Petites Histoires du centre bourg
Après discussions à propos de M. Jean Joseph Baron, André Bret m’a livré quelques souvenirs personnels sur la vie au centre bourg. Je remercie « Dédé » et son épouse pour leur chaleureux accueil ainsi que son frère Roger qui s’est joint à nous en fin de rencontre. Roger a une mémoire sélective et de ce fait a des informations soit très précises et précieuses soit « rien » !
André Bret est né en face de la gendarmerie, à la forge et à côté de l’atelier de charron, atelier datant de son grand père. Son père fabriquait des plateaux pour camions, des charrettes, etc.
A côté de l’atelier, il y avait celui du charpentier Marcel Coutoula, puis celui du maréchal ferrant M. Matheau. M. Lascoutounas est arrivé plus tard.
Ces artisans avaient une organisation de lecture du journal Sud-ouest bien spéciale. A tour de rôle, le 1er l’achetait chez M. Gros le matin et le gardait jusqu’à 10 h. Puis, il le passait au second qui le conservait jusqu’à 13 h et enfin le dernier le gardait et il finissait dans la « cabane » au fond du jardin ! Et par roulement, ce cycle de lecture se poursuivait chaque jour.
Maison Bret Maison Coutoula
Tous les dimanches après la messe, mon père, Jean Bret, allait avec son vélo dans les marais apporter les factures aux paysans. Souvent, il revenait avec peu d’argent, car X avait perdu une vache, Y avait eu une mauvaise récolte. Bref, il travaillait beaucoup pour peu de chiffre d’affaires. De plus, il ne portait pas les factures dès la prestation, comme le grand père il les accumulait sur presqu’une année ! Mon père a cessé activité en 1966, et l’atelier, par une main criminelle, a disparu dans les flammes.
En 1955, nous avons déménagé pour vivre au 5 rue de la République. Dédé avait 10 ans et se souvient bien de l’animation du centre bourg. En face de la maison était installé la quincaillerie tenue par M. Ariola, puis M. Debacq. M Ariola habitait en face du garage Petit, rue Tastet-Girard. La quincaillerie a été aussi rue Tastet-Girard avant d’être transférée rue de la République. On trouvait de tout dans cette quincaillerie, j’y ai acheté un téléviseur ! M. Ariola était de bon conseil et très bon professionnel.
Rue Tastet-Girard 5 rue de la République
Notre habitation était mitoyenne de celle de nos cousins, la famille Robert. Nous avions hérité par la famille de notre grand-mère, famille Janicot, d’une vigne donnée par M. Balguerie pour bons services rendus et des habitations rue de la république. Nous habitions au sud et les Robert au nord.
Est de l'église
Rue de la République Maison Bret, façade sud
Notre terrain allait jusqu’au bord de la rue Déris. Notre chai était en face de la ferme Ornon et c’est chez eux que j’allais chercher le lait. Une anecdote : J’avais peur des chiens, je m’étais fait mordre une fois. Lorsque leur chien est venu me voir j’ai eu la frousse et « patatrac » les bidons de lait étaient au sol ! M. Ornon a arrêté la production de lait et l’élevage bovin dès que la norme européenne a exigé un système alu pour la circulation du lait et une salle nouvelle pour entreposer le lait, etc.
J’apprends ainsi que Mme Isabelle Beraud était une sœur du grand père forgeron ainsi que Madeleine Delhomme. Cette tante avait été observatrice et de bons conseils pour la traite des chèvres sises à côté du poulailler, chèvres quasi sauvages, « je ne savais pas qu’il fallait les traire régulièrement ! »
Les vignes étaient sur le haut Canteret, notre dernière vendange a eu lieu en 1961 et nous avons procédé à l’arrachage en 1962 avant la construction d’un lotissement.
Les dernières vendanges L’arrachage des derniers pieds et piquets de vigne
A côté de chez nous, il y avait la ferme Cousteau qui elle aussi touchait la rue Déris. Et un peu plus loin, dans les années 60, un club de jeunes a été mis en place sur un terrain municipal. Puis un jour, ce terrain fut vendu sans avis du conseil municipal, ça a fait du bruit !
8 Rue de la République
Dans la cour de la ferme de Marie Thérèse Baron au n°8 de la rue de la République, il y avait un puits. On y récupérait l’eau fraîche, on y plongeait le beurre, le lait et autres produits frais pour qu’ils se conservent. Ce puits privé était partagé avec les locataires de Marie Thérèse mais aussi les voisins proches. Il régnait une complicité et une grande solidarité entre tous.
Par le portillon à droite nous allions jusqu’aux prés de Lançon et arrivions chez M. Delhomme. Sur le côté, le parc de la mairie était clôturé d’un mur en pierre. Le parc s’arrêtait à la salle des fêtes, bâtie en tôle avec de grandes fenêtres. Cette salle des fêtes disparue aujourd’hui a aussi été utilisée pour les réunions d’associations.
Le mois de Marie (mai), j’étais enfant de chœur, j’avais une dérogation pour ne pas aller en classe, car nous faisions une procession dans le centre-ville. En attendant notre passage, Maman sortait une table devant la maison, y mettait une nappe et posait des fraises, fruits et autres gâteries.
En face de la petite rangée d’échoppes de Carpinet, il y avait un promontoire de moellons avec une statue de la vierge. Le rond-point l’a fait déplacer.
Nous avions un poulailler à côté de cette salle des fêtes, derrière la pharmacie Pain, en face des Cornu, et je me souviens d’y avoir vu des repousses de vigne. Tout ceci a été modifié avec la restructuration du centre-ville par M. Delhomme. A ce propos, nous n’étions pas très heureux de voir s’élever des immeubles et rompre notre tranquillité ! Mais reconnaissons que c’était visionnaire et après tout il n’y a rien à dire ; si, nous étions égoïstes !
De son côté, M. Ornon se rappelle qu’il n’y avait pratiquement pas de nom de rue au bourg, c’est sous le mandat de M. Duvert que les noms de rue ont été attribués, enfin rue, disons chemins de terre ! Nous nommions les lieux selon le domaine, ainsi nous allions à la Dimière (chez le docteur Castéra), ou à Galochet, ou au village comme Andrian et Solesse par exemple.
Au 19e siècle et début du 20e siècle, Blanquefort était partagé entre plusieurs propriétaires et les anciens travaillaient un pour M. Délisse, un autre pour la famille Piganeau, un autre pour M. Avril ou Castera. D’autres allaient à la ville comme journaliers.
La vie est ainsi faite, un propriétaire vend, un autre entreprend, puis un jour il fait faillite, on démembre sa propriété et voilà c’est reparti. Ce fut ainsi de Piganeau, puis de son successeur Louit. Piganeau était banquier, Louit industriel (chocolat et moutarde) barrière de Médoc.
Chateau Vauclair Chateau Cholet
On a arraché la vigne de M. Poissant, vers Saturne à cause du phylloxéra, il y avait plus de 7 ha. Cette vigne venait du partage de la propriété de Piganeau. Sur ce secteur, il a planté de la prairie qu’il a louée pour son élevage de vaches. Il y avait un chai et autres dépendances qui ont été déconstruits pour les écoles et d’autres constructions.
M. Poissant était un cadre de chez Peugeot (à Paris peut être) et avait acheté des terres qui descendaient vers la Jalle, plantées aussi en vignes, et aujourd’hui bâties (résidences la Pinède et Cimbats). Sa propriété Cholet est devenue aussi une résidence.
Le notaire M. Dugravier, grande famille alliée des Dupuy, avait son étude à Corbeil. Sa propriété descendait jusqu’à la Jalle, plantée en majeure partie en vignes.
Chartreuse Corbeil
En face de chez lui, était installé M. Balguerie, lui aussi propriétaire de vignes. Il était négociant.
Maison Balguerie (domaine Muratel, mairie actuelle)
Dans ce secteur il y avait beaucoup de petites propriétés et l’on vivait chichement avec son exploitation : 2 vaches, un cochon, de la volaille et un jardin ! Heureux parfois d’avoir un puits ; sinon avec une brouette et des seaux les habitants allaient chercher l’eau, parfois jusqu’à la Jalle quand les puis du quartier étaient à sec. L’électricité aussi est arrivée tard !
M. Lançon habitait vers la Grosse Cloche à Bordeaux et y faisait ses affaires. Il avait acheté le Clos et des biens autour qu’il a morcelés et revendus. C’est ainsi que le garage Dumora s’installa dans la grande rue où passait le tramway.
En face de chez moi c’était la famille Janicot.
Maison Bret (ancien chai) Maison Cousteau Rue Déris
M. Bernard Robert est né en 1950 au centre bourg. Je le remercie ainsi que son épouse pour le partage chaleureux de leur mémoire et documents personnels.
Maison Bret-Janicot Rue de la République
Son arrière-grand-père, Léon, tenait un commerce de bois et de foins dans la grande rue. Son dépôt et ses terres correspondent aujourd’hui aux 4 chemins derrière le Crédit mutuel. Le sol était en pavé de bois, pas de pierre pour éviter des étincelles (sabots des chevaux) et donc le feu ! Il avait 2 fils, Pierre et Abel, et 3 filles ; la première, Marguerite est restée célibataire et a vécu dans la maison rue de la République. La deuxième, Géneviève a épousé M. Destic, boulanger toujours rue de la République. Elle eut 3 filles, une a épousé M. Gravereau, l’autre M. Clémenceau et la dernière a vécu avec sa tante. La dernière fille de Léon, Germaine, est décédée à l’âge de 20 ans.
Pierre, le 1er fils, devint tonnelier et son atelier était derrière le hangar de l’activité « bois et charbon ». Il vivait rue Gambetta. Il a eu 1 fils et 1 petit fils ainsi qu’une fille Marguerite.
Maison Robert (au fond : Saint Michel) L’avion de Daniel Gravereau
Abel épousa une fille Janicot. C’était le grand père de mon bienveillant conteur. Je le remercie, ainsi que son épouse, pour le partage de leurs souvenirs personnels et de famille.
Atelier Robert
Ce grand père pendant l’entre 2 guerres a modifié l’activité en élargissant les produits proposés au charbon puis au fioul.
Famille Robert
Le père de Bernard, Henri, fils unique de Pierre, a épousé en 1948 Mlle Bonhomme, née en Charente et ouvrière agricole à Bruges. C’est une valse qui leur a tourné la tête, lors d’un bal à l’Ermitage au Bouscat. Elle épouse Henri Robert. Bernard a fait des études avec les grands de la ville à l’école privée de M. Juliot, qui était propriétaire de la maison « Andrian » rachetée ensuite par M. Rigaleau, aujourd’hui déconstruite.
Maison Andrian-Bel-Air Abel Robert et Louise Janicot
Henri fut ajusteur chez Worms et transporteur pendant la 2e guerre mondiale avant de reprendre le commerce de son père.
La vigne « Bret » à Canteret a été exploitée selon la mémoire de M. Robert jusqu’à la création de la résidence « Solesse » car depuis la vigne on apercevait les immeubles. La grange, c’est ainsi que nous nommions cette dépendance, avait le chai avec pressoir, cuves et outillage ainsi que l’abri pour les animaux. Cette grange est toujours dans la famille Bret, Marie Fleury l’a acquise et transformée en habitation. A côté de cette grange, la famille Berteau était propriétaire d’une petite construction et d’un pigeonnier.
Puis, toujours sur ce coteau, la propriété Laporte dont les constructions commencent depuis l’ancienne boulangerie, rue de la République, puis par le passage de l’ancienne poste et descend vers la rue Déris.
Maison Laporte
Mais revenons aux origines ! Donc, Robert Abel a créé son activité dans un bâtiment sis dans la grande avenue du Médoc (avenue du Général de Gaulle), mais son papa avait son activité de grains et semences dans le triangle de la rue Tastet-Girard, rue Carnot, avenue du Général de Gaulle. Le tram passait devant leur magasin. La boulangerie, à la belle époque, était accessible par la rue Tastet-Girard. Ces informations, je les tiens de M. et Mme Gravereau qui, aimablement, m’ont accueilli pour partager leurs recherches généalogiques, photos, documents familiaux et leur mémoire. Henri Robert est le grand-oncle de M. Daniel Gravereau (dénommé Daniel G. dans la suite du texte). Géneviève Robert qui a épousé un boulanger est la grand-mère de Daniel G.
Famille Robert
Avec son épouse, Jocelyne, Daniel G. m’a fait découvrir autrement le centre-ville.
Les façades me parlent à présent ! N’oublions pas qu’elles datent pour certaines du début du XIXe siècle ! Qu’en ces temps reculés les rues principales étaient Tastet-Girard et la République, que l’avenue Charles de Gaulle n’existait pas et qu’elle fut, avec l’arrivée du tramway, une révolution dans la vie locale ! On peut imaginer la vie de ce village avec leurs souvenirs et quelques cartes postales du tout début du XXe siècle.
cadastre 1905 carte 1850 tramway
Découvrons la rue Tastet-Girard, rue très animée car elle reliait le centre-ville à la route départementale qui filait vers le Médoc. Depuis l’église, il y avait à l’angle un boucher, puis en descendant un horloger, une épicerie, un médecin, un quincailler, une mercerie, un mécanicien, la gendarmerie et le boulanger et sur droite un cinéma (derrière le bar et la pharmacie).
Ancienne gendarmerie (avant 1912) rue Tastet-Girard
Depuis l’église en se déplaçant vers la rue du général de Gaulle, il y avait un horloger, une lisseuse, un mécanicien de cycle, une épicerie, un magasin de chaussure, un bourrelier, un dentiste, un commerce de vin, un tonnelier, un commerce de vêtements, et le grand cercle, un traducteur d’anglais…
L’avenue du Général de Gaulle a aussi attiré, surtout avec le passage du tram et la route du Médoc, des activités commerciales : un serrurier, un tonnelier, un mécanicien, et de ce fait la boulangerie a changé son côté d’accès ! Le tram allait jusqu’aux Nouvelles-Galeries à Bordeaux !
26 av général de Gaulle
M. Dumora, le mécanicien auto, installa son activité lorsque M. Lançon (ancien maire de la commune) céda ses biens. Le neveu du Docteur Castera, M. Cornu, créa une activité de radio TV dans la rue Tastet-Girard.
Le domaine de la tonnellerie comprenait certes l’atelier mais aussi des dépendances pour stocker les barriques fabriquées. C’est dans la cour que Pierre soufrait et brulait ses barriques avant de les entreposer. Il a construit ses dépendances proches de la maison de sa sœur Marguerite, qui avait aussi, dans l’alignement de sa construction, des terres et quelques dépendances.
Daniel G. vivait dans son enfance au cœur du bourg, et il se souvient bien de la petite Vierge derrière l’église et de son retrait pour dégradations. De même, il y avait aussi une Vierge sur le monticule de pierre dans la propriété Montigny et elle fut retirée par les propriétaires lors des modifications du quartier (route, déconstruction des petites maisons ou parc de la mairie).
Une carte du centre-ville a été établie par le couple avec la localisation des commerces en ce temps-là et complétée par Jean-François Laquièze ! Cette carte circule chez nos anciens de la commune pour vérifier, ajouter et contribuer à retrouver le centre Bourg, le centre du village, au début du XXe siècle. Elle sera consultable lors des permanences du CHB les 1er et 3e mardi de chaque mois, maison du patrimoine de la commune.
Je remercie Jocelyne et Daniel Gravereau pour leur active participation à cet article et pour leur chaleureux accueil et disponibilité, ainsi que les autres personnes que j’ai interrogées.
Texte et photographies sélectionnées par Pierre-Alain Leouffre.