Souvenirs des années 1939-1945

Témoignage de Mme Hélène Dupuy, propriétaire du domaine de l'Hermitage, petite-fille de Pierre Dugravier, notaire à Blanquefort.   

« En 1939, j’avais passé le bac. Avec des cousines et des garçons, des amis de Bordeaux, on jouait au tennis derrière la maison, les cloches ont sonné, les garçons ont posé les raquettes et ont dit : il faut qu’on rentre vite à Bordeaux. Ils y sont partis à pied. Ils savaient qu’ils étaient mobilisés et qu’ils devaient le plus vite possible se rendre à leur lieu de ralliement… On pensait alors que la guerre serait courte. Un de mes oncles de Bordeaux est parti à la guerre. Je ne savais pas trop les événements, on écoutait la radio de Vichy… Mes parents sont venus habiter ici en 1940 quand Bordeaux a été bombardé et ils y sont restés. J’ai été voir les dégâts des bombardements de la rue Raze. Pas de souvenirs de journaux ou d’informations, les gens étaient isolés, bien sûr il y avait la messe le dimanche, mais quelle information circulait, je ne sais pas….

Je me souviens du manque de nourriture, de Marie la marchande qui tenait un banc sur la place de l’église, mais ça c’était peut-être après la guerre. J’allais à Parempuyre en vélo chercher des œufs chez un fermier ou des pommes de terre, j’étais allée les aider une fois à les ramasser durant toute une journée. Mon oncle avait acheté une vache pour avoir du lait. Un jour, j’étais en retard pour aller prendre le tramway, je courais et je suis tombée place de l’église, à l’arrière d’un camion allemand qui passait, de jeunes soldats riaient de ma chute, j’avais été très vexée…. Je me souviens du départ des Allemands, j’avais laissé mon vélo à la ferme de Bos, aux Maisons rouges, où j’allais chercher du lait. Il m’avait dit de ne pas rentrer en vélo au bourg car les Allemands prenaient tous les vélos. Malheureusement, les Allemands, sans doute ceux du Déhez, sont venus chez lui, ont fouillé la grange et ont trouvé les vélos cachés, mon vélo est parti… La nuit de leur départ, on entendait les camions depuis chez nous dans la côte de Dulamon… Je n’ai que quelques souvenirs de la Libération, on disait : ça, c’est un comble, c’est Lavergne qui vient de devenir maire à Blanquefort (il était communiste), mais 2 ou 3 jours après, ce n’était plus Lavergne, c’était (Duvert)…

J’avais 20 ans, j’étais étudiante, j’étais souvent en fait à Bordeaux. A la Libération, un copain est arrivé avec un drapeau tricolore, il y avait beaucoup d’effervescence chez moi, en partie à cause de Lavergne…Je sais qu’il y a eu des femmes tondues à Blanquefort, mais guère plus.

Je n’ai pas de photos de cette période. Notre maison n’a pas été réquisitionnée, nous étions nombreux à l’habiter, mais à côté de chez nous chez Mme Rouillard il y a eu des réfugiés belges. Autre souvenir, celui du tramway qui nous amenait à Bordeaux, bondé, bruyant, plein de jeunes Allemands très gais, enthousiastes, ils étaient les vainqueurs. On était debout, c’était pénible, mais en fait on n’avait pas de contacts, pas de relation. C’étaient des étrangers, on s’écrasait, on faisait attention à ne pas se faire remarquer. J’ai vécu dans un milieu fermé, protégé, et de 16 à 20 ans au fond j’étais un peu étrangère à ce qui se passait… »