La chronique de l’année 1790
Le dimanche 14 février 1790, à deux de relevés eut lieu l'élection des officiers municipaux de Blanquefort. Les habitants avaient été conviés à l'église huit jours à l'avance par publication « tant au prône que par affiches, aux lieux accoutumés, conformément aux lettres patentes du Roy données à Paris en décembre 1789 sur un décret de l'Assemblée Nationale pour la constitution des municipalités ».
Le sieur Coutoula, faisant fonction de juge, fit l'appel nominal de tous les citoyens actifs inscrits sur le rôle des impositions directes de la paroisse. « À raison de la rigueur de la saison et du délabrement où se trouve la susdite église, l'Assemblée desdits citoyens a jugé convenable de transporter ses séances dans la maison de M. Cholet, voisins dudit lieu. Le susdit sieur Coutoula a chargé M. Saincric, curé de la présente paroisse, d'annoncer l'objet de la dite assemblée et de l'inspecter jusqu'à qu'il y eut un président nommé à cet effet. »
Le 17 février 1790, 82 citoyens actifs furent assemblés pour procéder à l'élection d'un maire, de cinq officiers municipaux, d'un procureur et de douze notables.
Chacun jura de procéder « fidèlement et en conscience à l'élection des susdits officiers municipaux ». M. Saincric obtint 74 voix et fut élu maire.
On en resté là « à cause de l'heure tarde » et l'Assemblée s'ajourna « au dimanche 21 courant ».
Ce jour-là, toujours dans la maison de M. Cholet, furent élus comme officiers municipaux (sur 65 votants) : Jean Fillon (50 voix), Jean Bonnard (49 voix), Pierre Tartas (37 voix), Jean Bidon (35 voix), Pierre Laloubeyre (34 voix). Pierre Prévot avait réuni 35 voix, mais on fit observer qu'il ne payait point 10 livres d'imposition directe et que, par conséquent, il était non éligible.
Charles Couronneau fut élu procureur de la commune par 46 voix sur 78 votants. Furent élus notables : Bertrand Couronneau, Jean Saumos, François Dugail, Jean Métayer, Jean Hostins, Jean Jean, Pierre Bacquey, Louis Faux, Charles Filatreau, Antoine Hostins, Jean Martin dit « Pistolle », Antoine Tartas.
Cela fait, les élus prêtèrent publiquement le serment, cela devant le sieur Coutoula, doyen des procureurs de la juridiction de Blanquefort faisant fonction de juge.
Dès son installation, le premier Conseil municipal de Blanquefort se mit au travail avec ardeur.
À la demande du procureur Couronneau, il décida le 27 mars 1790 :
« Article I. - Les boulangers de Blanquefort ne feront suivant l'usage que de trois espèces de pain : du chouane, du pain co (sic) et du pain brun. Ces trois espèces de pain seront composées de farine de froment sans aucun mélange d'autre farine, excepté le cas de disette de farine de froment, et alors les dits boulangers ne pourront sous peine de 500 livres d'amende, faire mélange sans être préalablement autorisés par MM. les officiers municipaux qui, seuls, fixeront la nature et la quotité du dit mélange suivant les circonstances et à l'avantage du citoyen.
Le chouane sera fait en miches de deux et d'une livre.
Le pain co sera de douze et six livres.
Le pain brun sera du poids de seize et de huit livres, le tout bien conditionné et cuit.
Si le faux poids est constaté et que le déchet dépasse une livre, le pain sera saisi, confisqué et distribué aux pauvres de la commune. Le boulanger sera en outre condamné à une amende de cinq cents libres, sauf recours contre les garçons. »
Ce règlement ne resta pas sans utilité puisque, le 1er octobre 1790, Laloubeyre, faisant fonction de procureur de la commune, « déclare le sieur D... jeune, boulanger au bourg de Blanquefort, contrevenant aux règlements de police en ce qu'il a été trouvé dans sa boutique du pain de mauvaise qualité, mal cuit et n'ayant pas de poids ; en conséquence, le condamne à 50 livres d'amende, lui faisant très expresse inhibition et défense de récidiver sous menace de plus fortes peines ».
D'ailleurs, ne devenait pas boulanger qui voulait. Il fallait une autorisation du Conseil municipal. « Nous, Maire et Officiers municipaux, accordons à François Drat, natif de Brignemont en Gascogne, diocèse de Lombez, la permission de tenir boulangerie et de débiter le pain qu'il pourrait faire sur les qualités d'usage dans le village de Caychac. 8 décembre 1790. »
De même, « la Municipalité accorde au sieur Jean Viaud, natif de Saint-Laurent-du-Médoc, la permission de tuer et de débiter de la viande dans le village de Caychac et cela après examen de ses certificats et promesse par lui de se conformer à l'ordonnance de police ».
Martin Lacassagne, natif du diocèse d'Auch demande et obtient également la permission de tenir boulangerie à Caychac le 25 septembre 1791.
Les statuts concernant la boucherie sont longs, draconiens et minutieux. Il est spécifié que les viandes de première qualité sont « dans le bœuf : la cuisse, les filets et les premières entrecôtes ; dans le veau : la cuisse, la longe et les côtes fines.
Ne pourront, les dits bouchers, tuer ou faire tuer bœuf et veau, sans préalablement avoir averti l'officier municipal de police, le tout sous peine de 500 livres d'amende. »
Ce règlement, gênant son commerce, le sieur Forton, boucher, renonça à pratiquer et le 7 mars 1790 le procureur était porteur d'une déclaration « portant renonciation à la boucherie de Blanquefort, signée Forton, attendu l'impossibilité où il était de livrer la viande suivant la taxe imposée par ordonnance du 27 mars dernier ».
Cependant, Blanquefort gardait encore un boucher, mais les plaintes portées contre lui furent telles que le maire prit un arrêté en date du 13 juin 1790 « permettant désormais à tous les bouchers de s'établir sur l'étendue de la paroisse après toutefois s'être présentés au bureau de la Municipalité. »
Aussitôt élu, Taveau, major du régiment patriotique, demanda au maire « que les cabaretiers soient obligés de fermer leurs cabarets, sous peine d'amende arbitraire, le dimanche 9 mars, à 9 heures du matin, jour et heure où le régiment doit être passé en revue par M. le duc de Duras, généralissime des troupes patriotiques bordelaises ».
Quatre jours plus tard, la municipalité se transporta à la Landille pour recevoir le serment civique prêté par ledit régiment. « Ledit serment prononcé par tous et un chacun, à haute et intelligible voix ; de là, MM. les officiers municipaux, placés dans le centre du régiment, se sont rendus à l'église paroissiale, où ils ont assisté à un Te Deum qui a été chanté en actions de grâces, puis, en sortant, le même régiment, témoignant son zèle et son affection pour le corps municipal, l'a conduit dans la maison curiale où il tient ses assises ».
Tous ces actes sont signés : Saincric, Fillon, Bonnard, Bidon, Laloubeyre, Couronneau, Ferri, noms suivis de titres.
Le 16 mai, le chevalier de Maurian, porte-drapeau du régiment, se présentait à la maison curiale et faisait le serment civique, ainsi que seize volontaires du régiment : Dubourdieu, Jean et Jacob Roussillon, Etienne Lagunegrand, Jean et David Dugrava, Pierre Ornon, Simon Hugon, Jean Dorcy, etc.
Les officiers municipaux avaient sans cesse à sévir envers les délinquants qui s'opposaient à leurs décrets. Constatant, dans sa séance du 16 mai 1790, que ce « désordre n'était produit que par faute de force coercitive », le procureur Courronneau « demandait et requérait de la municipalité qu'elle eut à prier les officiers du régiment patriotique de prêter, chaque dimanche, main-forte à la municipalité pour envoyer chercher les délinquants », deux volontaires devant suffire à cette besogne. On leur attribuerait une somme prise sur les amendes « auxquelles seraient condamnés les contrevenants ».
Le 23 mai 1790, nouvelle séance de la municipalité à la maison curiale. Blanquefort venant d'être choisi comme chef-lieu de canton, il importait de préparer un local convenable à recevoir l'assemblée primaire cantonale. On autorisa donc le sieur David, menuisier à construire des gradins dans le chai de M. Accard, mis par son propriétaire à la disposition de la municipalité, moyennant la somme de 96 livres. Nous ne savons rien de cette assemblée du 24 mai 1790.
Dans la séance municipale du 30 mai, le procureur constata « qu'il se répand tous les jours dans cette paroisse une quantité de gens sans aveux que l'ordre et la sécurité publique exigent d'éloigner le plus promptement possible. » Il demande et obtient une ordonnance qui enjoignit aux cabaretiers « d'avertir de jour et de nuit l'officier municipal dès qu'ils auront reçu chez eux des personnes inconnues et étrangères ». Nul mendiant, même muni de passeport, ne pourra, sous peine de prison, séjourner plus de deux heures sur l'étendue de la paroisse.
Le 5 juin, arrêté interdisant le port « des armes à feu dans les endroits où se rassemblent les habitants et cela sous peine de dix livres d'amende, de confiscation desdites armes et de trois jours de prison ».
Mais le conseil a parfois à se transformer en véritable tribunal. Tous les ménages malheureux lui portent leurs doléances et bien des conflits sont réglés par lui. Ainsi interviennent, par exemple, un « accord entre Jean Lauba, mari de Catherine Barre, et autre Catherine Barre, sa belle-sœur » et une « convention entre Jean Broustic, pilote et Jean Audignon, charpentier de haute futaie ».
Le 6 juin 1790, on arrête un homme non muni de passeport : Barthélemy Fournier, arrivé à pied depuis Bordeaux et descendu à l'auberge de la nommée Cadette, à la Landille. Après une nuit à la prison communale, il fut relâché.
La municipalité a toujours à trancher des cas aussi divers et, souvent, aussi épineux. C'est ainsi qu'Étienne Lagunegrand, percepteur « nommé principal collecteur par ordre du tribunal de l'élection à Bordeaux, qui voulait démissionner devant le mauvais vouloir des contribuables à payer leurs redevances, se voit forcé de percevoir les impositions de 1790 et être rendu responsable » des suites funestes que pourrait entraîner tout retardement en cette matière.
Le 21 juin 1790, Arnaud Delabé, batelier à la Jalle, vint se plaindre d'avoir été copieusement insulté par Henri Fillon qui aurait été également grossier envers le duc de Duras. Delabé protesta « qu'il avait toujours regardé le duc de Duras comme un homme dont les vertus répondaient à la naissance ».
Dans cette même séance, les officiers municipaux arrêtèrent « que les volontaires du régiment patriotique seront invités dans la personne de leur colonel ou de M. Taveau, leur major, d'assister au feu de Saint-Jean qui aura lieu le 23, à 7 heures du soir ».
Deux officiers municipaux des plus actifs, Fillon et Bonnard, furent « grièvement insultés par Dubourdieu aîné dans la boutique de Pierre Duberger, charron ». La municipalité prit fait et cause pour ses membres et, après avoir entendu le procureur de la commune et la défense de Dubourdieu, « voulant maintenir, dit-elle, autant qu'il est en nous, les décrets de l'Assemblée Nationale et répondre à la confiance dont le public nous a honorés ». Dubourdieu aîné fut déclaré coupable et condamné à vingt-quatre heures de prison, à la défense d'exercer, durant une année entière, ses droits de citoyen actif. Il dut, en outre, « payer quatre livres aux fusiliers qui l'accompagnèrent dans sa prison pour leurs peines et soins ».
Les jugements étaient affichés un peu partout, en particulier à la porte de l'église paroissiale.
Blanquefort avait alors un marché hebdomadaire qui se tenait « aux environs de l'église chaque dimanche et chaque fête, avant et après l'issue de la messe ». Mais ce marché souffrait d'un manque d'organisation. On y voyait, notamment, les étrangers accaparer les produits mis en vente, pour les revendre ensuite à des prix exagérés. « Les différents marchands laissaient du bourrier sur la place qu'ils occupaient ; il en résultait une malpropreté contraire à la santé des habitants. » Les chevaux, les mulets, les bœufs, les vaches étaient aussi un embarras et un danger.
Pour pallier à cet état de choses, une ordonnance du 27 juin 1790 réglementa en plusieurs points :
1° D'abord, on ne vendra plus que des provisions de bouche : volailles, gibier, œufs, fruits, etc. ;
2° Les étrangers et revendeurs ne pourront acheter et vendre qu'après que les habitants de Blanquefort se seront pourvus du nécessaire, c'est-à-dire demi-heure après l'issue de la première messe ;
3° Défense de laisser sur la place du bourrier et autres immondices ;
4° Défense d'attacher sur le marché cheval, âne, mulet, bœufs.
Le 1er juillet, un autre arrêté interdit la pêche dans les fossés du marais de Blanquefort et cela sous peine « de confiscation de filets et de 20 livres d'amende ».
Le lendemain, la municipalité publia un avertissement dans lequel elle protesta contre les insinuations malveillantes de « quelques personnes mal intentionnées, qui, pour diminuer la confiance dans les opérations de police du tribunal de la municipalité, répandaient dans le public que les jugements émanés dudit tribunal flétrissaient l'honneur et la réputation de ceux qui en étaient l'objet. Toute alarme doit être éloignée à ce sujet, le tribunal municipal n'étant qu'un tribunal de famille. Les jugements qui en émanent ne peuvent porter note d'infamie et les punitions qu'il inflige sont purement paternelles ».
Mais la municipalité touchait à la fin de son mandat. D'après le décret de l'Assemblée Nationale, la moitié des officiers municipaux et des notables devait cesser ses fonctions le dimanche suivant la Saint-Martin. Aussi les officiers sortants, se souvenant qu'ils avaient fait des « avances » à la commune appauvrie, portèrent leurs comptes.
Le 14 novembre 1790, les citoyens actifs s'assemblèrent dans la maison de M. Cholet pour procéder à l'élection. Pierre Prévot, Jean Eliès, Bonnard et Barthélemy Caudéran furent élus.
Guy Dabadie, Blanquefort et sa région à travers les siècles, Imprimerie Samie, Bordeaux, 1952, p. 83-91.