La prise de possession d’un fief 

 

La prise de possession de la seigneurie par le nouvel acquéreur est un temps fort dans la célébration des droits honorifiques : elle donne lieu à tout un cérémonial dont les archives notariales conservent de multiples témoignages.

En 1759, Angélique Jacquette de Gombault de Benauge, « en qualité de fille héritière dudit seigneur de Gombault son père », prend possession de la seigneurie justicière de Montignac, Omet et Escoussans. En compagnie du notaire, de témoins et du substitut du procureur d'office de la juridiction, elle se rend successivement dans chacune des trois paroisses : elle est reçue à la porte de l'église par le curé qui lui offre l’eau bénite, elle s'assied sur le « fauteuil servant de banc seigneurial », puis elle sonne trois coups de cloche en signe de prise de possession de la haute Justice et de sa qualité de « dame foncière et directe », en présence des habitants attirés par le bruit.

Elle se rend ensuite dans les divers hameaux de la paroisse, dans lesquels elle « s'est promenée, passé et repassé autant qu'elle a trouvé bon être », déclarant aux paysans « qui ont paru sur leurs portes » qu'elle prenait possession de l'église et de la paroisse.

Dans le Médoc, on a le sens du décorum : lorsqu'en 1733, le seigneur de Ségur prend possession de Pauillac, il est reçu par les habitants en armes, avec à leur tête les notables du bourg. Ils lui font cortège jusqu'à l'église où le curé l'accueille et célèbre la messe. Puis, la troupe fait le tour de l'agglomération et parcourt les villages dépendant de la seigneurie.

À Castelnau, l'acquéreur est accueilli par les officiers de justice et un « grand nombre de vassaux, tenanciers et censitaires, rangés en deux rangs, depuis l'entrée du bourg jusques à l'église ». Le lieutenant de juge complimente le seigneur. On se rend à l'église puis au château où le prévôt présente les clefs « dans un bassin ». La même cérémonie se répète dans les autres paroisses de la baronnie. On imagine la jubilation du bourgeois devant de telles marques de considération : il est probable que beaucoup ont payé le prix fort pour jouir, à défaut d'un prélèvement féodal souvent décevant, des droits honorifiques, « tout ainsi et de la même manière que les précédents seigneurs en ont joui ».

Lorsqu'en 1729, le négociant bordelais Ménoire, qui a acheté au baron de Monferrant la maison noble de Seguin, prend possession des droits qui en relèvent dans l'église de Lignan, il constate que le banc seigneurial est vieux et usé : il le fait immédiatement remplacer par un neuf « sur lequel son nom a été écrit et gravé en cette forme : Ménoire, seigneur de Seguin, pour que personne ne prétende cause d'ignorance ».

Texte extrait du livre de Gérard Aubin, « la seigneurie en Bordelais d’après la pratique notariale (1715-1789) », Ed. Université de Rouen n° 149,  p 182-183