Les années de guerre 1939-1945

- Le 1er septembre 1939, l'agression de l'Allemagne contre la Pologne décide la France et l'Angleterre à lui déclarer la guerre. Les efforts déployés par MM. Chamberlain et Daladier, l'année précédente à Munich, pour sauvegarder la paix, avaient été vains. L'annonce de cette nouvelle guerre, bien que vaillamment supportée, jette la consternation.

- 1940. Le 10 mai, l'engourdissement douloureux dans lequel nous nous enlisions depuis plus de six mois d'une guerre d'attente derrière la ligne Maginot est brutalement secoué par la nouvelle de l'invasion de la Hollande et de la Belgique par les Allemands.

- 13 mai. Pourquoi a-t-on parlé de Sedan à la radio ? C'est un nom qui sonne mal. Nous craignons d'être bien mal informés.

- Le 27 mai, le voile se déchire, la France est envahie ; le général Gamelin est remplacé par le général Weygand, la Belgique capitule, la route de Paris est ouverte.

- Le 11 juin, l'Italie nous déclare la guerre. C'est le comble de l'ignominie, le coup de poignard dans le dos.

- Le 13 juin, départ du gouvernement pour Bordeaux et, le lendemain, les Allemands font leur entrée à Paris.

- Le 17 juin, changement de ministère. Le Maréchal Pétain prend le pouvoir. On est soulagé de penser qu'on n'entendra plus Paul Reynaud à la radio. On se reprend à espérer. On va résister à outrance. À 11 h. 30, appel du Maréchal Pétain à la radio. Il dit qu'il faut cesser le combat. C'est la défaite irrémédiable. Stupeur et effondrement.

- Le 13 juin, à 21 h. 30, appel du Général de Gaulle à la radio de Londres. À tous les Français. « La France a perdu une bataille, mais la France n'a pas perdu la guerre... Rien n'est perdu, parce que cette guerre est une guerre mondiale... Dans l'univers libre, des forces immenses n'ont pas encore donné. Un jour, ces forces écraseront l'ennemi. » Paroles prophétiques qui devaient se réaliser magnifiquement.

- Le 25 juin, l'armistice a été signé hier au soir à Rethondes, dans le même wagon où les Allemands avaient capitulé en 1913.

- Le 1er juillet, les Allemands font leur entrée officielle à Bordeaux. Ludon est occupé par une demi-compagnie d'infanterie. Les hommes doivent avoir chacun un lit ; les voitures sont parquées derrière l'église. Dès le lendemain, les troupes poursuivent leur route vers la mer où elles vont se baigner. Ludon est évacué.

- 1941. Le 21 mai, Ludon est occupé par une compagnie d'automitrailleuses.

- Le 31 août, le maire demande une minute de recueillement, à l'ouverture de la séance du conseil municipal, pour rendre hommage à la mémoire de Marcel Guipouy, son adjoint, mort pour la France en Allemagne.

- Le 21 septembre, installation de la délégation spéciale nommée par l'arrêté du 29 août 1941 du ministre-secrétaire d'État à l'Intérieur et portant dissolution du conseil municipal. Cette délégation est ainsi composée : Président : M. le colonel Léon Bordessoulles ; membres : MM. Alfred Laroza, capitaine Paul Legrand. La délégation décide l'aménagement du terrain de sport au lieu-dit « La Peyhaute », sur la route du cimetière. Les Allemands, ayant appris qu'il reste des armes dans la commune, font des perquisitions à la mairie et trouvent effectivement quelques fusils sans valeur qu'on a négligé de signaler. Remontant à l'Autorité responsable qui aurait dû les livrer à Bordeaux, ils mettent en état d'arrestation le maire de l'époque, M. Charles Pineau. Ce dernier, malgré ses protestations de bonne foi, fut emprisonné au Fort du Hâ où il resta quarante jours en cellule.

- 1942. Le 1er février, M. l'abbé Guitraud est nommé curé de Ludon.

- Le 19 juillet, cantonnement dans le bourg d'une compagnie d'infanterie. Blanquefort est occupé par une division à l'instruction. L'Allemagne ne pourrait-elle pas instruire ses jeunes soldats chez elle ?

- Le 12 octobre, départ des Allemands, pour la Russie, disent-ils.

- 1943. Le 17 mai, Bordeaux subit son plus violent bombardement sur le quartier de la Martinique, Bacalan, la gare du Médoc : 300 morts.

- Le 22 juin, visite de Son Excellence Mgr Feltin, archevêque de Bordeaux.

- Le 8 septembre, on apprend avec soulagement en France que l'Italie a capitulé.

- Le 15 décembre, départ des premiers jeunes gens de Ludon pour le travail obligatoire. Ils ne vont heureusement pas en Allemagne.

- 1944. Le 6 juin, grande nouvelle qui nous remplit d'une immense espérance : les alliés ont débarqué en Normandie et marchent sur Caen.

- Le 11 juin, le maquis qui a déjà fait parler de lui en Médoc, du côté de Lesparre, fait son apparition dans la région d'Arsac. Valier, à Parempuyre, a été rançonné. On apprend aux dernières nouvelles, qu'il s'agissait de pillards espagnols et non de F.F.I. (Forces Françaises de l'Intérieur).

- Le 15 août, les Américains, les Anglais et les Français (1ère Armée) débarquent sur la Côte d'Azur, entre Cannes et Toulon.

- Le 19 août, la grande bataille de Normandie touche à sa fin. À Paris, la lutte pour la libération avait commencé par la grève des agents de la police. Les combats de rues se poursuivirent plusieurs jours. Les Allemands, peu à peu refoulés et exaspérés, parlaient de détruire la ville, lorsque, le 24, le général Leclerc, à la tête de sa division blindée, arrivait à Longjumeau. Le 25 au matin, il franchissait la porte d'Orléans ; dans l'après-midi, le général commandant le « Gross Paris » signait la reddition des troupes allemandes.

- Le 25 août, dès que la nouvelle est parvenue en province, les cloches sonnent sans arrêt, les drapeaux jaillissent aux fenêtres. À Bordeaux, l'affiche suivante est placardée, sur l'ordre du général commandant en chef : Appel à la population. « En tant que commandant suprême des troupes allemandes de la région de Bordeaux, je déclare qu'aucune destruction n'aura lieu dans Bordeaux et l'agglomération bordelaise et que le port et les ponts de Bordeaux, qui sont minés, ne seront pas détruits si la population s'abstient, jusqu'après le départ des troupes allemandes de Bordeaux, de tout acte de sabotage. »

C'est la fin de quatre années d'occupation. La liste du gouvernement de Gaulle a paru. La ville de Bordeaux est calme, mais sans beaucoup d'ordre. Les Allemands partent avec lenteur ; il faut qu'ils fassent passer par Bordeaux toutes leurs troupes du Sud-Ouest. Une partie, d'ailleurs, restera dans les secteurs de Soulac et de Royan.

De nombreux F.F.I. sillonnent les rues, la foule ovationne ses défenseurs. Eux, les résistants, accourus des maquis voisins, laissent éclater leur joie ; ils défilent en groupes imposants, tandis que la fuite allemande s'étire en colonnes parfois grotesques qui n'ont plus rien de militaire. La Résistance est à l'honneur. Spontanément jaillie des profondeurs de la nation, au-dessus de toute préoccupation de parti, elle s'est dévouée au combat pour la libération de la France. Elle n'y eût point cependant réussi sans l'assentiment de l'immense masse française. Celle-ci, en effet, dans sa volonté instinctive de survivre, n'avait jamais vu dans le désastre de 1940 qu'une péripétie de la guerre mondiale. Si beaucoup se plièrent par force aux circonstances, le nombre de ceux qui les acceptèrent dans leur esprit et dans leur cœur fut littéralement infime. Jamais la France ne crut que l'ennemi ne fut point l'ennemi et que le salut fut ailleurs que du côté des armes de la liberté.

- Le l0 septembre, à 12 heures, conformément à la loi, M. Charles Pineau, ancien maire, reprend possession de la mairie sans aucune difficulté. Ainsi, la transmission des pouvoirs municipaux se passe dans le calme à Ludon. Il n'en fut pas de même dans beaucoup de localités. Partout, la police F.F.I. dut s'organiser. À Ludon, ses éléments furent rapidement absorbés par la Compagnie du capitaine Binaud, à Cantemerle, qui assura l'ordre d'une façon parfaite pendant plusieurs mois.

- Le 10 septembre, installation du conseil municipal. M. Charles Pineau donne lecture de l'ordonnance du 21 août 1944 portant organisation des pouvoirs publics en France après la libération, dans laquelle il est dit notamment, article 3 : « Jusqu'au jour où il sera possible de

procéder à des élections régulières, les conseils municipaux élus avant le 1er septembre 1939 seront maintenus ou remis en fonctions ».

Étaient présents : MM. Saurue, Martin, de Latouche, Dourneau, Giraud, Sureau. En même temps, les comités de libération firent leur apparition. Ces organismes extra-légaux se recrutèrent eux-mêmes et imposèrent leur nomination à une autorité supérieure impuissante. Le rôle qu'ils se donnaient était la surveillance générale de la commune ou de la ville, depuis

le ravitaillement jusqu'à l'activité des fonctionnaires, mais leur but principal fut l'épuration (le régime « d'épuration » n'était pas une chose nouvelle en France, Il est curieux d'en retrouver l'origine en 1815, après la chute de Napoléon, pendant cette période qu'on a appelée la « Terreur Blanche ». « Des comités s'étaient formés dans chaque ville, dans chaque bourgade, en comités royalistes qui, s'efforçant de substituer leur influence à celle de l'administration

supérieure, devaient bientôt intervenir dans le choix puis dans les actes des moindres autorités de chaque commune. Gens impatients de venger leur rancune ou leurs injures, de rétablir leur influence ou leur fortune perdue, voilà quel était, en beaucoup de lieux, le personnel de ces réunions. D'abord, leurs membres s'occupèrent d'avoir à leurs ordres une sorte de force armée. Une fois cette force créée, ils proclamaient la nécessité d'épurer toutes les fonctions publiques. Courbés lâchement devant ces injonctions et ces menaces, les chefs de chaque administration obéissaient, ou alors on surmontait l'obstacle à l'aide de dénonciations impérieuses adressées au magistrat. Le système d'épuration appliqué aux emplois de tous les degrés et de tous les ordres devint la tâche et l'œuvre de ces comités. Des lois créant de nouveaux tribunaux, de nouveaux délits, et de nouveaux crimes établirent des poursuites plus promptes, une pénalité plus sévère et des sentences plus rapides. » (De Vaulabelle, Histoire des Deux Restaurations. Tome IV, p. 3).

Sous le couvert de collaboration qui visait toute compromission avec l'ennemi, depuis la plus légère jusqu'à la trahison, les vieilles haines, longues de nombreuses années, se réveillèrent trop souvent pour aboutir à de véritables règlements de compte. L'action des comités de libération devint même violente dans certaines localités, lorsqu'ils purent s'appuyer sur certains éléments du maquis. Les vrais résistants n'obéissaient qu'aux chefs qu'ils avaient élus et, s'ils ont parfois fait preuve notoire d'indiscipline, ils gardaient du moins une conscience de soldats ; mais, bientôt, une horde d'aventuriers se glissèrent dans leurs rangs, arborant des brassards et des insignes, créant le désordre. Sous prétexte de poursuivre les suspects, des maisons furent pillées, des citoyens arrêtés sans raison. Sous le motif de réquisition s'organisait le pillage. Une atmosphère d'émeute régnait (Journal « Sud-Ouest» du 5 novembre 1946.) Ces gens, qui n'avaient rien de commun avec la Résistance, furent qualifiés, par un spirituel avocat bordelais, de « Robespierrots » et maquisards du Jardin-Public (Journal « Sud·Ouest » du 31 mars 1945.)

Les comités de libération ne devaient, en principe, que signaler les coupables à la justice, mais certains d'entre eux, sous l'influence de ces groupements armés, s'érigèrent en véritables tribunaux, emprisonnant et infligeant des amendes souvent très lourdes. C'est ainsi qu'on vit à

Lesparre, incarcérés le même jour dans la prison de la ville, le Président du Tribunal, le Procureur de la République, un juge, le curé et plusieurs notables qui furent tous relâchés d'ailleurs le lendemain à Bordeaux. L'auteur de ces arrestations arbitraires s'était affublé d'un bien beau nom, le commandant « Bayard ». Ce nouveau chevalier sans peur et sans reproches devait, quelques années plus tard, être traduit en Cour de justice et condamné.

L'homme qui a rétabli l'ordre à Bordeaux et en Gironde a été le Colonel puis Général Druilhe qui commandait la 18ème Région militaire. II sut s'entourer d'un état-major courageux comme lui, compétent et dévoué, sur lequel il pouvait compter. Il put canaliser hors de la ville et finalement neutraliser les éléments indésirables. L'œuvre du Général Druilhe, menée à bien avec un doigté et une patience admirables, ne doit pas être oubliée. Mais les anciens conseils municipaux ainsi reconstitués restaient défectueux par le nombre de conseillers. Beaucoup de ces derniers avaient disparu depuis 1936. Aussi, la Préfecture procéda-t-elle directement à des nominations. À Ludon, M. André Hertig, propriétaire, fut ainsi désigné. II devait prendre, dès les premiers jours, une place prépondérante dans le conseil.

Paul Duchesne, La chronique de Ludon en Médoc, Rousseau frères, Bordeaux, 1960, p. 220-225.