La vie de Pierre Duret sur son bourdieu de Laplane de 1781 à 1810 

 

Conférence Madame Cabrou sur son mémoire réalisé sous la direction de M. Paul Butel, à Bordeaux III en 1995.

Ce sujet « L'étude du quotidien d'un domaine : la vie de Pierre Duret sur son bourdieu de Laplane de 1781 à 1810 », est venu naturellement après la lecture du livre-journal de Pierre Duret, issu des archives familiales de M et Mme Duret demeurant dans le quartier des Grands Hommes à Bordeaux. M. Butel avait suggéré « la Révolution vécue par un négociant des Chartrons » ; mais Pierre Duret décrit assez peu la Révolution, n’y faisant référence qu’une dizaine de fois entre 1789 et 1797, pas assez pour un sujet de maîtrise !

Les écrits de Pierre Duret sont réunis dans un ouvrage que Mme Cabrou nomme « Livre-journal » ; il n’est ni un livre de raison ni un journal ; un livre de raison est en général un registre de comptabilité domestique et de notations familiales, une sorte d’aide-mémoire destiné aux héritiers ; un journal est quant à lui une évocation au jour le jour. Livre-journal est donc le nom retenu pour l’ouvrage étudié.

Pierre Duret est un homme issu du siècle des Lumières ; il décrit la vie dans son domaine rural, ce qui permet une analyse sociale et économique au travers d’une famille de négociants. Pierre Duret est à la fois un bourgeois de Bordeaux mais aussi un seigneur dans son domaine de Laplane à Eysines. Ce domaine fut acquis, en 1720, par Benjamin Duret, grand-père de Pierre Duret, acheté aux Feuillants endettés. En 1724, Benjamin Duret rend hommage au roi, pour ses terres de Laplane.

Lorsque Pierre Duret hérite de Laplane, c’est un domaine de 21 ha d’un seul tenant, auquel s’ajoutent d’autres terres, des métairies et des padouens sur la paroisse d’Eysines. C’est essentiellement un domaine viticole que Pierre Duret va tenter de transformer en polyculture pour lutter contre les disettes. Comme tout gentilhomme lorsqu’il prend possession de son domaine, il va procéder à des rituels liés à ses droits seigneuriaux : dans la maison, en ouvrant et fermant les portes et en se montrant dans son logis ; sur ses terres, en se promenant et en cueillant des herbes, cassant des branchages, émiettant de la terre etc. Il est ainsi reconnu comme propriétaire et seigneur des lieux. Il fait sept acquisitions pour agrandir son domaine, en choisissant des terrains jouxtant ses terres, mais aussi dans le but d’augmenter ses lods et ventes. Il a des fermages et des métayages.

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                                                      Cadastre : château de Laplane en 1815 (château Lescombes).

 

Pierre Duret vit en majeure partie dans sa maison des Chartrons et ses terres de Laplane sont aux bons soins de son maitre-valet (régisseur) Pierrot Bacquey puis à sa mort de son fils Panchille. Le maitre-valet vit à Laplane, il fait le lien entre le domaine et Pierre Duret ; il surveille, il décide des travaux, il est polyvalent… Il doit penser comme le propriétaire auquel il rend compte par un courrier régulier et précis (le maitre-valet est donc instruit puisqu’il sait écrire). Pierre Duret a passé un contrat avec la famille du maitre-valet ; l’épouse s’occupe de la maison du maitre et de la basse-cour, les enfants ont chacun une fonction précise. Sur le domaine, il y a d’autres personnes employées sous contrat ; ces emplois sont assez stables : 3 gardes sur 20 ans, 2 bouviers en permanence ; les autres employés sont là quand il y a besoin, hommes mais aussi femmes et enfants qui offrent un coût moindre.

Les productions dans son domaine sont variées : le vin occupe la plus grande place mais aussi les fruits, légumes, grains, fourrage et les bois.

Pierre Duret fait des expériences agricoles ; c’est un physiocrate, il essaie d’améliorer les productions et leur qualité, et aussi de produire suffisamment pour éviter les famines. Il choisit alors ses cultures en fonction de leur bonne production sur ses terres. Pour les arbres fruitiers et les vignes, il fait réaliser une pépinière, et Panchille greffe les arbres, car Pierre Duret remarque que les arbres produits sur son domaine s’adaptent beaucoup mieux que les arbres venus d’autres terrains. Pour les légumes, il fait venir des plants d’artichauts et griffes d’asperges de Hollande car ils sont plus résistants au climat girondin… Il remplace la culture difficile du tabac par celle des patates (le mot pomme de terre est peu employé par P Duret !). Le seigle et le maïs viennent bien sur les terres eysinaises ; le froment demande une terre plus riche ; le maïs pousse sur une terre qui n’aura qu’une jachère biennale ; il est facile à cultiver et les femmes et les enfants peuvent s‘en occuper, ce qui est un moindre coût ; il est très utile puisqu’il sert à la fois à la nourriture des hommes et du bétail. Quant au seigle, c’est lui aussi une plante qui vient bien. Avec le fumier de ses moutons, bœufs et chevaux, mais aussi celui que lui procure ses fermages et métayages, il fume ses terres.

Son domaine viticole est aussi vinicole car il a un matériel vinaire important : dans le chai et cuvier de Laplane il a 2 pressoirs : un en pierres et un en bois, qui demandent un entretien important, 6 cuves, 7 douilles, plusieurs barriques, 12 bastes… Tout ceci permet de faire les vendanges (environ 20 vendangeurs pour 1 ha) puis de produire du vin qu’il vend dans son chai des Chartrons.

Pierre Duret évoque aussi fréquemment les calamités météorologiques : à la fois les hivers extrêmement rigoureux mais aussi les sécheresses, les orages de grêle ; les parasites, insectes et maladies (les chenilles et insectes sont ramassées manuellement par les femmes et les enfants).

Pierre Duret note le 31 juillet 1789 : « … les habitants d’Eysines se sont assemblés et m’ont fait l’honneur de me nommer à la pluralité des voix président de leur conseil municipal. J’ai accepté cette charge avec plaisir pour répondre à l’attachement et à la confiance des divers habitants de la paroisse… » C’est donc un personnage apprécié comme honnête homme mais aussi homme de cœur ; il fait des dons aux miséreux.

Les bourgeois de Bordeaux possèdent souvent un bourdieu qui leur permet l’exploitation viticole et agricole ; mais un domaine noble apporte, en plus, les revenus des droits seigneuriaux (1/10 seulement) mais surtout un prestige.

La Révolution est un grand malheur pour Pierre Duret mais surtout pour ses héritiers, comme pour tous les nobles ! La crise qui résulte à la fois de la Révolution, des conditions climatiques déplorables et de la dévaluation porte un coup fatal au domaine de Laplane. Son fils vend en 1812, alors que Pierre Duret meurt à Laplane en1811 en laissant un testament olographe.

Conférence de Marie Pierre Cabrou le 18 mars à la grange de Lescombes.

Texte extrait du blog de l’association Connaissance d’Eysines, 22 mars 2017 Elisabeth Roux & Marie Hélène Guillemet.

NB : un autre article sur Pierre Duret dans Population / Personnalités de la commune

 

chateau-Laplane-aujourdhui                                                         Le Château de Laplane aujourd'hui Lescombes