Le ruisseau de la Jale 

« C’est un des ruisseaux les plus considérables de la contrée du Médoc. On seroit porté à croire que le mot Jale, qui est très ancien et très usité dans ce pays, a appartenu au langage Celtique, pour cela seul que c’est un mot qui nous paroit barbare, et dont nous ignorons la signification. Les noms donnés par les anciens étoient significatifs ; ils exprimoient la nature des choses auxquelles on les appliquoit, et en donnoient une idée exacte, mais abrégée. On seroit donc porté à croire que ce mot, dans l’ancien langage qu’on parloit dans le Médoc signifioit ruisseau. Il n’est pas sans exemple que lorsque, par le changement du langage, on a commencé à perdre de vue la signification d’un ancien nom, on lui ait substitué dans le nouveau un terme équivalant à sa signification primitive. Les Romains appeloient via, une voie, un chemin ; aussi, celui qu’ils pratiquèrent au travers du marais d’Embarès, qui subsiste encore, a-t-il retenu le nom de chemin de la vie. Lorsque la substitution du nouveau langage à l’ancien fut entièrement opéré, on ignoroit sans doute la signification du mot via, qu’on retint ni plus ni moins ; ensorte que, dans l’usage même actuel, on appelle cette ancienne voie, le chemin de la vie. Il en pourroit être de même à l’égard du ruisseau de la Jale. (La Jale avec un l ! ; elle est orthographiée de même sur les cartes anciennes ; Jale vient de jala (gascon local d’origine gauloise) qui désigne en Médoc un petit cours d’eau ; on ne sait quand l’orthographe a été modifiée. Des relevés manuscrits, des arrêtés préfectoraux écrivent Jalle tantôt avec 1 ou 2 l en 1810 !). Ce ruisseau prend sa source dans une fameuse fontaine qui existe dans la Paroisse de Saint-Médard en Jales, au milieu des landes dépendantes de la Seigneurie de Belfort, qui appartient à M. Le Comte de Ségur Cabanac. Cette fontaine, qui est placée au pied d’une petite élévation couverte de sables mérite d’être plus connue qu’elle n’est. On voit au milieu de son bassin, qui est de figure carrée, un bouillonnement continuel et réglé. Il a chaque fois plus d’un pied de hauteur, et autant, pour le moins, de diamètre. Ce bouillonnement, qui s’élève et s’abaisse sans interruption, semble partir des entrailles de la terre ; il ne varie ni en Eté, ni en Hiver ; il est le même dans les plus fortes chaleurs, que durant les pluies les plus abondantes. C’est en tout temps la même quantité d’eau qui en sort, et toujours de la même qualité. Elle est toujours également bonne et transparente, aussi bien en Hiver qu’en Eté. On peut la comparer à celle de l’ancienne fontaine Divona, dont Ausonne fait tant d’éloges ; et si son bassin étoit placé dans Bordeaux, comme l’étoit celui de cette ancienne fontaine, on pourroit dire qu’il suffiroit pour tous les besoins de ses habitants, sans craindre que sa source ne fût jamais épuisée. Innumeros populi non usquam exhaustus ad usus : proverbe latin, sans doute unquam et non usquam : « pour les innombrables besoins des gens sans crainte de tarissement ».

Si cette fontaine eût été connue des anciens, on lui eût donné, sans contredit, une dénomination Celtique. Celle qu’elle porte est visiblement d’origine Gasconne. Elle est connue dans le pays sous le nom de font de cap dau Bosc, c'est-à-dire, fontaine placée à l’extrémité d’un bois qui y existoit sans doute lorsque le nom lui fut donné. Le lieu où elle est n’est plus qu’une lande rase. C’est sur le ruisseau qui découle de cette source qu’est assis le moulin à poudre de Saint-Médard. Il y a plusieurs moulins à bled, tant au-dessus qu’au dessous de ce premier, qui sont situés sur ce ruisseau.

Il reçoit dans son lit la Jale de Martignas, qui s’y décharge (la source de la Jalle : depuis 1785 les géographes ont affiné les recherches et on peut dire sans se tromper en ce début de 21ème siècle que la Jalle prend sa source à Saint-Jean-d’Illac, même si de rares documents la situent au camp de Souge !)

Il traverse du levant au couchant, en formant néanmoins différentes sinuosités, les paroisses de Saint-Médard, du Taillan, d’Eysines et de Blanquefort. Ses diverses branches se réunissent au lieu appelé le Grangeot, distant de six à sept cens toises de la rivière, d’où il se décharge dans la Garonne.

Les Savans Auteurs de l’Histoire des Gaules et des Conquêtes des Gaulois (tome 2, p. 304), soupçonnent que la rivière Medulla, dont fait mention l’Anonyme de Ravenne, pourroit être la Jale qui traverse, disent-ils, le Médoc, occupé autrefois par les Medulli ; mais le cours de ce ruisseau, qui n’est que de quatre à cinq lieues, en le suivant dans tous ses contours et ses sinuosités, et qui d’ailleurs n’est pas navigable, n’a jamais permis de lui attribuer la dénomination de rivière. Il pourroit néanmoins être arrivé que quelque Savant étranger, voyant le cours de ce ruisseau tracé sur quelque Carte Géographique, l’aura pris pour une rivière, et lui aura donné le nom de Medulla ; attendu que la contrée a été habitée par les Medulli ; mais ce ruisseau n’est pas pourvu d’une quantité d’eau suffisante, pour lui donner le nom de rivière.

Ce nom, sans contredit, pourroit lui être donné si son état ordinaire étoit tel que pendant ses débordements occasionnés par des pluies abondantes ; mais dans ces circonstances mêmes, ce ruisseau ne sera pas navigable, soit à cause de la quantité de moulins qui y sont assis, soit à cause qu’il est sorti hors de son lit ordinaire.

Ce ruisseau se divise en deux branches au-dessous du lieu où est le pont du Taillan ; l’une s’appelle la Jale du Bois ou de Cantaret, qui coule dans la Paroisse du Taillan et dans celle de Blanquefort, et l’autre, appelée de Plassan, coule dans les Paroisses d’Eysines et de Bruges. Les eaux de ces deux branches se réunissent, ainsi qu’on l’a déjà remarqué, vers le lieu appelé le Grangeot, d’où elles vont ensuite se décharger dans la Garonne.

Extrait des « Variétés Bordeloises » de l’abbé Baurein, publié entre 1784 et 1786 (l’orthographe, les majuscules, les italiques sont celles de l’édition !)

Texte extrait du blog de l’association-connaissance-Eysines, Élisabeth Roux, janvier 2014.