Demande en Mariage
Voici trois belles lettres de demande en mariage,
- celle du prétendant adressée à la mère de la jeune fille,
- la réponse de la mère
- l’annonce de cette réponse favorable à l’élue de son cœur.
Lettre initiale :
Tusson, le 15 décembre 1911 Madame Cécile Moreau
Il y a déjà un peu plus d’un mois que j’ai eu le bonheur de faire connaissance, au mariage de mon frère Ulysse, de Mlle Thérèse, votre aimable fille.
Je vous avouerai que depuis longtemps j’avais pensé à elle, mais je n’avais pas su trouver l’occasion de le lui manifester ; heureusement que ce jour est venu où j’ai pu lui faire part de mes intentions.
Depuis ce jour, je suis été à plusieurs fois chez vos parents [la famille restée au village, la mère (divorcée) a du chercher du travail à Paris], afin de faire plus ample connaissance de votre aimable enfant, laquelle a été très gentille de me faire connaître qu’elle n’était pas éloignée de partager les mêmes sentiments d’amitié que j’éprouvais pour elle.
Je crois de mon devoir de venir vous demander la permission de continuer à parler à votre fille chérie, car je ne voudrais pas, dans le cas que vous y verriez quelques inconvénients, que Mlle Thérèse s’attache davantage à moi, pour qu’il lui soit fait de la peine, plus tard ; j’aime beaucoup mieux qu’il m’en soit fait à moi tout de suite, s’il ne vous plaisait pas que je lui parle.
Donc, madame, j’attends avec impatience votre réponse et vous dis à nouveau que Mlle Thérèse me plait beaucoup, que je l’aime davantage, et que si vous voulez nous rendre heureux à tous les deux, ce sera de nous unir aussitôt que cela sera possible.
En vous demandant Mlle Thérèse en mariage, je vous dirais que ma seule ambition est de la rendre heureuse autant que Dieu voudra bien me le permettre.
Je compte sur votre bon cœur pour cela et vous prie d’agréer pour vous et votre aimable famille mes amitiés les plus sincères. Léon Delisle.
PS : J’aurai bien aimé mieux vous faire part de vive voix de mes intentions auprès de Mlle Thérèse mais la distance m’en empêche. Si parfois vous avez l’occasion de venir à Tusson, ce sera pour moi un bien grand plaisir de vous les renouveler.
De plus, vous ne m’avez peut-être que très peu connu à Tusson, car je n’y étais que depuis un an à peine lorsque vous êtres partis à Paris et encore je ne suis pas resté complètement à Tusson durant cette année, et depuis, puisque je travaille de mon métier de jardinier à Fonqueure chez M. Élie Gautier qui habite Paris, 8 rue Théodore Ribot, 17ème arrondissement, chez qui il vous serait facile de prendre des renseignements sur moi, et si vous le désirez auprès de mes anciens maîtres M. Peyrelongue, notaire, 51 cours du Pavé des Chartrons à Bordeaux. LD.
Réponse de la maman :
Kremlin-Bicêtre le 27 décembre 1911.
Monsieur, Votre lettre m’est parvenue en son temps ! Croyez à ma contrariété de ne pas vous avoir fait réponse depuis. Votre demande en mariage avec ma fille Thérèse ne peut que me flatter ; comme elle, de son côté, semble éprouver le même sentiment à votre égard, je suis heureuse de vous dire que mon consentement vous est acquis. Je n’ai, à mon regret, l’honneur de vous connaître plus intimement, mais me confiant entièrement en votre bonne foi, l’occasion se présentera certainement d’ici peu. J’espère que vous rendrez ma fille heureuse. Vous voudrez donc me faire réponse à cette lettre, me dire quels sont vos projets d’avenir. Vous souhaiterez de ma part le bonjour à votre père ainsi qu’à votre mère. Recevez, monsieur, mes salutations empressées. Cécile Moreau.
Annonce immédiate à l’aimée :
Tusson, le 29 décembre 1911
Ma chère Thérèse. Comme on a bien raison de dire que les jours se suivent mais ne se ressemblent pas ; en effet, hier à chaque instant, à chaque fois que je passais devant cette fenêtre où derrière était tout ce que j’aime, j’apercevais un sourire dont vous seule avait le secret, et qui me plongeait dans une bien douce émotion ; croyez-le bien, j’aurai bien voulu que la journée dura plus longtemps, il me semble que jamais je ne me serais trouvé fatigué, car chaque fois ce sourire me donnait un courage, dont jusqu’à présent je ne m’étais pas senti capable.
Aujourd’hui, ce n’est plus cela, je suis ici à Fouqueure, privé de ce sourire qui hier me comblait de joie. Oui, c’est vrai que je suis bien ici, mais il y a quelque chose en moi qui n’y est pas ! Je vous l’assure, c’est ma pensée, elle est auprès de ce clocher qu’à chaque instant vous pouvez contempler, elle est tout près de vous, elle ne vous quitte plus un seul instant, elle est tout entière à vous et pour vous ; soyez-en persuadée.
Puis, je vous dirai que depuis hier matin je n’ai plus peur, j’ai la preuve vivante que votre maman a bien voulu me donner. Cette preuve est pour moi une grande consolation ; aussi, je la serre tout près de mon cœur, elle y demeurera bien longtemps jusqu’à ce soit vous-même qui y veniez prendre place définitivement, je dis ce mot car vous occupez déjà entièrement ce cœur qui vous aime tant et est à vous tout entier, à vous de le meurtrir si bon vous semble, il souffrira jusqu’à la torture, et vous dira avec beaucoup plus de force qu’il vous aime encore, qu’il vous aimera toujours.
Ma bonne Thérèse, j’aimais Tusson parce qu’il avait été mon berceau, il m’avait vu naître et j’avais de mes petits pas hésitants fouler son sol hospitalier, il avait bien droit à mon amour, aussi je lui étais reconnaissant, mais à présent je l’aime bien davantage, n’est-il pas devenu le berceau de nos amours, pas un seul endroit ne m’évoque-t-il pas de doux souvenirs, ne serait-ce que sa grande route ! Oh, qu’il me sera doux lorsque nous serons unis de la parcourir à nouveau en votre aimable compagnie, qu’elle nous rappellera de bonnes choses. Il me semble que je ne serais jamais assez reconnaissant pour mon Tusson et si dans la vie qui s’ouvre devant nous il nous arrive de nous en éloigner, nous ne l’oublierons pas malgré la distance qui pourrait nous en séparer. Nos souvenirs ne pourront pas s’évanouir et dans des pèlerinages que nous y ferions nous ne pourrons qu’y puiser une nouvelle force, une nouvelle amitié qui n’ira certainement qu’en croissant.
N’êtes-vous pas de mon avis, ma grrrande (sic) amie.
Je vous quitte à regret et vous envoie mes meilleurs baisers. Léon.
Léon Delisle est né le 16 décembre 1883 à Tusson en Charente et décédé le 23 décembre 1959 à Saint-Pey d’Armens en Gironde.
Son épouse, Thérèse Decressac, est née le 22 octobre 1894 à Tusson et décédée le 16 septembre 1975 à Bordeaux. Ils se sont mariés à Tusson le 4 juin 1912 et ont été depuis jardiniers du château Tanaïs de Blanquefort jusqu’en 1943.