L'influence des Romains sur la région 

La conquête de l'Aquitaine n'alla pas sans difficultés, « les Aquitains conservant contre les Romains la fraicheur de leur génie et la souplesse de leur esprit... et encadrés par des officiers d'expérience soigneusement choisis ». (Camille Jullian.) Après deux sérieuses batailles à Sos (Lot-et-Garonne) et à Bigaar, près de Tartas, qui virent la déroute des Soliates, près de Tarbelli, les Aquitains se soumirent et envoyèrent des otages au vainqueur. César proclama l'Aquitaine province romaine (51 avant J-C). Il semble toutefois que les Bituriges Méduli, qui, depuis longtemps, étaient aux prises avec leurs compagnons de même race, virent arriver les Romains en libérateurs et qu'ils leur fournirent des bateaux pour participer à la lutte contre les Vénètes (régions de Vannes et de Nantes). Ils firent donc partie « des peuples alliés qui avaient bien mérité des Romains » (Suétone) et furent exemptés du tribut annuel que les peuples vaincus devaient fournir à César.

Vainqueurs et vaincus entretinrent tout de suite des rapports extrêmement amicaux. Les premiers apportèrent le progrès économique. Voulant « dépayser les Gaulois dans leur propre pays » (A. Rambaud), ils surent, avec tact, respecter les traditions et les biens locaux et utilisèrent l'élite indigène dans l'œuvre de rénovation.

L'agriculture, l'élevage, l'exploitation des forêts furent développés de façon rationnelle. Salvien allait jusqu'à désigner l'Aquitaine « moelle de toutes les Gaules », ajoutant : « Elle possède la mamelle de toute fécondité et, ce qu'on aime parfois mieux encore, celle du plaisir, de la beauté, de la volupté. Toute cette région est si merveilleusement entrelacée de vignes, fleurie de prés, émaillée de cultures, garnie de fruits, charmée par ses bois, rafraîchie par ses fontaines, sillonnée de fleuves hérissée de moissons, que les maîtres ou les détenteurs de ce sol semblent posséder moins une partie de la terre qu'une image du paradis. »

Les conditions de circulation 

Des routes furent tracées, ces fameuses routes romaines qui tinrent un « rôle stratégique, politique et économique », au sol bâti avec un soubassement bétonné et empierré. Il en existait deux principales en médoc : celle conduisant de Noviomagus (ancienne Noviomag) à Lapurdum (Bayonne) et qui suivait la côte océane, appelée « via Médullica » et la « Lebade » (levée) de Noviomagus à Burdigala passant par Lilhan, Vendays, Queyrac, Métullium, Cissac Saint-Laurent, Moulis, Castelnau, Arsac, Louens, Parempuyre (où il en reste encore quelques vestiges) Cette dernière route était empruntée par les paysans du Médoc venant apporter leurs denrées à la ville, notamment les meuniers avec la farine provenant des moulins installés sur les jalles. Ces voyageurs pénétraient dans Bordeaux par la Porte Médoc, que l’on peut situer au bout de l'actuelle rue Sainte-Catherine. Nous pouvons encore noter comme chemins secondaires l'embranchement de MétuIlium au pont de Castillon et deux autres voies de Burdigala à la mer, l'une par Sérilhan, Issac, Salaunes, Lacanau, l’autre par Saint-Aubin, Castelnau et Carcans.

Comment voyageaient nos aïeux sur les routes romaines ?

M. E. Rodocanachi, de l'Institut (Comment l’on voyageait sous l’Empire romain), nous l'écrit : « Il existait d'excellentes cartes routières qui, outre les distances séparant les étapes, indiquaient les curiosités que renfermait chaque ville. Aux fonctionnaires en voyage étaient réservés tous les privilèges. De distance en distance, Ils trouvaient des relais de poste où des chevaux étaient toujours tenus à leur disposition ; au besoin, ils couchaient chez les habitants, au grand ennui de ceux-ci, car ils passaient pour être exigeants et fort enclins à emporter ce qui leur avait plu.

Le commun des voyageurs n'avait pas toutes ces facilités. Les plus pauvres allaient à pied, les vêtements bien troussés, un bâton à la main, une besace au dos. Quand on en avait le moyen, on se fournissait d'une mule, voire d'un cheval. Le bagage du cavalier devait tenir dans un portemanteau exigu, attaché en croupe ; et le costume se composait d un manteau de drap épais ou de cuir boutonne, d’un capuchon ou d'une casquette et d'une paire de brodequins montant jusqu'à mi-jambes. Ceux qui se servaient de cabriolets à deux roues, franchissaient, en moins de rien, les plus grandes distances ; car les cochers se piquaient de l'emporter l'un sur l’autre en vitesse. Les chevaux dont ils étaient attelés étaient des chevaux gaulois auxquels on pouvait reprocher d’être petits et trapus, mais qui passaient en revanche pour vifs et surtout endurants à l'extrême. Il fallait qu'une loi réglât l'allure des cabriolets, comme maintenant celle des automobiles. Les loueurs de cabriolets formaient dans chaque ville des corporations qui imposaient leurs exigences aux voyageurs.

Les voitures de voyage, que devaient traîner des mules grasses et de couleur uniforme, manquaient de ressorts, ce qui ne laissait pas d'être un grave inconvénient sur les routes si cahoteuses de ce temps. Certaines de ces voitures valaient, dit un ancien, le prix d’une maison. Pour détestables qu'elles fussent, les auberges n'en avaient pas moins les enseignes les plus alléchantes.

Les voyageurs avisés préféraient coucher sous la tente ou chez des amis ; au besoin, ils s'en faisaient. Les gens riches achetaient sur les routes qu'ils fréquentaient, des pied-à-terre. »

Expansion économique 

Au cours de son séjour à Dax, Auguste dressa le cadre administratif de l'Aquitaine, établit un recensement des individus, fixa l'impôt. Si ces mesures provoquèrent un instant d'impopularité, elles n'en furent pas moins salutaires et l’expansion économique en Médoc, comme ailleurs, fut remarquable. Déjà, les vins de notre région sont recherchés et les huîtres de la pointe sont expédiées à grands frais à Rome. Ausone en parle dans ses lettres 4 et 13 à Théon : « Ces huîtres du Médoc, qu'on nomme bordelaises, sont exquises pour moi ; César lui-même enfin à sa table les loue autant que notre vin. » Il les désigne aussi comme « les plus précieuses que l'océan des Médules nourrit et qui ont mérité la première palme, car leur chair est grasse, blanche, très tendre, et, à l'exquise douceur de leur suc, se mêle un goût légèrement salé, de saveur marine ». Il prétend aussi qu'elles sont les meilleures de toutes et « qu’il s'emploie à les faire admettre à la table des Césars ». Théon, à qui s'adressent les lettres d'Ausone, habitait à Domnoton, dans le pays de Méteuil, qu'il préférait à Pauillac. Ausone lui écrit à ce propos : « Que fais-tu dans ta demeure des bords extrêmes de la terre, poète cultivateur de sable ? Laboures-tu le rivage sur les confins de l'Océan, au couchant du soleil ?

Quelle vie mènes-tu sur les rivages de Méteuil ? » Fais-tu du commerce, sais-tu profiter des occasions pour revendre à des prix fous ce que tu as su acheter à bas prix, les cires, les suifs, la poix, les bois résineux, dont les paysans se servent comme de chandelles fameuses et les feuilles de papyrus égyptien ? »

Guy Dabadie, Histoire du Médoc, imprimerie Samie, Bordeaux, 1954, p. 26-29.