Les noms des 9 000 châteaux girondins.

Châteaux viticoles : en Bordelais, les saints habitent une grande tour.
Les presque 9 000 châteaux girondins portent souvent des noms qui se ressemblent. Histoire, géographie et type de sol sont passés par là. Inutile d'essayer de mémoriser tous les noms de châteaux utilisés en Gironde : en retenir un par jour demanderait plus de vingt-trois ans d'efforts, samedis et dimanches compris... De plus, la galaxie est si touffue que nombre d'entre eux sont approchants, voire quasi similaires. C'est alors l'AOC qui peut les différencier auprès des amateurs. Difficile d'y retrouver parfois ses petits, avec ces cousinages et autres consanguinités viniques. « Géographie des lieux, histoire des familles ou types de sols sont passés par là », explique Bruno Boidron : à la tête des éditions Féret, il possède une immense base de données permettant de jongler avec la récurrence des mots. On apprend ainsi que saint, tour et grand composent le trio de tête d'une longue liste comptant près de 9 000 noms de châteaux, mais aussi plus de 1 000 domaines et 500 clos.

La galaxie religieuse : le château Saint-Genès côtoie ainsi Saint-Floran, alors que Saint-Martin bataille avec Saint-Yves, Saint-Nicolas ou Saint-Marcel. Une galaxie religieuse qui pointe tout ce que la viticulture doit au christianisme. Chapelle (66 fois), croix (223), église (22), prieuré (30), curé (58), clocher (7), cloître (2), abbaye (10), temple (6), cardinal (19) ou commanderie (14) remplissent le listing des propriétés, surtout du côté de Saint-Émilion et en pensant aux chemins vers Saint-Jacques-de-Compostelle, en Galice, dans le nord-ouest de l'Espagne. Par contre, le vocable cimetière n'apparaît nulle part : pour vendre du vin et garder le moral, ce n'est pas top... Dans le même registre, Jean (109) et Paul (17) sont là. Le pape aussi, mais discrètement (10).

Les types de terroir : si Belair (102 fois), Beauséjour (30) ou Fleur (153) viennent à l'esprit dès que l'on pense aux mots les plus usuels, il faut se tourner vers le type de sol pour explorer une autre veine bien fournie. Graves (218 fois), gravier ou gravière (41), pierre (43) et son cousin Saint-Pierre (18), sans oublier roche (90), caillou (50) ou roc (99) montrent, si besoin était, que le vin provient avant tout d'un terroir. Géologie et noms de châteaux sont des amis fidèles. Les graves par exemple, en Médoc ou ailleurs - c'est aussi le nom d'une AOC - sont ainsi « glorifiées » dans les messages publicitaires. La terre parle au cœur et déguster une bouteille peut relever de la recherche de racines rurales ; d’où ce nom « terroir », si spécifiquement français qu'il n'existe pas de traduction en anglais ou en espagnol.

C'est sûrement la raison pour laquelle sable ne se retrouve que 8 fois - les vignes y donnent souvent de moins bons résultats, alors que pey (pierre en gascon) est dans les champions (225 apparitions, mot ou partie de mot). Formes et occupations des paysages sont d'autres éléments explicatifs : grand (321), petit (129), lamothe (46), tertre (46), avec une tour (317), un moulin (269), un bois (115), une forêt (13), une grange (59) ou une maison (26). Et comme l'histoire est passée par là, être vieux (245 apparitions) est logique, comme aimer cueillir une rose (170) au soleil (12).

Les titres de noblesse : dernier univers bien présent au pied des ceps de vigne, celui des titres de noblesse. Sinon, nous n'aurions pas la France et l’histoire de la possession des terres. Avec marquis (26), baron (33), comte (19), duc (6) ou duchesse (4), tous autour du roy (41), sans oublier prince (8), dauphin (e) (12) et autre chevalier (26). Verre en main, on boit aussi l’histoire des lieux.

Article issu du journal Sud-ouest du 23 février 2014, page 10, César Compadre.

NDLR : le mot pey, assimilé ici à pierre, renvoie plutôt à l’idée de sommet et de hauteur comme puy, puech…

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