Les pratiques religieuses disparues

Jusqu'en 1960, la pratique religieuse catholique était majoritairement suivie par la plupart des habitants de Blanquefort.

- processions ;

- rogations ;

- ténèbres ;

- confessions ;

- baptême, mariage et enterrement religieux ;

En l'espace de 50 ans, un certain nombre de rites religieux ont été abandonnés ; nous les faisons revivre à travers des témoignages des personnes blanquefortaises.

Entretien avec Henri Martin

Mes parents sont restés 30 ans là, mon père était jardinier et puis ma mère était cuisinière et puis femme de chambre… mon frère aussi qui est mort il y a longtemps. Je suis né à Montigny et ma femme est née aux marais, là où il y a la gravière ; on est natif de Blanquefort, il y en a de moins en moins…

Le curé Poirier était tout seul, il n’avait pas de vicaire, il vivait au presbytère avec 2 cousines soi-disant, Mlle Jeanne, et Mlle Augustine qui s’occupait des filles, les « rubans bleus », ce n’était pas les « bérets blancs ». Ma sœur en faisait partie, elle doit avoir 97 ans, elle est aux Coteaux (Les Vergers du Coteau, maison de retraite de Blanquefort), vous la connaissez. Elles se réunissaient à la cure sans doute et faisaient des concerts au « Grand Cercle ». Moi aussi, il paraît que je chantais bien, on me faisait chanter sur la scène ; on disait que j’avais une belle voix, mais j’avais peur de chanter devant le monde.

Les offices : il y avait une première messe, puis la grand-messe et les vêpres, puis le chapelet par Mme Pelou, qui habitait la grande maison à côté de la boulangerie. Avec Henri Courbin, on sonnait les cloches – vous savez, c’était un curé qui se foutait un peu de tout – car il n’y avait pas de sonneurs, c’est nous qu’on sonnait les cloches. On sonnait la première, puis entre 9 et 10 heures (je ne crois pas qu’on sonnait la sortie de la messe) ; on sonnait les vêpres.

On servait la messe, on avait une semaine, chacun son tour. Il y avait Henri Courbin et moi, peut-être d’autres, je ne me rappelle plus, et comme M. le curé n’était jamais pressé, on rentrait à l’école à 9 heures passées, et comme l’instituteur était plutôt de la gauche que de la droite, il était pas content. Et puis, alors, quand il y avait un enterrement, il fallait demander à l’instituteur de nous laisser partir, et puis il le fallait parce que mes parents étaient très pieux, et alors, il fallait aller à l’enterrement, aller servir l’enterrement. Alors, on allait chercher les corps, je ne sais pas où, par-ci par-là. On allait avec la petite cloche, avec M. le curé, habillés en rouge, avec un surplis blanc et de la dentelle, la calotte et avec des gants ; moi, je n’avais pas de gants. Quand il y avait un mariage, c’était pareil. On quittait l’école à 10 heures ou 10 heures et demie pour aller servir le mariage. On nous donnait la pièce, ceux qui se mariaient. Pour les baptêmes, c’était le dimanche en principe ; le parrain nous donnait un peu, 10 sous ; on économisait un peu d’argent et je m’étais acheté un vélo pour aller travailler.

L’orgue : Mlle Gabrielle de Kerkhove tenait l’orgue et l’harmonium pour les enterrements. Il y avait aussi les demoiselles de Saint Saud, propriétaires du château Dillon.

Le patronage : on faisait partie du patronage, c’était Joseph Delhomme, le père de M. Jean-Pierre Delhomme, et André Déris qui s’occupaient de nous. On allait répéter chez eux pour faire les concerts, on faisait les concerts pour gagner un peu d’argent, pour aller faire les concours de gymnastique. On avait été à Verdun, à Grenoble. On était bon à l’époque. Ma fille en faisait partie, elle allait aux concerts au « cercle », au petit et au grand. Tout ça, c’était le patronage, il n’aurait pas fallu le vendre, le démolir. Il y avait les « Bérets Blancs », la présidente était Marguerite Robert, il y avait le patronage des filles et celui des garçons, on ne mélangeait pas, on ne fréquentait pas comme ça, maintenant on mélange tout.

Pour la Semaine Sainte, il y avait un enfant de chœur de chaque côté du porche, il faisait la quête pour les « pauvres âmes » et l’autre pour la « Terre Sainte » ; maintenant, le pognon, je ne sais pas où il s’en allait… Après la guerre de 14, il y avait des veuves de guerre et quand elles se sont remariées, celles qui allaient à l’église, elles se mariaient à minuit ; nous, on était enfant de chœur, alors ma mère nous emmenait pour servir la messe et tout ça, et on nous donnait la pièce, 5 francs de l’époque, des pièces en argent, je me rappelle – ça fait longtemps – à l’époque.

Intervention de son épouse : Le curé Poirier venait nous voir dans le marais, mon père avait une ferme, il venait un peu se ravitailler, le pauvre, et alors quand il arrivait, il disait : « tiens, bonjour, voilà le sac à charbon… » car, bien sûr, il était tout en noir. Il était gentil.

Le mois de Marie : on allait tous les soirs à la prière, on chantait, pendant tout le mois.

Marie Destiq 

Pour elle, la vie religieuse faisait partie d’un tout, englobant les offices, le patronage et l’ensemble de la vie. Elle se souvient bien des différents curés de Blanquefort : Poirier jusqu’en 1930, Déchartre de 1930 à 1938, Poncabaré, Brousse, Beysselance…

Marie se souvient qu’après cette cérémonie Mlle Augustin promenait les petites filles à la sablière de Cachac pour s’amuser, elles y allaient à pied…

Les vêpres : jusque vers 1955, le dimanche (vers 16 heures) les vêpres mobilisaient beaucoup de monde. On récitait le chapelet, on chantait et c’était le salut du Saint-Sacrement. Les familles rythmaient leur dimanche en fonction des deux messes, la première vers 7 heures et la grand-messe à 11 heures, sans oublier les vêpres : il est vrai qu’il n’y avait pas beaucoup d’autres sollicitations. L’église était pleine pour la grand-messe et la chorale intervenait beaucoup ; la première messe était réservée à la communion, car il fallait être à jeun.

Après les vêpres, réunion des filles à Saint-Michel, entretien, jeux (croquet). Une bonne cinquantaine de filles.

Marie ne fréquentait pas le feu de la Saint-Jean.

Les pèlerinages : un jour à Verdelais en bus, beaucoup de monde, un village très animé, célébrations dans l’église, processions à la source du Luc, montée pour le chemin de croix au Calvaire avec la belle vue sur la vallée de la Garonne et les vignes. Trois jours à Lourdes pour le pèlerinage diocésain, des milliers de « Bérets blancs ».

Souvenir encore de la grande fête du Sacré-Cœur avec une procession à l’intérieur de l’église, les petites filles étaient habillées de blanc et les gens venaient faire bénir les enfants ; toutes les familles étaient là…

Elle se souvient que ses parents parlaient de la bénédiction des chevaux sur la place de l’église avant 1920.

Le « grand cercle » : c’était le lieu des concerts deux fois par an, des répétitions de la troupe théâtrale. Les garçons venaient chahuter les filles. Beaucoup de succès, tout le monde participait, les unes jouaient, les autres préparaient la salle et décoraient, les billets…

La guerre 1939/1945 a été un grand choc, les mariages ont fait éclater les groupes de jeunes.

Philippe Déris 

Ces quelques souvenirs de la vie religieuse à Blanquefort, concernent la période 1927-1932 et quelque peu la suite jusqu'en 1940.

À cette époque (1927) il y avait encore un curé à Cachac, l'abbé Saintille. Après son départ, ce fut le curé de Blanquefort qui assurait les deux paroisses. Ce dernier s'appelait l'abbé Poirier et mourut à Blanquefort vers 1928 ; il est, je pense, enterré dans le caveau de la famille Destiq.

Il fut remplacé par l'abbé Déchartre venant de Villandraut. Étant en mauvaise santé au moment de sa nomination, il fut précédé par l'abbé Gallissaires, futur vicaire général du diocèse de Bordeaux. Il géra seul les deux paroisses pendant quelques années, puis réussit à obtenir un vicaire. Le premier fut l'abbé Borderie, puis l'abbé Faux et enfin l'abbé Dupouy.

Vers 1937, l'abbé Déchartre fut nommé à la paroisse de Saint-Augustin à Bordeaux.

Il y avait deux messes à l'église Saint-Martin le dimanche : la messe basse vers 7 ou 8 heures, la grand-messe à 10 heures et demi ou 11 heures. Celle-ci était plus solennelle avec orgue, chants, enfants de chœur plus nombreux, chantre (Lucien Lavergne) et chanteuses (les jeunes filles du Patronage). Les vêpres étaient chantées vers 15 ou 16 heures, comportant des hymnes, des cantiques et la bénédiction du Saint-Sacrement. Les dimanches ordinaires, l'église Saint-Martin était à peu prés pleine à la grand-messe, un peu moins pour les autres cérémonies.

L'une des figures disparues de la paroisse était la chaisière. Si l'on voulait s'asseoir, il fallait verser 5 ou 10 centimes par chaise. Il faut mentionner aussi la messe quotidienne vers 7 heures : quatre ou cinq enfants de chœur se relayaient chaque semaine pour la servir.

Il y avait deux personnes qui s'occupaient de décorer les deux autels de part et d'autre du grand autel ; l'une, Mme Pellot, fleurissait celui de saint Joseph et Emma Tartas, ma vieille cousine, fleurissait l'autel de la Vierge. Cela entraînait une certaine rivalité entre elles car chacune faisait de son mieux pour que l'autel en question soit le plus beau.

Pour la fête de Noël, bien sûr, il y avait la crèche. À l'époque de l'abbé Poirier, c'était une bien triste crèche qui se dissimulait au fond de l'église, prés des fonts baptismaux. Plus tard, elle fut érigée à la place de l'autel Saint-Joseph dans un tout autre style.

La messe de Minuit avait vraiment lieu à cette heure là, puis deux autres le jour de Noël et les vêpres. Il y avait toujours beaucoup de monde à ces cérémonies.

Au moment des fêtes de Pâques, il y avait la fête des Rameaux, le dimanche avant Pâques. C'était la coutume de décorer les grands rameaux de laurier des enfants avec des sucreries. Je ne sais pas quelle en est l'origine.

Le Jeudi-Saint, dans toutes les églises, il y avait un reposoir qui était une sorte d'autel abondamment décoré de fleurs entourant le Saint-Sacrement, devant lequel les croyants venaient prier à tour de rôle.

Le jour de Pâques, résurrection du Christ, la plus grande fête de l'année religieuse, cela signifiait beaucoup de monde et beaucoup de communions.

La Fête-Dieu : je pense que c'est ce jour-là qu'avait lieu la Première Communion ; la communion privée n'existait pas encore.

Les pèlerinages, les sacrements, les enfants de chœur, tout ça ressemblait à ce que l'on a connu avant le concile de Vatican II.

Toutefois, les enterrements étaient divisés en trois classes, suivant l'importance que l'on voulait donner à cette cérémonie, l'honneur que l'on voulait rendre à la personne décédée, et son degré de richesse. Une chose particulière à ces enterrements était les cordons, fixés au corbillard que l'on confiait aux amis de la famille ; c'était là un signe d'honneur et de considération.

La chorale a bien existé mais peu de temps avant la Seconde Guerre mondiale. L'orgue, bien sûr, n'était pas électrique et l'on désignait un enfant de chœur pour « souffler ». Il en était de même pour les cloches qui étaient confiées à un sonneur de cloches dont un est resté célèbre ; son surnom était Gamelle (en réalité il s'appelait M. Servan).

Les deux grandes associations étaient les patronages des filles et des garçons. Pour le patronage des filles et les Bérets Blancs, je vous conseille de vous adresser à des anciennes.

Pas grand chose à dire sur le « petit cercle » qui devait être l'ancienne école des Frères au début du XIXème siècle. Il a été quelque peu aménagé pendant la guerre avec des tables de ping-pong et des jeux de société.

Je ne connais pas l'origine du « grand cercle » ; c'était une salle assez vétuste comprenant une scène de théâtre. C'est là que se donnaient des pièces de théâtre pour filles ou garçons. C'étaient là leurs principales ressources financières. C'est aussi là que se faisaient les entraînements de la section gymnastique du patronage des Bluets de Blanquefort. Pour cela, on enlevait une partie du plancher sous lequel il y avait du sable. C'est donc là que les jeunes faisaient des agrès, barres parallèles, etc.

Comme les garçons faisaient de la gymnastique, il y avait des fêtes auxquelles étaient invités plusieurs patronages de Bordeaux. Ces fêtes se déroulaient dans les prés de la propriété de Mme Gauthier à Montigny. On peut noter également qu'il y eut des kermesses, mais assez tard ; elles avaient lieu dans le parc de Saint-Michel. Il faut bien vouloir excuser les erreurs, je n'avais à cette époque que 8 ou 9 ans.

Destination des prêtres après leur passage à Blanquefort : M. Déchartre a été nommé curé de Saint-Augustin à Bordeaux. M. Gallissaires a été nommé vicaire à Saint-Ferdinand. M. Borderie a été nommé vicaire à Saint-Michel. M. Faux a été nommé vicaire à Saint-Augustin. M. Dupouy a été mobilisé.

Pierre Rouillard 

Ce simple récit est l'histoire et l'éducation religieuse d'un jeune blanquefortais des années 1930 et suivantes. Mes 9 ans révolus, je fus, par ma mère, présenté à Monsieur Déchartre, curé-doyen de Blanquefort. Après quelques questions et renseignements posés sur mon niveau scolaire, je fus accepté. Rendez-vous fut pris pour le dimanche suivant avant la grand-messe. J'étais inscrit et devenu enfant de chœur.

Dans la petite sacristie, il me fut remis une soutane, un surplis et une calotte. J'assistais à ma première messe. Une chose étonnante, le monsieur qui nous surveillait s'appelait Monsieur Joseph, très aimable et très paternel il avait dans les mains deux plaquettes de bois articulées appelées « claquoir » qu'il faisait fonctionner pendant l'office. Un coup pour se lever, deux coups pour s’asseoir. Ma première impression fut rassurante et bonne.

Après avoir assisté avec assiduité aux grands-messes du dimanche, l'instruction religieuse commença. Un catéchisme me fut fourni, et mis sous la responsabilité de Mlle Derode, notre éducatrice : apprendre par cœur nos prières, suivre la messe, connaissance des diverses fêtes religieuses, longues informations sur la vie de Jésus, de sa naissance à sa mort, puis sa résurrection.

Il y avait aussi « les Vêpres » : en bon chrétien il fallait y assister, elles étaient chantées. Dès que les Vêpres étaient terminées, par jour de beau temps, les plus grands avaient aménagé un terrain de basket sur une parcelle de jardin, à l'emplacement actuel des Colonnes. Ces « grands » étaient Pierre Delhomme, René Marque, Antoine Lanaspèze et d'autres (je ne me souviens plus de leurs noms). Des parties acharnées étaient disputées, nous y étions en spectateurs assidus.

Autres lieux de réunions, « le petit cercle », rue Jules Ferry ; nous y allions le jeudi après « le caté. » Jeux de ping-pong et billard et « le grand cercle » dans l'impasse à côté de la cave de M. Dupouy, là nous avions droit, quelques fois, à la projection de films muets (projection par un vieil appareil qui tombait en panne au milieu du spectacle) ; d'autres fois, des pièces amusantes où Marie Destiq donnait la réplique aux autres artistes avec brio.

Monsieur le curé loua un jour un autobus et nous fit faire un petit voyage à Bazas avec visite de la cathédrale que nous trouvâmes tous belle, surtout les grandes orgues, très impressionnantes. Un deuxième voyage eut lieu à Verdelais, avec visite de son église en hommage à Marie, qui fut construite, nous dit-on, par un seigneur de la région à son retour des croisades.

La première Communion arriva. Nous nous préparions pieusement : répétitions, chants, présentation (à gauche de la grande allée, les filles, il y en avait douze ; à droite, les garçons, il y en avait huit) les places étaient bien définies.En ce temps là, il y avait un petit examen oral. Deux prêtres des paroisses voisines étaient venus. Après un test, nous avions tous été admis ; il y eut la première confession, tout se passa très bien. Le jour tant attendu arriva au mois de juin 1933 ; le jour de « la Fête-Dieu ». Messe de communion le matin à 7 heures et demi. Grand-messe à 11 heures avec défilé des communiants dans l'église, chants, grandes orgues résonnant sous la voûte de l'église, sortie bien ordonnée, beaucoup de monde. Puis, la fête se termina en famille.

Mon récit s'arrête là. J'en ai toujours le souvenir, 70 ans après. Je vous demande beaucoup d'indulgence, bien des détails sont oubliés. J'ai essayé de retracer une partie de la vie religieuse des enfants de cette époque. Blanquefort était une petite bourgade rurale qui n'excédait pas 3 000 habitants… Tout cela est tellement loin !         

Jean-Pierre Delhomme 

[…] Je ne saurais terminer cette déjà longue description, sans évoquer les églises très fréquentées à l'époque, avec messe, chaque matin à 7 heures, trois offices le dimanche, grande cérémonie avec orgue et chœurs de chant, processions dans les murs de la ville, avec reposoirs, jonchées de fleurs, draps tendus décorés tout le long des murs des maisons, bref, une vie religieuse très intense.

À noter que la commune disposait de deux églises, une au bourg de Blanquefort et une, au bourg du quartier de Caychac. Le prêtre célébrait les offices, au bourg étant curé-doyen, l'autre prêtre, étant curé de Caychac, chacun dans son presbytère. Enfin, s'agissant des services publics, indispensables à la vie locale et que la totalité des habitants de tous âges fréquentait nécessairement à un moment ou à un autre de la vie : la mairie avec un secrétaire, une employée de bureau, un garde champêtre et deux cantonniers ; la poste avec un receveur, une employée et trois facteurs ; les écoles de Blanquefort bourg et Caychac, garçons et filles séparés avec sept ou huit classes au total, et les directeurs et enseignants correspondants (tous ces chiffres ne sont pas certains mais très proches de la réalité).

Voilà, à grands traits décrit le décor dans lequel vivaient Justin et Céline… qui a été celui de l'enfance et d'une grande partie de l'adolescence de la génération qui est la mienne et dont je partage encore les souvenirs avec quelques anciens et anciennes qui tout comme moi ont connu cette vie sans grand confort mais saine, et ont aussi parfois participé largement par leurs engagements divers à l’évolution du petit village de jadis sans jamais oublier les racines qui étaient les leurs, celles de leurs parents et grands-parents avant eux. Et maintenant, comme promis, je vais essayer à partir de souvenirs précis, de parler de Justin et Céline dans le cadre de leur vie familiale et de leurs rapports avec leur descendance, enfants et petits-enfants dont j'étais.

Francine et Agnès Marque 

Le père Mancel : je crois qu'il avait été missionnaire en Afrique et dans les pays froids. Il avait les oreilles gelées (il manquait des morceaux !). Il logeait aux Orphelins d'Auteuil. Quand il arrivait à la maison, il s'installait à table si on mangeait, il mangeait les fleurs de capucines, jouait au foot en remontant sa soutane, jouait au boomerang avec les enfants du quartier.

Par contre, si on faisait du bruit pendant le catéchisme, il nous tirait par l'oreille (je crois qu'il était jaloux des nôtres…) et nous faisait mettre à genoux dans l'allée centrale de l'église.

Quand il neigeait, il venait à la maison pour prendre de la cendre de bois pour mettre sur la route. 

Henri Bret 

Les enfants de chœur vers 1945 : à chaque cérémonie, les enfants de chœur, habillés en soutane rouge et surplis blanc, étaient nombreux à servir. Les habits étaient rangés dans de grandes armoires aux portes cirées, l’entretien du linge était assuré par une équipe de dames qui régnaient sur le vestiaire et tout était parfaitement entretenu. Les gestes pour servir le prêtre étaient codifiés et devaient être les mêmes, tout le temps. L’apprentissage se faisait par le prêtre, par l’observation et par l’aide des plus grands. Nous étions plus d’une dizaine pour les grandes occasions et nous nous mettions en couronne autour de l’autel, assis sur de petits tabourets de bois recouverts de velours que l’on pouvait déplacer facilement. La discipline était minime, car le grand respect qui régnait à l’église suffisait à lui seul pour maintenir une ambiance calme. Bien sûr, quelques petits chahuts discrets, mais aussi, beaucoup de fierté et de regards assurés vers les filles, en contrebas des marches du chœur, et qui faisaient partie seulement de la chorale ! Un aîné, Jean Picquot, assurait la bonne tenue de l’ensemble. Les garçons étaient issus pour la plupart de familles nombreuses, les fratries étaient fréquentes… les Gélie, Lanaspèze, Bret, Delhomme, Gautier… des générations d’enfants de chœur. Une liste était dressée à la sacristie et on prenait la semaine deux par deux pour servir à la messe du matin vers 7 heures ou 7 heures 30. Pendant ces sept jours, ces volontaires devaient se lever tôt et servir à jeun la messe basse. La position à genoux à certains moments de la messe n’était pas des plus confortables et on voyait de temps en temps des évanouissements chez les plus jeunes ; un sucre relançait vite la machine.

Les enfants de chœur servaient aussi les vêpres du dimanche et c’était un déchirement d’arrêter les jeux pour se précipiter à l’église assurer le service et vite repartir jouer…

Les semaines se suivaient à ce rythme, service de semaine à tour de rôle, présence de tous aux grands-messes du dimanche, un peu moindre aux vêpres ; de grands moments jalonnaient l’année et rompaient cette régularité, les missions exceptionnelles, les processions, les rogations, le feu de la Saint-Jean...

En 1949, la vie de la paroisse était très riche : messe du matin chaque jour assez suivie, grand-messe solennelle du dimanche avec orgue, la chorale et son harmonium, les vêpres chantées. Beaucoup de monde aux offices, une grande cohorte d’enfants de chœur.

Les pèlerinages : la paroisse organisait régulièrement des sorties à Verdelais ou à Lourdes, comme d’ailleurs la plupart des autres paroisses. À une époque où les gens voyageaient peu, en l'absence de congés, de voitures, de loisirs, les lieux religieux attiraient beaucoup de monde. Ces voyages sont attestés dés le début du siècle. Ils suscitaient une grande effervescence dans les familles : sorties familiales et de cousinage avec toutes les catégories d’âge, départ vers l’inconnu pour les enfants, prétexte aux rencontres pour les jeunes, mixité oblige, et la sortie religieuse se doublait d’une balade traditionnelle dans les hauts-lieux touristiques des Pyrénées quand on partait 2 ou 3 jours à Lourdes. Un des grands animateurs de ces voyages était Joseph Delhomme, organisateur de première et véritable boute-en train. On chantait beaucoup à cette époque et tout un répertoire se transmettait de génération en génération, les gens s’amusaient facilement, blaguaient beaucoup et les rapports étaient marqués par de la simplicité et la joie de ces évasions du quotidien.

Verdelais : pèlerinage d’une journée, départ tôt le matin avec un ou deux bus, cette petite commune attirait beaucoup de monde. La place actuelle devant l’église et ses anciens commerces fait triste quand on l'a connue archicomble, avec tous les rites de ces grandes journées : messe du matin, messe solennelle, repas pique-nique dans la prairie, cérémonie à la source du Luc, chemin de croix dont le calvaire terminal offre une vue splendide sur la vallée de la Garonne. L'église pleine à craquer, les fleurs, l'encens, les chants puissants, l'orgue, tout contribuait à donner un caractère magique à ces sorties. La beauté des paysages de l'Entre-deux-Mers ne laissait pas indifférents les Blanquefortais habitués à leur village.

Lourdes : le grand voyage et sa dimension universelle avec la grandeur des lieux au pied des montagnes, l'immensité des églises, des processions, le passage quotidien devant la grotte, la récolte de l'eau de la source et là encore une ambiance survoltée de ferveur et de simplicité. Lourdes ne laissait personne insensible à sa magie. L'esprit de village ou de paroisse se renforçait au milieu des autres provinces de France, voire des autres pays européens. Ces sorties rythmaient les années et constituaient de grands moments de solidarité et d’ambiance.

Marie Bret

Lorsque j'avais 12 ans, en 1960, il y avait trois messes le dimanche matin à Blanquefort :

- 7 heures 30 : mes parents ne manquaient pas un dimanche, cet horaire leur convenait très bien, car après ils avaient la matinée devant eux ;
- 9 heures 15 : pour les enfants du caté ; tous les enfants y allaient jusqu'à la communion solennelle ; Mlle Suzanne tenait l'harmonium et il y avait la chorale ;
- 11 heures : pour les ados et les adultes ; l'église était pleine, Mlle Suzanne jouait de l'orgue ainsi que Mlle Leurs.

Le dimanche des Rameaux : j'aimais beaucoup cette messe car la plupart des enfants accrochaient des sucreries à leurs rameaux, pas nous. Je me mettais à côté de Maïté Extrémo, car son rameau était garni de bonbons, et je lui disais « t'as fait tomber un bonbon » et pendant qu'elle se baissait, je lui en croquais un ou deux.

La confirmation : nous attendions ce jour avec impatience, car pour la première fois on allait voir un évêque. Nous nous mettions à genoux, tout le long des marches, l'évêque était de l'autre côté des grilles et il nous donnait une tape sur la joue.

L’arrivée du nouveau curé à Blanquefort : à ce moment là, c'était le père Mancel, ancien missionnaire à Madagascar, qui était prêtre à Blanquefort. On a beaucoup rigolé avec lui. On nous annonçait l'arrivée d'un nouveau curé qui arrivait de Branne. Après un peu de retard, il est enfin arrivé. Nous voulions, pour lui faire honneur, que l'église soit propre. Alors, tout le monde s'y est mis, les petits et les grands, on a lavé les carreaux, enlevé la poussière, ciré les bancs, etc. Le père Mancel s'était mis dans la tête de nettoyer le grand lustre de l'allée centrale. C'était beaucoup trop haut, on lui disait qu'il n'y avait pas d'échelle assez haute ; n'empêche que le samedi soir, on devait se retrouver pour les derniers préparatifs avant la grand-messe du dimanche et qui on voit agrippé au lustre, les jambes dans le vide ? le père Mancel, qui tout seul avait voulu nettoyer le lustre. On a eu très peur, lui aussi, et il était content de nous voir arriver. Le nouveau curé de Blanquefort s'appelait l'abbé Brousse ». 

Textes extraits de La vie religieuse à Blanquefort au XXe siècle, Henri Bret, Publications du G.A.H.BLE, 2006, p. 87-111.