La commune sous la Révolution an II-an VIII 1793 1800

Les cabaretiers recommencèrent à faire parler d'eux. Une ordonnance en vigueur depuis près de trois ans leur enjoignait de fermer boutique à 9 heures du soir. Mais ils ne respectaient guère cet arrêté et, lorsqu'ils étaient pris en flagrant délit, ils protestaient en disant que l'horloge de la municipalité avançait et que son heure n'était pas la leur. Pour éviter tout prétexte aux cabaretiers contrevenants, ceux-ci furent avertis « que désormais les jours de dimanche et de fête, la grande cloche sera sonnée à huit heures 3/4 ». Le cabaretier Armand Técheney, demeurant à Gaston, fut condamné, le 7 février, à 12 livres d'amende « pour avoir tenu chez lui des gens à boire aux heures indues de la nuit ». Sur ces 12 livres, 3 revinrent au sacristain sonneur de cloches, 4 à la garde qui fit la tournée. 5 à la commune.

Les boulangers furent aussi visés par un arrêté municipal :

« 1° Que, désormais, ils ne manipuleront qu'une espèce de pain où entreront toutes les farines,

2° Que la taxe du dit pain serait à raison de 2 deniers par livre du prix du blé,

3° Que les boulangers devront, chaque semaine, porter à la municipalité le prix courant du blé,

4° Qu'ils ne pourront débiter du pain aux habitants des paroisses étrangères qu'autant que ceux de Blanquefort auront été fournis (et ceux-ci seront tenus de se pourvoir dans la matinée). »

Mais, par suite de la coalition générale contre la France, la levée en masse est ordonnée. Le 16 mars 1793, deux commissaires envoyés par le Directoire du District de Bordeaux vinrent « suivre et surveiller les opérations relatives à l'exécution du décret de la Convention relatif à la levée de 300 000 hommes ». Le dimanche suivant, tout Blanquefort ayant été convoqué à l'église, le curé lut au peuple le décret et annonça l'ouverture d'un registre « pour recevoir les inscriptions volontaires de ceux qui s'offriraient pour aller joindre les armées de la République ».

Mais l'appel eut bien peu de succès puisqu'un seul volontaire se présenta : Arnaud Dornon, âgé de 18 ans. Et pourtant, le Directoire demandait huit hommes à Blanquefort ! On se réunit alors chez le citoyen Cholet et, sans plus tarder, on procéda... « à l'élection de sept citoyens ».

Voici les noms des sept volontaires ! malgré eux : Debroca (85 suffrages), Barada aîné (79), François, dit Pontaque (65), Bertrand Maugey (64), Richard fils (60), François Fillon dit Major (58), Michel Tessier, jardinier (53).

On annonça, quelques jours après, que « la Bassiole » formant partie des biens dont jouit la Fabrique, a été affichée à leur insu pour être vendue et livrée au plus offrant et dernier enchérisseur, la vente devant se faire dans la salle ordinaire du district de Bordeaux, le jeudi 4 avril 1793. Le 31 mars, la municipalité se réunit et fit une opposition formelle à cette vente. 43 citoyens furent immédiatement délégués pour protester en haut lieu. Cette démarche collective produisit un certain effet, puisque l'adjudicataire renonça à ses projets. Dans le même temps, les boulangers et les habitants se plaignirent « que depuis l'établissement d'une fabrique d'amidon sur le territoire, les farines se trouvaient altérées et que le pain était de mauvaise qualité ». La municipalité obligea le citoyen Laurent à se spécialiser et à se cantonner dans la moulure des grains d'amidon.

Avec la chute des Girondins (mai 1793), le régime de la Terreur va commencer. Aussi, les certificats de civisme sont-ils distribués généreusement par les autorités municipales blanquefortaises. En même temps, une pétition fut adressée « aux citoyens administrateurs du Directoire du département de la Gironde concernant la reconstruction de l'église appelée Temple de la Divinité ». Cette pétition est trop longue pour être transcrite en entier.

Après avoir rappelé « la chute du Temple que la piété de leurs pères avait consacré à la Divinité », la municipalité rappela les nombreuses démarches qu'elle avait déjà tentées auprès des pouvoirs publics.

Ce fut la mise en vente de la Bassiole qui obligea les officiers municipaux de la commune à se départir de leur silence. « Les citoyens de Blanquefort, justement alarmés de cette entreprise, nous ont délégués vers vous. Nous venons vous exposer avec confiance leurs sentiments et leurs réclamations qui sont les nôtres. Adorer un Être suprême en suivant le culte catholique, tels sont nos sentiments religieux... Lorsque les représentants de la Nation établirent de renouveler les lois, ils avaient placé au premier rang des dépenses de l'État celles de ses ministres et de son culte. » Suivant la demande pour la reconstruction de l'église. Il faut reconnaître que la Révolution respecta à Blanquefort les grandes processions. Témoin cet arrêté : « 20 mai 1793, l'an II de la République Française, Nous Maire et Officiers municipaux de Blanquefort, assemblés dans le lieu ordinaire de nos séances, sur ce qui nous a été représenté, que les chemins et rues où doit passer la Procession du Saint-Sacrement jeudi prochain, sont en très mauvais état, avons ordonné et ordonnons, sous peine d'amende arbitraire, à tous propriétaires et locataires de maisons situées autour de l'église dudit Blanquefort et sur le chemin qui conduit à la Croix de Pierre près du domicile de la citoyenne Béringhen, de nettoyer et aplanir, chacun devant sa propriété, le chemin et rues ci-devant mentionnés, et ce pour jeudi prochain 30 du courant, jour de la Fête du Saint-Sacrement. »

Le 4 juillet 1793, J.B. Dupont, ancien religieux, fut admis à professer la pharmacie dans la commune. Dans le courant de la même année, Blanquefort manqua de blé au point que ses habitants durent se passer de pain pendant de longues semaines. Les citoyens Jacquet et Roch Mounier furent autorisés à se rendre en Charente-Inférieure pour acheter le blé nécessaire à la nourriture des 2 063 habitants qui, en septembre, « éprouvaient depuis longtemps les horreurs de la famine ». Le 20 octobre, deux boulangers purent fonctionner : Ladie et Desbrosses, pendant que la municipalité lançait un nouvel appel aux « citoyens représentants du Peuple Français près le département du Bec d'Ambès ».

La faim provoqua des récriminations chez le peuple et le curé Saincric fut obligé de lancer un appel pour une soumission plus complète à la loi et une obéissance stricte aux édits municipaux.

Le 16 germinal de l'an II (car nous en arrivons au calendrier républicain), il prononça un arrêté spécifiant que « toutes les femmes et filles, enfants de l'un et de l'autre sexe », devraient continuer à travailler la terre au lieu de se livrer à un autre travail sous peine d'être privés de leur ration de pain.

Les fêtes diverses, imposées par le Gouvernement, vont se multiplier, se déroulant toutes de la même façon : cortège, comprenant les édiles, la garde nationale; la population se rendant place de la Liberté, puis au « Temple Décadaire » en chantant et criant. Le 10 frimaire an II, on brûle les titres féodaux, tandis que la foule donne des « marques éclatantes de joie et de satisfaction par des chants et des danses ». Le 23 thermidor, c'est la fête « concernant l'acceptation de l'acte constitutionnel ».

Les plus fort imposés de la commune étaient Dulamon et Alexis Réaud.

Le commerce était de plus en plus soumis à la réglementation. Le 12 nivôse, le prix du lait fut fixé à 16 sols le pot, tandis que la marge bénéficiaire des commerçants passait à 2 sols par livre de marchandise vendue. Le marché se tenait toujours place de Leyre, derrière l'église, où se trouvait aussi l'arbre de la Liberté.

Mais les exigences de Paris s'aggravent. On procède d'abord à une réquisition de bêtes sur la base de 400 livres pour un cheval, 300 pour une jument et 250 pour un mulet. Puis, eut lieu une récupération du fer de la commune. Les visites de commissaires de district se multiplièrent. Le 12 prairial, Saincric dut rendre ses lettres de prêtrise et son titre de curé. Il en fut de même pour le chanoine Dulau, le 4 messidor. La municipalité distribua les certificats de résidence nécessaires avec largesse, par exemple aux Dupaty, à Saincric, Lavie, etc. Plusieurs soldats, originaires de Blanquefort, blessés ou malades, vinrent se reposer dans leurs foyers : Bonnard, Laloubeyre, Bacquey, Moustié, Hugon, Lambert, Campignolle, Técheney, Sylvestre, Barada.

Le 10 pluviôse eut lieu l'adjudication d'une vigne suivant la coutume de la bougie. Le flambeau s'éteignit à 216 livres offertes par Armand Técheney. Le 5 ventôse, nous retrouvons un état de la situation financière de la Fabrique établi par Robert Tartas. Pour l'année, les recettes furent de 701 livres et les dépenses de 458 livres 2 sols. Tandis que la Bassiole, propriété de ladite Fabrique, était octroyée, aux enchères, à Bidon pour 4 025 livres.

L'an III ne réserva aucun événement d'importance. La vie s'écoula, toujours difficile, dans une ambiance sombre et quelque peu angoissée. Les affaires étaient maintenant gérées par un Conseil cantonal composé comme suit : président : Saincric ; agents municipaux : Jeantillan,

Troupenat, Linars ; adjoint : Dardan ; juge de paix : Lebrun ; auxquels venaient se joindre, suivant les ordres du jour, d'autres personnalités, comme les officiers de la garde nationale.

Nous en arrivons à l'an IV. Le 10 thermidor, nouvelle fête. « À 11 heures du matin, la garde nationale s'est rendue à la maison commune, l'administration s'y est jointe, et en chantant les airs chéris : Allons enfants de la Patrie, on s'est rendu au Champ de Mars. Le président a prononcé un discours analogue à la Fête ; des cris de : Haine à la tyrannie, Vive la Constitution, Vive la République, ont été répétés par tous les citoyens présents. Le cortège est revenu à la maison commune ; après quoi, le peuple s'est livré à la plus vive allégresse. »

À la suite de la loi du 19 fructidor, eut lieu une modification du Conseil (certains membres trop favorables à la monarchie), tandis que le citoyen Perey était nommé commissaire du pouvoir exécutif près l'administration. Aussi, les serments de « Haine à la royauté, à l'anarchie », se multiplièrent-ils ; en particulier celui du citoyen Marcourt « désirant exercer le culte catholique à Blanquefort ». De son côté, Saincric fut inquiété pour avoir délivré un certificat de résidence au châtelain Lavie. Deux commissaires du canton, « chargés de vérifier ses actes », attestèrent, le 29 frimaire an VI, « qu'ils avaient trouvé chez lui tous les actes dans la meilleure forme et qu'ils ne contenaient aucune clause contraire aux lois de la République ».

Saincric était devenu notaire depuis deux ans. On nous le signale, à cette époque, comme étant âgé de 50 ans, taille de 5 pieds 2 pouces, cheveux et sourcils châtains, yeux bruns, nez ordinaire, bouche grande, menton et visage rond.

Le 5 nivôse an VI, « Maurian, domaine consistant en bâtiments, cour, jardin, 36 journaux de terre labourable, 24 de vigne, 5 de bois taillés, 5 de prairies, 1 de terre en friche », fut adjugé définitivement à Élisabeth Andrieu, ex-épouse du seigneur de Maurian, comme la plus forte et dernière enchérisseuse, pour la somme de 1 750 francs.

De son côté, « Dillon, domaine consistant en maison, cour, jardin verger de la contenance de 16 journaux, 50 journaux de terre labourable, 92 de vigne, 80 de prairie, 20 règes de bois taillé ; un autre domaine avec dépendances de la contenance de 7 journaux, 36 de terre labourable, 24 de vigne, 4 de bois taillis, 2 de prairie, aubarèdes, le tout situé dans la commune de Blanquefort; et 13 journaux de prairies ou aubarèdes situés dans la commune de Parempuyre », furent adjugés définitivement au citoyen Bazalle-Mirande pour la somme de 4 150 livres.

Le 5 prairial, eut lieu un appel de militaires : Sylvestre, Maugey jeune, Martin, Nonier, Jacques, Degan, Pineau ainé et jeune, Toulouze, Duverger, Campignolle, Técheney, Fillon, Coutoula, Bernard, Larribat, Nazillon. Leur départ eut lieu le 7 nivôse an VII. « Leur impatience d’arriver où la loi les appelle permettait à peine de mettre en règle les expéditions du départ ». Ce zèle venait à l'appui des « preuves que les habitants de Blanquefort ont donné jusqu'ici de leur dévouement pour la cause publique ».

À cette époque, deux écoles existaient à Blanquefort, qui étaient tenues par Ferry aîné et cadet. Nous verrons plus loin qu'elles ne subsisteront pas. Blanquefort était la commune la plus importante du canton avec 2 063 habitants, tandis que le Bouscat en avait 1 160, Bruges 850, Eysines 1 772, Parempuyre 515, Saint-Aubin 445, Le Taillan 781 et Saint-Médard 1 337. Nous voyons que la répartition des communes par cantons n'était pas la même que de nos jours et que les populations ont augmenté en général depuis, en particulier pour Saint-Médard et surtout le Bouscat.

Revenons aux nombreuses fêtes, qui furent d'ailleurs troublées par un événement qui en dit plus long sur l'état d'esprit des habitants que les comptes rendus de la municipalité. L'arbre de la Liberté, « signe chéri de la Patrie », situé au Champ de Mars, fut abattu le 5 messidor par des malveillants que l'on ne retrouva jamais, en dépit d'enquêtes très poussées à la demande du district.

Le 10 prairial, fête de la Reconnaissance et des Victoires, au cours de laquelle Saincric rendit un vibrant hommage à Hoche et « Buonaparte », et fête des époux. Le 10 messidor, fête de l'Agriculture et plantation d'un nouvel arbre de la Liberté. Le 10 thermidor, fête de la Liberté, avec nouveaux discours décrivant « la Tyrannie Triumvirale que la Terreur et les échafauds avaient érigée sur les débris de la Tyrannie monarchique et qui, les 9 et 10 thermidor de l'an II, périt dans ses propres filets. À cette époque, le bandeau de l'erreur fut déchiré, l'illusion disparut, le peuple français brisa l'idole et reconquit encore une fois sa Liberté ».

Le 10 août, nouvelle fête, et Saincric « peint Capet bas et pusillanime, se traînant au sein de la représentation d'un peuple humain qu'il venait d'assassiner ». Le 10 fructidor, fête des Vieillards où « les chapeaux qui couvraient les têtes blanches furent agités en signe d'allégresse ». Le 18 fructidor, nouvelle fête, avec feux de joie. Le 1er vendémiaire, fête de la fondation de la République, au cours de laquelle le buste de Bonaparte fut installé à la maison commune.

Le 29 pluviôse an VII, François Lacaussade débitant de vin, protesta contre le fait qu'on l'empêchait de faire danser chez lui, alors que les bals avaient lieu dans d'autres établissements de la commune. Mais, que devaient faire les jeunes, puisqu'un arrêté leur interdisait absolument de travailler les décadis et jours de fête ? Un autre arrêté du 19 germinal interdit les rassemblements « aux jours ci-devant fériés ou à toute autre époque périodique de l'ancien calendrier ayant pour objet vente et achat de marchandises ».

Du reste, l'Administration se plaignit que « les citoyens conservent les coutumes du culte catholique, succession de plusieurs siècles d'erreurs ». Le 19 germinal, la municipalité invita les propriétaires à faire eux-mêmes les réparations nécessaires à la grand-route devenue presque impraticable. Les diligences du Médoc qui l'empruntaient devaient s'arrêter fréquemment en cours de route, si bien qu'une bande de vagabonds s'installa dans un bois des environs de Ludon pour les piller tout à loisir. À ce propos, signalons qu'il n'y avait pas de relais de poste à Blanquefort à cette époque, mais qu'avant la Révolution il y en avait un situé dans l'actuelle rue Tastet-Girard à une vingtaine de mètres de la place de l'Eglise.

Le 12 floréal, onze soldats de plus sont demandés à la commune. Tous les moyens sont bons pour éviter de partir, et la maladie à la mode est l'épilepsie. Si la réquisition des hommes présenta de nombreuses difficultés, celle des bêtes provoqua autant de mécontentement. De plus, les protestations affluèrent concernant les impositions que chacun voulait voir réduire pour son compte personnel. Qui dit mécontentement dit représailles, dans une époque aussi troublée. Mais Roche, juge de paix, était dans l'incapacité de prononcer les peines de détention, n'ayant pas de prison. Aussi, le 13 floréal, se mit-il en grève jusqu'à ce qu'il eut à sa disposition une prison et un concierge pour celle-ci. Le Conseil municipal décida « que la chambre ci-devant dite des Fabriqueurs attenant au Temple décadaire, qui sert en même temps au culte catholique, servira de maison d'arrêt » ! Roche, revenant alors sur sa décision se décida plutôt pour « la maison des ci-devant orphelines de Bordeaux ».

Le 9 fructidor, un détachement ayant été demandé pour faire partie des 3 000 hommes chargés de la défense intérieure du département, sont nommés : Massé, capitaine ; Laffargue, sous-lieutenant ; Dupuy, Moustié, caporaux ; Bidon, Faugère, Campan, Martin, Berninet, Broustic, Verdier, Audignon, Faux, Hostin, Maugey, fusiliers.

Le 13 germinal an VIII, Sibaday et Goulière deviennent soldats. Plus tard, ce sera le tour de Blanc, Claveau, Lebron, Romefort, Moustié.

Guy Dabadie, Blanquefort et sa région à travers les siècles, Imprimerie Samie, Bordeaux, 1952, extraits de p. 105-117.