La conscription napoléonienne, un inépuisable réservoir de jeunes soldats 

Comment cette conscription napoléonienne s’est-elle déroulée dans chaque commune de notre canton ? Il y aurait là toute une recherche possible dans les archives départementales.

« Une redoutable machine de guerre : lors de la première campagne d'Italie (1796-1797), le général Bonaparte écrasa les Sardes, fit la conquête du Piémont, de la Lombardie, de la Vénétie, du Frioul et repoussa les Autrichiens au-delà du Tyrol, jusqu'à une centaine de kilomètres de Vienne. En huit mois.

À l'été 1805, devenu l'empereur Napoléon ler, il engageait ses hommes contre l'Allemagne. Moins de deux mois plus tard, les troupes impériales avaient traversé la moitié de l'Europe et remporté vingt batailles (Wertingen, Günzburg, Elchingen, Ulm...). C'est bien à la guerre que le génie de Napoléon donna toute sa mesure. En créant de nouveaux régiments (comme les cuirassiers en 1803, qu'il dote de casques et de cuirasses), en intégrant des troupes étrangères (mamelouks égyptiens ou lanciers polonais...), en innovant dans les transmissions et le renseignement, ou encore en révolutionnant l'utilisation de l'artillerie, ce stratège implacable se donna un outil à la mesure de son ambition.

Le nerf de la guerre napoléonienne ne fut pas l'argent mais le mode d'enrôlement de son armée 

Celui-ci reposait en effet tout entier sur la conscription nationale, un système tranchant radicalement avec le recrutement de troupes mercenaires caractéristiques des armées de l'Ancien Régime, et encore en vigueur, au début du 19e siècle, dans toutes les autres forces européennes. Ce mode de recrutement avait alors une histoire toute neuve : il se mit en place avec la « levée en masse » de l'an 2. Afin de défendre la patrie et la Révolution en danger, la Convention avait décrété l'enrôlement, par désignation ou par tirage au sort, de 300 000 hommes, entre septembre 1793 et septembre 1794.

D'exceptionnel, ce dispositif devint la norme sous le Directoire, le 5 septembre 1798, avec la loi Jourdan-Delbrel (du nom des deux députés qui l’ont proposée) : « La conscription militaire comprend tous les Français depuis l'âge de 20 ans accomplis jusqu'à l'âge de 25 ans révolus », stipulait-elle. Le service militaire obligatoire était né. Héritant de ce mécanisme, Napoléon y vit un formidable instrument pour couvrir les constants besoins en troupes fraîches que réclamait sa Grande Armée. Il laissa donc la conscription en vigueur tout au long du Premier Empire. Grâce à elle, il put recruter, entre 1804 et 1814, plus de 2,5 millions de soldats, des effectifs inédits pour une armée nationale. La machine était bien rodée : dans chaque département, on tenait la liste de tous les conscrits considérés comme aptes au service, soit ceux qui, entre autres critères, mesuraient plus d' l mètre, 54, ne présentaient pas de déficience visuelle ou mentale, et ne souffraient pas de difformité physique handicapante pour le combat, comme la mutilation du pouce ou de l'index empêchant de tirer, ou l'absence d'incisives pour déchirer les cartouches.

On procédait ensuite à un tirage au sort parmi ces recrues potentielles. Celles qui piochaient, selon une proportion d'environ une sur sept, « le mauvais numéro » (l'expression est restée) rejoignaient le contingent. Certes, les appelés suffisamment fortunés étaient autorisés à se payer un remplaçant, et il existait des cas de corruption et de faveurs diverses pour échapper aux mailles du filet. Il n'en reste pas moins que l'armée napoléonienne devint ainsi bien plus représentative de l'ensemble de la société dont elle était issue, que toutes les autres, à commencer par les troupes anglaises qui enrôlaient essentiellement des chômeurs ou des repris de justice. Cette incroyable capacité de mobilisation était un atout majeur de l'armée française : « Napoléon pouvait se permettre de perdre 1 000 000 hommes par an, car chaque année, autant de conscrits étaient recrutés », estime l'historien Alessandro Barbero, spécialiste d'histoire militaire, et auteur notamment de « La Bataille des trois Empires » » (éd, Flammarion, collection Champs, 2014). Avec la conscription nationale, la guerre commençait déjà à devenir totale.

Texte extrait par Henri Bret de : Géohistoire, juin 2015, p.44.