L’origine des ténèbres 

Cette « pratique est attestée en France officiellement dès les débuts du 9e siècle, par un élève d'Alcuin, Symphosius Amalarius, originaire de Metz, mort en 857, auquel on doit un traité de liturgie. Il dit que si, au moment des Ténèbres, on se contente du simple son de morceaux de bois, c'est, en souvenir des fidèles de Rome, réfugiés dans les catacombes, mais non par manque de cloches d'airain, et qu'il s'agit d'un « usage antique ».

Cet usage s'est d'ailleurs maintenu jusqu'à nos jours dans beaucoup d'églises d'Orient, en partie parce que les conquérants musulmans interdirent l'emploi des cloches. Dans maints villages, pour faire du bruit à l'église ou dehors, on se sert de bâtons, de maillets en bois, de sabots ou même des mains et des pieds en frappant en cadence sur les bancs, les chaises, le sol de terre ou de pierre, le plancher. Si leur point de départ a été liturgique, le développement de ces coutumes est nettement folklorique, et bien que par endroits et à diverses reprises les autorités ecclésiastiques aient tenté de restreindre cette intrusion populaire dans le rituel, elles n'y sont pas parvenues avant la fin du 19ème siècle. C'est plutôt d'elles-mêmes qu'elles se sont progressivement atténuées, d'abord dans les villes, puis dans les campagnes, sous l'influence peut-être de l'anticléricalisme grandissant, qui aura donné aux tapageurs l'impression de devenir ridicules en présence des normes de vie nouvelles déterminées par l'industrialisme, l'électricité et l'auto. Celle-ci pourtant est venue donner, avec ses trompes et avertisseurs, à ceux qui tenaient aux charivaris et au vacarme des Ténèbres, un moyen nouveau d'en accentuer l'amplitude sonore.

En théorie, on pourrait distinguer :

1 - le bruit fait dans l'église ;

2 - le bruit fait au-dehors ;

3 - la tournée des enfants de chœur appelant les gens aux offices, puisque les cloches sont muettes ;

4 - la tournée de quête faite par ces mêmes enfants munis de leur instrument.

Mais dans la pratique ces diverses manifestations se mêlent, et si le curé peut exercer un certain contrôle sur ce qui se passe dans le sanctuaire, la conduite des enfants, même de chœur, au-dehors lui échappe. Qu'ils soient munis de crécelles ou non, le caractère essentiel de leur quête n'en est pas modifié.

La tradition dans le Sud-Ouest 

En Gironde, Dergny ne recense que trois lieux de pratique de cette tradition : à la Teste-de-Buch et à Gujan, les assistants frappaient des mains et baisaient le pavé de l'église ; à Lignan, les jeunes gens se servaient de cors de terre, d'escargots de mer et de rossignols (petits cruchons en terre avec sifflet et qu'on remplissait d'eau). Mais il ne mentionne pas de crécelles, pas plus que Mensignac, Notes sur plusieurs coutumes, usages… du département de la Gironde, Bordeaux, Éd. Bellier, 1889, ni Daleau, Notes pour servir à l'étude des traditions, croyances et superstitions de la Gironde, Bordeaux, Impr. nouvelle, 1888, qui ne parlent que de « bâtons de saule à l'écorce artistement découpée », que les jeunes gens frappent à coups redoublés sur les dalles du chœur ou le seuil de l'église, genou en terre ; les éclats volent de tous côtés et sont ramassés pour être placés sur les toits contre la foudre et dans les vignes, fixés à des échalas, aux quatre coins du vignoble (manifestement les auteurs ont oublié Blanquefort, où cette pratique est pourtant attestée…)

(Usages, coutumes et croyances, Abbeville, Éd. Winckler, 1885)

La même coutume se pratiquait dans les Landes, avec absence identique de crécelles. Les bâtons y étaient en bois de bourdaine et la décoration par guillochage de l'écorce y était plus riche ; leur nom général est « mailloque ». En frappant les planches placées autrefois dans le chœur pour en protéger les carreaux, de nos jours le seuil et les marches de l'église, ainsi que les murs de granges et les arbres voisins, les jeunes gens criaient : Truque mailloque - Darré lou pourtaou (ou l'oustaou) - Bat'eun Couaresme - Tourne Carnaoù (« reviens, temps de chair »). Ici aussi, les fragments étaient recueillis pour être fichés en terre aux quatre coins des champs de lin et contre les taupes ; on choisissait les plus longs brins pour que le lin pousse aussi haut qu'eux.

Dans les deux régions, les curés ont réussi à faire émigrer la coutume du chœur aux marches de l'église. Par contre, fait notable, il n'est fait aucune mention du vacarme ni des crécelles en Périgord.

L’office des ténèbres dans la tradition chrétienne 

Nous tirons du descriptif détaillé de Paris de Crassis, maître de cérémonie du pape Léon X, l’extrait suivant qui concerne les ténèbres : « Au cours de la Semaine Sainte, l’Office des Ténèbres Sabatto Sancto, est l’une des cérémonies les plus émouvantes de la tradition chrétienne […] Pour finir l’office des trois nocturnes, on chantait le miserere. Alors, le maître de cérémonie cachait le dernier cierge, derrière l’autel (les autres étaient éteints lors du chant des derniers versets du cantique de Zacharie), plongeant l’église dans les ténèbres. Après un moment de méditation, le silence était rompu par le Strepitum, bruit fait avec les missels ou avec des planches en bois. Alors, réapparaissait le dernier cierge, symbole de la Résurrection […] Quand il est placé derrière l’autel, l’église est plongée dans les ténèbres comme la terre l'a été à la mort du Christ, enfin le Strepitum symbolise le tremblement de terre et la confusion qui suivit sa mort ». (Texte communiqué par Jean Lafitte).

D'après Arnold Van Gennep, Le folklore français, Paris, Bibliographie méthodique, 1937 ; réédité à Paris par Robert Laffont, 1998-1999, collection Bouquins, tome 1, p. 1017 à 1036.

Pour la pratique de ce rite à Blanquefort, lire l'article "un rite disparu : les Ténébres"