Souvenirs d'un enfant de Maurian
De tous les ruisseaux et cours d'eau, ainsi que des étangs artificiels de notre commune, certains sont restés gravés dans ma mémoire. Les jalles qui traversaient Blanquefort étaient autrefois très fréquentées. Ces cours d'eau permettaient aux agriculteurs et jardiniers, d'écouler leurs produits sur Bordeaux (foin, paillage, légumes...).
Au cours des années, elles ont perdues leurs fonctions de transport, et certaines sont devenues des lieux de détente, (pêche, canoë). Les étangs artificiels étaient creusés afin d'en retirer du sable et de la grave.
Mes souvenirs d'enfance sont particulièrement liés au Bioussas et au Cournalet. Il y avait à l'entrée de Caychac une sablière où nous allions pêcher des têtards, mais nous étions chassés par le propriétaire à cause de la dangerosité du site.
Une autre sablière désaffectée se trouvant derrière les écoles de Caychac nous servait de terrain de vélo de cross. Elle était tout aussi dangereuse mais il n'y avait personne pour nous déloger.
Deux autres étangs situés sur l'actuelle zone industrielle nous servaient de lieu de pêche et de baignade. L'étang de Saumos, où se trouve actuellement le dépôt de ferraille, était le bief de pêche de la commune. L'autre, le Cruz, était devenu notre piscine.
Il fallait être prudent, les eaux étaient très froides et nous avions assez fréquemment des crampes qui paralysaient nos membres. Il fallait aussi savoir bien nager pour rejoindre le bord. Lorsque mes parents ont appris nos « exploits », mon père dans la mesure de ses possibilités nous accompagnait pour des baignades surveillées.
Plus tard, c'est le lac des Padouens qui eut notre préférence, mais un jeune garçon s'étant noyé, les baignades furent interdites. Je me souviens, qu'en compagnie d'autres gamins du village, je pouvais me baigner aux « quatre ponts », car l'eau y était saine et limpide.
Plus en amont, vers le moulin noir et après de fortes pluies, nous récupérions sur la rive, des plaquettes de poudre venues de la poudrerie de Saint-Médard. Après les avoir séchées, ces tablettes servaient à la confection de fusées. Ces « missiles » étaient confectionnés avec des tubes d'aspirine en aluminium ou de vieilles pompes à vélo. Une fois remplis de poudre séchée, ces tubes étaient placés sur des bambous partagés en deux dans le sens de la longueur, qui, montés sur des échafaudages, nous servaient de rampe de lancement.
Après la mise à feu, ces fusées pouvaient partir de tous côtés, d'ailleurs un des chiens du village qui nous suivait dans tous nos jeux en avait fait les frais. En effet, la pauvre bête se trouvait à quelques mètres de la rampe et surtout, juste en face, et de dos ! Après la mise à feu, la fusée est partie très vite pour ensuite retomber très près de l'animal. Nous étions persuadés qu'elle était éteinte, mais, d'un coup, elle est repartie pour aller se loger dans son postérieur. Nous avons eu très peur de l'avoir sérieusement blessé, et après une course poursuite nous avons constaté un simple point rouge sur sa cuisse.
Une autre fusée avait été particulièrement chargée en poudre. Elle est montée très haut, s'est retournée, a traversé le hameau et s'est écrasée dans un champ en y mettant le feu ! Il a fallu tous les habitants du coin pour éteindre l'incendie. Hélas ! Ce fut la fin des fusées de Maurian ! Les jalles étaient aussi des lieux de pêche, et nous pouvions y attraper des anguilles. Cette pêche se pratiquait « au toc ». Il s'agissait d'enfiler des vers de terre sur de la laine, les anguilles se prenant les dents dans cette dernière. Il fallait faire un gros paquet de vers, attacher le tout avec de la ficelle à un bâton qui nous servait de canne à pêche.
Ensuite, nous descendions dans l'eau avec un parapluie ouvert à l'envers qui flottait à côté de nous, dans lequel nous mettions le résultat de notre pêche, ce qui était plus adapté qu'un seau. Une lampe électrique était indispensable car cette pratique avait lieu au printemps et par temps orageux, et à cette époque les serpents d'eau pouvaient être pris pour des anguilles.
Je me souviens que nos plus belles aventures avec l'eau se déroulaient à Maurian. Le lavoir, aujourd'hui disparu, était le lieu de rendez-vous de tous les garçons. Très peu de filles nous accompagnaient car dans ce hameau il n'y avait presque que des garçons.
Ce lavoir était alimenté par le Bioussas, un cours d'eau venu de Linas et qui se jetait dans le Cournalet au pont qui enjambe la voie ferrée et qui longe le vignoble de Saint-Ahon. Nos jeux y étaient nombreux, surtout l'été car ce lavoir nous servait de piscine. L'eau était très fraiche parce que le toit empêchait le soleil de la chauffer.
Je me souviens que ce lavoir était entretenu par deux cantonniers. Tous les gamins étaient rassemblés pour les voir vider le bassin. Ils utilisaient une énorme clé à œil pour ouvrir la vanne qui débloquait un écrou tournant sur la vis sans fin. C'était des moments de franches rigolades.
Nous fabriquions de petits bateaux avec des écorces de pin à l'aide de nos couteaux de poche que la plupart des garçons possédaient. C'était des « Pradel » achetés au bazar de Blanquefort ou à la quincaillerie Ariola, devenue Pénalva. Le Laguiole n'était pas encore à la mode.
Une fois dans l'eau, ce n'était pas le Vendée Globe, mais c'était une course effrénée des petits bateaux et de leur propriétaire, jusqu'au confluent du Bioussas avec le Cournalet.
Ensuite, nous ne savions pas ce qu'ils devenaient car les eaux traversaient la propriété de M. Bernatet surnommé le « Landais ».
En automne, nous nous amusions à descendre ce cours d'eau à l'aide de gros bidons attachés ensemble. Nous montions dessus et nous descendions le Bioussas jusqu'au Cournalet, mais là, le « Landais » nous attendait avec un bâton qu'il brandissait bien haut en nous menaçant. Il criait très fort pour nous faire peur, et j'ai compris plus tard que nous troublions l'eau où ses vaches s'abreuvaient. Quand on est enfant, on accepte mal ce genre de remontrances.
Nous, ce que nous souhaitions, c'était aller jusqu'au lavoir de La Rivière, mais c'était un rêve car après la propriété du « Landais », il aurait fallût traverser la propriété du château Fleurenne.
Alors, nous remontions nos bidons et reprenions la direction du lavoir grâce à un petit chemin qui longeait le Bioussas et partageait en deux la propriété de Saint Ahon, ce chemin n'existe plus aujourd'hui. Le Cournalet lui arrive de la lande du Taillan et rentre dans les bois de Tanaïs en faisant un vivier dans l'ancien camp militaire. Il passe à Linas, dans le vignoble du Lycée agricole, devant le parc de Cambon, traverse l'avenue du Général de Gaulle et pénètre dans la propriété de Saint-Ahon.
Ensuite, grossi par le Bioussas, il file vers le hameau de La Rivière et va se jeter dans la jalle de la lande.
Je me souviens des parties de pêche de brochets que nous faisions lorsque nous allions chez mon oncle qui avait une porcherie située devant le Cournalet. Nous les attrapions au tramail sous les racines des vergnes qui bordaient le cours d'eau. Tout a changé depuis que la zone industrielle a été créée.
Récemment lors d'une manifestation au parc de Cambon, nous avons introduit des canards colverts pour qu'ils mangent les lentilles d'eau recouvrant le lac. Bien que ces volatiles aient eu des plumes supprimées à une aile afin qu'ils ne puissent s'envoler, ils ont tout de même disparu en suivant le cours du Cournalet, rejoint le marais et repris la vie sauvage.
Voici quelques souvenirs de mon enfance sur les cours d'eau et étangs de la commune de Blanquefort. Des moments, je regrette que mon petit-fils n'ai pas connu cette époque où les parents ne craignaient pas de laisser les enfants seuls à jouer. Mais en y repensant, il y avait tout de même des moments où cela frisait l'insouciance.
Jean-Pierre Jouglet.