Le curé Saincric et sa paroisse

En ce jour de Noël 1783, les trois cloches de l'église Saint-Martin de Blanquefort carillonnent. La messe de la nativité vient d'être célébrée par le curé Pierre de Saincric, « vicaire perpétuel » de la paroisse de Blanquefort dont l'installation officielle a eu lieu quelques jours auparavant, en présence notamment du représentant de l'abbaye bénédictine de Sainte-Croix de Bordeaux. L'abbé de Sainte-Croix est en effet « curé primitif » de Blanquefort ; c'est lui qui nomme Pierre Thadée Aimé de Saincric comme nouveau pasteur des Blanquefortais. Le « vicaire perpétuel » est le représentant dans la paroisse du « curé primitif » lorsqu’historiquement la paroisse dépendait d’un monastère.

Pierre Thadée Aimé de Saincric est âgé de 39 ans en cette fin d'année 1783. De taille moyenne (1, 68 m), cheveux et sourcils châtains, yeux bruns, nez ordinaire, bouche grande, menton rond et visage plein et coloré, il est né dans la paroisse Saint-Rémy de Bordeaux le 11 juillet 1744. Son père, Pierre Saincric, seigneur de Puymenot (à Sainte-Eulalie d'Ambarès) est un bourgeois bordelais, négociant de cette ville, qui a le titre d'écuyer, marié depuis 1743 avec Jeanne Dumay.

Lors de son arrivée à Blanquefort, Saincric a déjà une expérience de quatorze années de vie sacerdotale. Il est ordonné prêtre à l'âge de 25 ans, après de sérieuses études au cours desquelles il obtient les licences en droit canon et droit civil ainsi qu'un doctorat en droit théologique. Peu de temps après son ordination, il devient vicaire de Dardenac, petite paroisse voisine de Branne, puis en 1772 il se rapproche de Bordeaux en devenant vicaire de Saint-Vincent d'Ambarès où son père possède la terre de Puymenot ; le 14 septembre 1774, il se fait pourvoir de la paroisse de Faleyras, limitrophe de Dardenac, paroisse qu'il connaît bien. Mais ce bénéfice lui est bientôt victorieusement disputé par un prêtre du diocèse d'Amiens, nommé Grégoire Gouin. Il recherche alors en remplacement un autre bénéfice qu'il obtient en juillet 1776, date à laquelle il se fait pourvoir, par les chapelains de Saint-Seurin, d'une des quatre chapelles de Linars, située dans l'église collégiale Saint-Seurin de Bordeaux. Il y ajoute en avril 1780 le bénéfice de la chapelle de Raymond de Borda, située dans la cathédrale Saint-André, et enfin le prieuré de Saint-Palais-sur-mer dans le diocèse de Saintes. Par un acte notarié passé devant les notaires apostoliques Collignan et Séjourné le 31 octobre 1783, Saincric échange son prieuré de Saint-Palais, avec ses « droits, appartenances et dépendances » contre la cure de Saint-Martin de Blanquefort dont Jean Dupoux, prêtre du diocèse de Bordeaux, est bénéficiaire après le décès de son prédécesseur Bernard Dugarry.

À cette époque, le souci principal de la majorité du clergé est de se pourvoir de bénéfices ; Saincric n'échappe pas à la règle, ce qui est d’autant plus facile qu’il existe plus de « bénéfices » que d’ecclésiastiques. Il sait en prenant la cure de Blanquefort que les revenus annuels bruts de la dîme sont de l'ordre de trois mille livres auxquels s'ajoutent les revenus du casuel. Bien entendu, il a aussi des charges. La plus importante est celle du salaire de sept cents livres versés au vicaire qui l'aide à assurer le service de la paroisse fort étendue. Impôts et charges déduits, il lui reste cependant près de mille livres de revenus nets, ce qui n'est tout de même pas négligeable lorsque le salaire brut annuel d'un officier de marine est de huit cent cinquante livres et que la « portion congrue » versée aux curés soumis à ce régime est généralement de sept cents livres à ce moment-là. La promesse des revenus confortables de la cure de Blanquefort, la proximité de Bordeaux où il a sa famille et des intérêts, la bonne réputation dont jouit la paroisse ont dû, sans nul doute, peser dans le choix de Saincric.

Extrait du livre « Blanquefort et son canton », 1789-1799 ou « Saincric, curé révolutionnaire », Publications du G.A.H.BLE, 1989, chap 1.