Le nom des rues 

Camille Jullian, l’historien de Bordeaux, voulait que les rues gardent leur nom d’origine.

C'est un petit ouvrage tout mince sous couverture orange, issu d'une conférence donnée par l'historien Camille Jullian le premier historien de Bordeaux, à Paris, en janvier 1923. Les éditions des Malassis rééditent opportunément « Ne touchez pas au nom des rues », au moment où, de Nantes à Bordeaux, des associations proposent de rebaptiser les rues qui portent le nom de « héros » ayant trempé dans la traite négrière.

Camille Jullian n'aurait pas souscrit. Le premier historien de Bordeaux n'aurait pas davantage apprécié que Balguerie ou Journu-Auber eussent droit un cours pour eux seuls. Lui, plaidait pour laisser aux rues de nos villes l'appellation que le sens commun leur avait donné. « Jamais le monde d'autrefois n'eût compris qu'une rue, une place, fut qualifiée d'après quelque événement du jour, quelque personnage de l'histoire : c'était la rue qui faisait son nom, avec son aspect, ses monuments, son histoire à elle », écrit-il.

L'historien fait remonter aux premiers Bourbons, et pire encore à la Révolution, cette manie de rendre hommage sur plaque émaillée aux faits historiques ou aux gloires nationales, voire locales. « La rue n'est plus la maîtresse de ses destinées, de son nom, mais elle est devenue, non pas même un organe d'administration publique, mais un organe de gouvernement, de propagande, de combat », proteste-t-il.

Camille Jullian prend ses exemples à Marseille, sa ville de naissance, à Paris, où il finit sa carrière et à Bordeaux, où il enseigna longtemps, détaillant avec ironie le sort du pauvre saint Mériadeck, invité malgré lui dans un quartier mal famé. Évidemment, il ne pouvait soupçonner qu'une place du centre-ville porterait son nom. Ce fut en 1935, deux ans après sa mort.

Article du journal Sud-ouest du 25 mars 2015, signé C. D.