Généralités sur la voirie 

Vous-êtes vous posé la question : d’où vient le nom de la rue où j’habite, ou encore  quand, comment, par qui et pourquoi ce nom a-t-il été choisi ?


Voici quelques éléments de réponse :

La dénomination des rues est liée à des tendances, des modes. Du nom spontané que des habitants donnent à une rue : rue des bouviers, rue du puits, on passe à la prise en main des pouvoirs publics qui vont plutôt célébrer des hommes illustres ou des notions abstraites : l’égalité, la fraternité, la liberté… De manière générale, chaque civilisation nomme sa voirie avec ses mots et ses fonctions spécifiques. On y retrouve toujours l’essentiel, les voies dites de communication, de circulation, de fonctionnalités diverses. Les Russes, par exemple, utilisent comme nous les boulevards, quais, places, ruelles, rues et routes, mais ils donnent à l’avenue le joli nom de « perspective » qui indique la vue dégagée, un paysage vu d’une certaine distance.La voirie est l’ensemble des voies aménagées et entretenues par l’administration publique.

La voie

(du latin via) est l’espace à parcourir pour aller quelque part et en particulier cet espace lorsqu’il est tracé et aménagé : artère, chemin, route, rue, aussi bien sur terre, sur rail (la voie ferrée), sur l’eau (la voie maritime), dans le ciel (la voie lactée et la voie aérienne) : au sens figuré ; la voie désigne un ensemble d’actes orientés vers une fin et considérée comme un chemin que l’on peut suivre : carrière, filière, ligne, route…
« Tous les chemins, quelque soit leur importance, sont individualisés par un nom spécifique : ils sont désignés soit par leur destination, soit par un nom particulier : via, lebade, etc. Soit encore par un adjectif qui dénote leur importance : vieux, public, reau. Ils ont tous un intérêt : trop souvent, on n’a voulu voir que les chemins « grands » ou « vieux » ; une étude de détail permet de constater que l’importance de ces chemins n’est pas si évidente par rapport aux chemins dits « secondaires ». La réalité est parfois difficile à saisir ; seule, l’accumulation des renseignements fournis par les lieux-dits permet de rendre compte de cette complexité qui a parfois été niée : au XVIII° siècle, par les habitants eux-mêmes afin d’éviter les corvées lors de la construction du chemin royal, ils déclaraient que « le vray chemin de Médoc est la rivière de Garonne, c’est celui que la nature lui a donné ». Anne Cavignac, Les noms de lieux du canton de Blanquefort, 1968, 3 tomes (École nationale des chartes. (AD 33. ref : BIB SU 12)

Nommer une voirie 

La procédure est assez souple : ce sont les communes qui ont la responsabilité de la dénomination des rues et places publiques. Les nouveaux noms doivent faire l’objet de délibérations au Conseil municipal et être soumis à l’approbation du préfet, surtout quand il s’agit d’hommage à une personnalité ou du rappel d’une date historique. Les communes ont également l’obligation de porter à la connaissance du public les noms des rues, le plus souvent par des plaques indicatrices fixées sur les immeubles dont la pose et l’entretien sont à leur charge.

En revanche, les modalités selon lesquelles sont choisis les noms des rues (odonymes) avant la délibération du Conseil municipal sont assez libres : la commission viographie n’est nullement obligatoire. La consultation des habitants ne l’est pas non plus. Quant aux plaques de rues, qui n’ont ni taille, ni couleur obligatoires elles ne sont pas censées mentionner les éléments biographiques de la personnalité honorée même si la tendance va de plus en plus dans ce sens, cela reste une valeur ajoutée.

"La ville de Bordeaux vient de se doter d’une commission viographie où siègeront élus et responsables des services concernés, invités à communiquer au maire avant que les conclusions en soient  présentées au Conseil municipal. Tout ça pour baptiser des rues. " (Article du journal Sud-ouest du 14 février 2011, page 16 et 17, de Catherine Darfay). Chaque commune nomme des rues pour des raisons fonctionnelles (repérage, localisation, courriers, etc.).
7 900 rues en France s’appellent tout simplement « rue de l’église ». Selon le service « l’Adresse » de la Poste, il s’agit du nom le plus représenté. Les personnalités arrivent loin derrière et les plus citées sont Pasteur, Victor Hugo, de Gaulle, Général Leclerc, Jaurès et Marie Curie.

Noms et nombre de voies les plus représentées en France  

rue de l’église 7 965 ;

place de l’église : 5 755 ;
grande rue : 3 943 ;
rue du moulin : 3 566 ;
place de la mairie : 3 430 ;
rue du château : 2 963 ;
rue des écoles : 2 779 ;
rue de la gare : 2 771 ;
rue de la mairie : 2 672 ;
rue principale : 2 452 ;
rue du stade : 2 421 ;
rue de la fontaine : 2 346 ;
rue Pasteur : 2 020 ;
rue des jardins : 1 755…

Une commune a la possibilité de commémorer ou au contraire d’oublier et d’effacer les événements marquants de son histoire, les personnalités influentes, le passé ; elle peut donc en assumer (ou non) les ombres comme les lumières. C’est le choix de chaque municipalité ; nous allons vérifier que ce choix est heureusement large, varié, lié souvent au terroir et au reflet local de la grande histoire nationale, voire européenne ou mondiale.
Mais le plus souvent, la mémoire qui est célébrée n’est pas celle d’individus ordinaires, simples, qui de leur vivant ont fait preuve de générosité, de douceur ou d’humour ; les choix qui dominent sont marqués par une époque, une mode. La plupart du temps, ce sont des élus ou des services municipaux qui prennent la décision. C’est ce qui explique en partie la domination masculine ; en effet, bien peu de femmes sont honorées et même certaines villes n’ont aucune rue portant un nom de femme, même si aujourd’hui on sent un léger frémissement...

Deux exemples où l’on honore des personnalités locales décédées : Monsieur Bernard Eymeri, maire adjoint d’Andernos, déclare ainsi le 20 septembre 2009 :
•    « Mes chers collègues, certains de nos concitoyens, aujourd’hui décédés, ont marqué la vie de notre cité par leur action, leur engagement, leur bénévolat, leur célébrité… Il est de notre devoir de leur être reconnaissant. Afin que leur souvenir soit définitivement inscrit sur les murs de notre ville et que les générations présentes et futures ne les oublient jamais, nous vous proposons les nominations suivantes… », (compte-rendu du conseil municipal)

ou encore cette note à propos de la viographie du centre de Pessac :
•    « Autrefois, les voies portaient souvent le nom de leur destination géographique (ex.: chemin de Mérignac). Aujourd’hui, les noms de nos rues retracent l’histoire de notre ville. Essayons de mieux les connaître. Maintenant, parcourons celles de notre quartier qui portent les noms de nos anciens maires. Par la suite, nous continuerons notre visite en adoptant d’autres thèmes (les résistants, les personnalités importantes locales ou nationales, etc.) »

La ville de Mérignac est étudiée dans l’ouvrage « Origine et essor des quartiers de Mérignac » de G. et P. Gilliard, 2010, 2° édition, 240 p. ; la 3° partie est consacrée à la viographie..

À Bordeaux, « le service culture, les archives municipales et même des particuliers font des propositions à la Commission de viographie chargée de nommer les rues », précise Michel Duchêne, adjoint au maire chargé de l’Urbanisme 

2 synonymes à connaître : Viographie et Odonymie

Le terme viographie ne figure pas dans la plupart des dictionnaires. Le mot est assez récent : il s’agit de l’étude des voies et des noms qu’elles portent ; c’est en même temps l’histoire des rues de la ville et de leur nom, c’est le lien entre les voies de communication et celle des civilisations et des périodes historiques à l’origine du choix des habitants à un moment donné ; c’est encore la science des chemins.L’odonymie est la science ou une branche de la toponymie qui étudie la partie des toponymes urbains ou odonymes, que sont les noms de rues, avenues, boulevards, places…
La « microtoponymie urbaine » (une micro-odonymie) étudierait plutôt les noms des « petits lieux urbains » : noms d’agences, de parkings, magasins, écoles, collèges, lycées, universités… (d’après Michel Rateau, journal Sud-ouest du 3 mai 2009). Un odonyme, parfois écrit hodonyme, est un nom de lieu qui se réfère à une voie de communication.L'étude des odonymes s'inscrit dans le domaine de la toponymie qui étudie plus largement les noms de lieux en géographie. Un odonyme peut aussi bien être le nom d'une rue, d'une route, d'une place, d'un chemin, etc.

Le terme odonyme vient du grec hodos (« la route »), adossé à la racine « -nymie » que l'on retrouve par exemple dans « anthroponymie » (l'étude des noms de personnes, noms de famille et prénoms), ou domonymie, étude des noms donnés aux maisons.
Valeurs véhiculées par l'odonymie
Au même titre qu'un pays, une ville se veut le porte drapeau de certaines valeurs. Le fait est que ce sentiment se traduit dans le nom des rues et des places parce que l'attribution des noms est le privilège des municipalités. Chaque ville défend, par ses plaques, l'image qu'elle donne d'elle-même et, la plupart du temps, ses habitants soutiennent cette image. Une ville religieuse mettra en avant ses lieux saints et les piliers de la religion qu'elle accueille, « rue du mausolée » ou « place de la miséricorde ». Une ville qui se veut à l'avant-garde de l'urbanisme choisira ses noms parmi les grands architectes. De même, Paris est la ville où le nombre de rues portant le nom d'un soldat (surtout des officiers) est le plus important au monde (juste devant Londres) : cela illustre le passé combatif et courageux de la cité.

Selon les pays, la volonté politique exprime des images différentes. En Angleterre, l'accent est mis sur l'Empire britannique. En France, la plupart des villes arborent une rue de la République, souvent héritière d'une rue impériale issue des percées haussmanniennes du 19ème siècle. Aux États-Unis, on met l'accent sur l'Acte d'indépendance. En Allemagne, ce sont les philosophes et les compositeurs, en Italie les artisans de l'unification.

Il est rare de trouver des odonymes qui soient légion dans tous les pays. Bien sûr, les nombreuses rues, quartiers et places « des États-Unis » montrent bien la théorie de l'image commune que veulent se donner les pays occidentaux. L'odonyme « États-Unis » était très utilisé durant les années 1960-70 pour signifier la réussite économique, les urbanistes l'ont souvent donné à des quartiers nouveaux. De la même manière, beaucoup de villes anglo-saxonnes utilisent le nom de « Paris Street » ou « France Avenue » pour indiquer la rue où se trouve le théâtre ou les galeries d'art.

Pour ce qui est de trouver des personnes qui aient donné leur nom à des voies dans plusieurs pays, la tâche est plus difficile. En effet, peu nombreuses sont les personnalités qui ont imposé leur nom au point de passer les barrières nationalistes inhérentes à toute institution étatique. Notons cependant des noms comme Mozart, Martin Luther King ou Kennedy.

Il y a parfois contradiction dans les termes : de nombreuses municipalités ont donné à des quartiers nouveaux des noms champêtres ; il y a ainsi abondance de rues "des lilas" ou "des saules" voire "des canaris" dans les quartiers urbains créés depuis les années 60, qu'il s'agisse de barres d'immeubles ou de quartiers pavillonnaires. Ces noms passe-partout ont les qualités suivantes : ils sont faciles à identifier, simples à retenir et ne portent pas de valeurs sensibles (politiques, religieuses, historiques, etc.). En contrepartie, ils n'apportent aucune information sur la ville, il s'agit de noms purement fonctionnels.

Une autre vision des noms de rues :
Aux États-Unis, les grandes villes de l'Est n'ont jamais utilisé les noms que pour les grandes voies et aussi pour les plus anciennes. La plupart du temps, pour un souci de repérage et de facilité, les rues ont été numérotées, ainsi en Amérique du Nord, le nom de rue le plus répandu est «Second Street», et le suivant est «Main Street».
Toujours par facilité, les villes, et surtout celles qui se dotent ou qui refondent leurs noms de rues, adoptent des noms de fleurs ou d'arbres. Ces odonymes-là n'entrent que très rarement dans les études.
Enfin il faut noter les traditions locales. Souvent elles s'appuient sur le milieu naturel antérieur à la fondation de la ville. On trouve aussi des appellations traditionnelles à une région : la « rue de la cave » dans les régions viticoles, la « place du peuple » dans les villes de tradition marxiste, etc.

Histoire des odonymes en France

Les historiens donnent cinq époques où l'on peut observer une typologie similaire sur tout le territoire.
- Le Moyen Âge : les dénominations répondent à une logique fonctionnelle. Le nom de la voie est celui du lieu qu'elle dessert, ce lieu étant religieux ou civil : « place de l'Église », « place du Marché », « rue des Bouchers » ;
- 17ème et 18ème siècles : rupture avec le Moyen Âge et la dénomination fonctionnelle. Les voies portent alors le nom des Grands du royaume (ce procédé aurait été inspiré par Sully) : « place Louis-le-Grand », « rue de Condé » ;
- Révolution française : la débaptisation est courante, les instances révolutionnaires ne changeant pas seulement les noms des rues mais aussi des villes : les « rue de l'Égalité », « place de la Nation » apparaissent dans la plupart des cités ;
- L'Empire : déjà sous le Directoire, la débaptisation s'essouffle. Sous l'Empire, le phénomène s'inverse et les « rue Saint-Antoine » ou « rue de l'Église » sont réintroduites. C'est aussi l'époque de l'apparition des noms de généraux et de victoires militaires dans les villes françaises : « rue de Wagram », « rue Ney » ;
- 20ème siècle : c'est l'éclectisme. Les courants principaux sont les personnages célèbres majoritairement masculins, les régions géographiques et les pays (« rue de Colmar », « avenue du Japon », « route de Laval », etc.) et enfin les références à la nature (« allée des Roses », « rue des Alouettes », etc.).

En 2009, Rue de l'Église est l'odonyme le plus fréquent, Rue Pasteur étant celui concernant une personne le plus attribué.

Bibliographie
- Stéphane Gendron, La Toponymie des voies romaines et médiévales : Les mots des routes anciennes, éd. Errance, Paris, 2006. (ISBN 2-87772-332-1)
- D. Badariotti, « Les noms de rues en géographie. Plaidoyer pour une recherche sur les odonymes », in Annales de géographie, n°625, Éd. Armand Collin, mai-juin 2002.
Pour plus d’informations : http://id.erudit.org/iderudit/020624ar, http://fr.wikipedia.org/wiki/Odonyme