sert à construire des habitations.

Ce que je peux dire du bambou, c'est sa prolifération. Plusieurs fois, au cours de l'année, je dois arracher les pousses et les racines. Les racines, d’ailleurs, ne sont pas profondes (30 centimètres maximum), mais elles sont aussi grosses que l'arbre que l'on voit et de plus, elles se dirigent dans plusieurs directions. De toutes ces racines de tailles très différentes, poussent des petites, le tout formant un épais tapis. Personnellement, je dois dire que pour effectuer ce travail, il me faut du temps et plusieurs jours. De plus en plus, les bambous sont solidaires car les racines sont attenantes les unes aux autres, bien soudées.

Le bambou est un « légume », bien cuisiné, la cuisine asiatique est excellente ; utilisé coupé en fines lames, il est comestible en soupe en salade etc… Une anecdote. À la suite du décès de ma mère, début 1992, la maison est restée inoccupée de longs mois. Durant ce temps, les bambous poussaient mais, curieusement, le terrain restait propre. Interrogeant mes voisins, on m’a raconté : à Blanquefort, sont arrivées des familles asiatiques. Voyant les bambous, ne sachant à qui s'adresser, elles ont fini par oser les cueillir ; elles ont eu raison, et je regrette de ne pas l'avoir su à ce moment-là car j'aurais donné mon accord afin qu'elles poursuivent leur « cueillette ». Oui, en effet, à un moment donné, ces familles n'ont plus osé. Hommes, femmes, enfants sautaient le fossé et cueillaient les pousses pour les manger comme nous le faisons pour les cèpes et les champignons.

Si les Chinois aiment les bambous, depuis quelques années, ils adorent les bananes. Ils en sont producteurs mais la population atteignant 1 milliard 400 millions de personnes, la production est insuffisante ; ainsi, un gros commerce de bananes s'établit et la concurrence commerciale, sur le plan mondial, fit rage.

Mais un autre problème apparut : l’ours divin des Chinois, le Panda, respecté depuis des siècles et très gourmand de la pousse de bambous. Actuellement, afin de faire face à la demande de ces gros nounours, les chercheurs sont en quête d’une alimentation de remplacement afin d'éviter le manque à gagner… Nous n'allons pourtant pas pouvoir cultiver et vendre, sous appellation contrôlée … nos bambous de la Landille… Le bambou a une qualité supplémentaire. Il est protecteur.

Souvenez-vous de cette fable de Monsieur Jean de La Fontaine : Le Chêne et le Roseau. Cette fable indique que si le chêne est fort, quelle résistance a-t-il ? Par fort vent, il tombe, il se déracine. Le roseau, le bambou, de la même famille, par leur nombre, les bambous se serrent les uns contre les autres, se balancent, s'agitent, se courbent, se redressent à l'image des vagues de l'océan par mauvais temps. La tempête passée, le roseau est droit, debout ; le chêne 4 meilleur souvenir de ce mauvais temps pour nous, en particulier aquitains, fut la grosse tempête de fin décembre 1999 : à Fongravey, nombreux étaient les arbres couchés au sol et de l'autre côté de la rue… ; par contre, tous les bambous étaient droits, quoique ayant perdu des feuilles. Avec nos amis chiliens, je découvre que le bambou a une autre qualité : sa transformation en instruments de musique. Mais voilà, nos amis chiliens ont leur passé, leur histoire, leur culture et leurs traditions ; vivant en collectivité, appliquant la démocratie, l'échange, la solidarité, vénérant la nature, possesseur des idées des Anciens, des chants, des danses, de la musique et des cérémonies du souvenir porteuses des pensées envers les morts, transmission de tous ces savoirs aux jeunes générations, en particulier la construction d'instruments musicaux tels que les flûtes de pan, les quenas etc…

Tous ces actes sont efficaces pour tout un peuple : conserver démocratiquement sa culture ancestrale. Sans le savoir, modestement, dans nos bambous de « la Landille », nous apportons notre pierre dans le domaine de l'Éducation, de la Fraternité, de la Paix. Ici et ailleurs. C'est ainsi que Mauricio, mandaté par ses congénères, fut le porteur de ces savoirs historiques. Suivant les traditions locales de cette région dont les sommets atteignent 5 180 mètres, région de grand froid et, en été, de chaleur, il a établi le contact direct et respectueux avec la nature en saluant nos bambous. Entrant dans le carré de la bambouseraie, Mauricio, après s'être incliné, et déposé au bas du jardin, près des bambous. Trois feuilles séchées de coca, cueillies dans son village à 3 700 mètres d'altitude. Elles se sont bien posées signifiant, à ses dires, … que la nature de notre espace (l'espace correspond à notre terrain et à celui de ma cousine) a accepté la cérémonie qui devait avoir lieu. L’heure tournant, nous quittons les lieux avant l'arrivée des moustiques car ceux-ci aiment bien les feuilles protectrices des bambous dès que le soleil commence à baisser à l’horizon.

André Sourbé « Les bambous de la Landille », octobre 2019.

Bulletin du G.A.H.BLE d’octobre 2020.