Les vieux métiers 

La rue Gambetta, c’est l'ancienne rue de la Cure où vit M. Bernard Constantin. Tout le monde l'appelle « Fanus ». C'était un excellent menuisier. Il est maintenant trop âgé pour travailler, mais nous l'apprécions tous ! Fanus est né à Macau, le 12 novembre 1845. Cette rue était si étroite qu'une charrette avait juste la place pour passer ; si on tendait les bras, la main droite touchait la mercerie de Rosa, tandis que la main gauche touchait la pâtisserie de Corinne. L'atelier de Fanus était toujours ouvert. On voit sa fine silhouette aller et venir. Son sourire était gracieux et avenant, ses longs cheveux blancs très soyeux, accompagnaient des yeux malicieux. En passant, on respirait la bonne odeur des ripes et du son de bois... tout doucement, il poussait le rabot. Vlan... Vlan... En rêvant. Il adorait, il travaillait, il pensait constamment à son petit-fils, Pierre Avinen. Pierre Avinen chante, en frac, chapeau haut de forme. Quelle aisance sur la scène. Quel art pour esquisser des pas de danse. Il est très applaudi dans tout le Sud-ouest, en particulier au Casino de Bordeaux, qui est installé place des Quinconces, en plein air. Son répertoire est varié, mais quel art pour chanter la Quarantaine. Il a une façon si cocasse

de bomber son ventre que tout l'auditoire rit. C'est un fervent admirateur de Max Linder,
qu'il imite souvent. Max Linder est né à Ambarès, il fait du cinéma. Dans la région, tous les
cinémas donnent un film de Max Linder. Pierre Avinen ne cherche pas à s’expatrier, mais
il est un chanteur bordelais à succès.

Autrefois, la rue Gambetta n'était pas comme aujourd'hui. Elle était beaucoup plus étroite. C'est la commune qui décida, en 1925, d'établir un plan d'alignement et qui fit démolir quelques bâtisses pour élargir l'entrée de cette rue notamment la pâtisserie de M. Cadre. Près de l'ancien atelier de la famille Deschans, c'est l'atelier de Zélima qui est sur la droite. Zélima Miquau, est une des meilleures couturières du village. Elle allait à domicile, faire des robes et, en particulier, le fameux tablier noir d'écolier. Elle savait aussi faire de solides culottes pour les garçons. À la rigueur, elle ravaudait bas et chaussettes. Il fut un temps, l'institutrice eut la charge de recruter une monitrice de couture pour les filles de l'école. Mlle Bartherote avait choisi Zélima, parce qu'elle aimait le travail bien fait. Trois après-midi par semaine, Zélima faisait faire à des élèves des ourlets, des surjets, du point de croix, du point d'épine ; vers la fin de l'année scolaire, quand elle jugeait l'enfant assez habile, elle l'invitait à franchir l'ultime difficulté : la boutonnière. Combien de générations de filles ont appris sous sa direction, ainsi, à surmonter les restrictions du ménage en assurant la couture familiale.

Cela fait maintenant une petite dizaine d'années, vers 1913, que la fabrique de chandelles et de bougies de M. Deschans, située rue Gambetta, est fermée. Autrefois, nous nous adressions tous à M. Deschans pour acheter nos chandelles et bougies pour la maison ou pour le chai. Certains jours, Macau était envahi par une odeur particulière disparaissant au gré des vents, mais revenant très vite. Macau était enveloppé comme dans un cocon par cette odeur qui n'est point malsaine mais forte et tenace. Les Deschans faisaient fondre du suif pour fabriquer leurs fameuses chandelles. Ils se félicitaient de faire ce métier depuis le XVIIème siècle, peut-être 1608. Il est vrai que Macau-dedans faisait partie de Sainte-Croix. L'abbaye nommait un curé qui était grand justicier et prélevait les dîmes (taxe prélevée par l'Église, en général 10 % des revenus). Il avait aussi le droit de porter le titre de « baron ». Sous Louis XIII, à la requête de l'abbé Sampetro d’Ornano, fut promulgué un édit : « tous les propriétaires tenanciers que fermiers des héritages sont sujets au paiement des dites dîmes et agrières (c'est une partie de la production due au seigneur comme le métayage plus tard), sinon soumis à la peine du fouet ». Un fondeur de l'abbaye de Sainte Croix a pu suivre un curé et s'installer à Macau presque en face du presbytère. Les Deschans se succédaient de père en fils. Après avoir pourvu en chandelles les églises, ils fournissaient aussi tous les gens qui fabriquent du vin et à notre époque nous sommes nombreux à en faire. L'aisance règne chez les fabricants de chandelles. Ils ont un grand coche avec une énorme malle à l'arrière et ils vont de château en château pour vendre leur marchandise. Leur maison est soignée, leur jardin fleuri et une grande volière abrite une nuée de petits oiseaux de toutes les couleurs en particulier des perruches. Depuis l'arrivée de l'électricité dans nos maisons, il est nul besoin des bougies ou chandelles. La fabrique a donc cessé d'exister. M. Deschans continue un autre commerce avec son Cru « Le Bigou », il fait un bon vin, il en expédie beaucoup à Paris.

Dans cette même rue habite Lisa la jardinière, Mme Frolin. C'était une petite brune devenue avec l'âge poivre et sel, très menue, si frêle et pourtant, chaque matin, elle partait, roulant sa brouette jusqu’à son long jardin qui était situé à la Grillade. Toute la matinée seule, elle bêchait, sarclait et semait. Le soir, elle arrosait tirant l'eau de puisottes creusées de distance en distance. À la fraîcheur, elle ramassait avec amour ses beaux légumes. En rentrant, elle se permettait un brin de causette avec les gens qui prenaient l'air devant les maisons qui garnissent le côté droit du chemin qui va à Ludon. En arrivant chez elle, elle arrangeait ses belles salades, ses jolis radis, ses carottes et oignons sur des étagères installées pour cet usage qui servaient de bancs. En haut, le paquet valait dix sous, au milieu cinq sous, en bas un et deux sous. Le jour suivant chacun venait, se servait et la petite boite disposée sur une table se remplissait peu à peu. Qui aurait voulu tromper une femme qui travaillait tant pour la communauté !

Il y a de cela 130 ans, une partie de la population Macaudaise n'était vraiment pas riche. Elle était même très pauvre. On appelait cette population les « indigents ». La commune leur venait en aide en les nourrissant. C'était parfois délicat car le pays lui-même était en période de disette. Il n'y avait donc que la commune et le comité de subsistance qui pouvaient aider ces pauvres malheureux. Un jour du 6 floréal an 2 (25 avril 1794), le conseil dut entendre à la maison commune la plainte du citoyen Fauche qui venait demander justice suite au vol de pieds d'ail dans son champ au lieu-dit « Duprat » par le citoyen Jean Sudre, aîné. Ce dernier reconnut les faits, et n'avait que pour seule défense, qu'il était pauvre et qu'il n'avait dérobé cet ail que pour son déjeuner. Sur ses dires, le conseil lui infligea une peine de 2 fois 24 heures de prison, car de toute manière, le plaignant n'exigeait aucun dédommagement. Le 21 floréal de l'an 2 (10 mai 1794), un vol plus important avait été commis sur la commune de Labarde. Le citoyen Louis Martin, vigneron à Labarde, travaillant chez le citoyen Liench et habitant sur la même commune, fut surpris à voler 56 artichauts dans le champ du citoyen Dugravier. Lors du déplacement des autorités au domicile du citoyen Martin, il fut découvert 400 ails et environ 60 oignons. Ce méfait ayant été commis sur la commune de Labarde, partie du canton de Macau, il a été jugé par le citoyen Étienne Cot, juge de paix du dit canton. À cette occasion, le citoyen M. Martin reconnut les faits. Après l'avis des élus, le juge de paix, décida de transférer Louis Martin, alors prisonnier, devant le tribunal de police correctionnelle de Bordeaux, lequel statua définitivement sur le sort de ce citoyen pas très honnête.

Il y a aussi Percy, elle est brodeuse. Sur un cadre de bois installé près de la fenêtre, elle tirait l'aiguille du matin jusqu'au soir. On voyait, sur le drap surgir de belles lettres blanches, bien en relief. Par moment, pour reposer ses yeux, elle prenait son tambour recouvert de velours rouge et là, s'emmêlaient tiges, fleurs et feuilles aux couleurs vives. C'était pour faire des coussins que l'on garnissait d'une belle cordelière de soie. Vieux et jeunes, quelques fillettes, venaient admirer son délicat profil penché sur l'ouvrage, ainsi que ses jolis doigts blancs, voltigeant tels des papillons parmi ses fils de couleur.

Dans la rue Camille Godard, il y a le château Fine-Rose. Cette propriété produit un vin dont le bouquet et la finesse proviennent du choix parfait des vieux cépages français. Elle appartient à M. F. Hosteins. Une partie du vignoble est plus que centenaire et donne au vin un parfum délicieux. Dans cette propriété, on fabrique aussi des barriques. C'est avant tout une famille de tonneliers.

L'étameur (ou le rétameur) était un personnage très apprécié des ménagères car elles avaient toujours une louche, quelques couverts, des seaux en cuivre, des bouilloires, des casseroles, des plats et des assiettes en étain à faire étamer. Dans un grand chaudron, chauffé par un feu de bois, le métal couleur argent fondait fluide comme de l'eau. Ensuite, à l'aide d'une louche à long manche, l'étameur versait le métal fondu, dans un moule où il plongeait une vieille cuillère, qu'il retirait aussitôt, brillante, comme neuve. Il colmatait aussi les trous et recouvrait les parties usées avec une fine couche d'étain, pour protéger le métal de l'oxydation. M. Lafitte, était l'étameur de Macau. Son atelier comme un antre, était grand ouvert été comme hiver, il s'en dégageait des vapeurs et une odeur particulière. Sous le grand chaudron dansaient les flammes bleues et vertes, tandis que le vieux Lafitte avec sa louche, versait le vif argent sur les objets. La cuisine se faisait alors dans des casseroles de cuivre. Pour ne pas s'empoisonner, il fallait étamer l'intérieur. Le prix de ce travail était onéreux. C'était seulement dans les maisons bourgeoises et cossues que l'on pouvait s'offrir le luxe d'aligner dans les cuisines des séries de casseroles bien étamées ! Etamer était un art ! Nous étions tous bien contents de son travail. Il faisait des tournées dans les communes voisines pour collecter les objets que les habitants souhaitaient restaurer.

Une pensée de Macau, Marie-Christine Corbineau, Les Enrasigaïres, 2012, p.116.121.