La justice seigneuriale au 18e siècle 

La justice étant l'un des droits réservés à la souveraineté, les jurisconsultes (1) s'accordent à reconnaître que les seigneurs ne peuvent l'exercer qu'en vertu d'une concession expresse ou tacite du roi, ou d'une usurpation légitimée par le temps. En fait, les droits de justice se trouvent partout entre les mains de particuliers et constituent un élément du patrimoine seigneurial : à ce titre, le seigneur peut les exploiter directement, ou même les aliéner à titre onéreux comme à titre gratuit. Par exemple, en 1758, le Président au Parlement Jean Paul de Loret reçoit à titre de donation de Marie Anne Lalanne, sa parente, le tiers de la baronnie de Sémignan en Médoc (2), avec « haute, moyenne et basse justice ».

Le caractère patrimonial des justices seigneuriales est une cause de leur multiplication : lors du partage d'une seigneurie, les usages bordelais permettent aux cohéritiers de diviser non seulement la terre, mais aussi les pouvoirs justiciers, à la seule réserve de ne pas multiplier les degrés de juridiction. Chaque seigneur nommera ses propres officiers qui exerceront leurs fonctions « alternativement et par tour successif ».

On distingue, en fonction de leur importance et de l'étendue de leur compétence, trois sortes de justices : la haute, la moyenne et la basse.

Les justices seigneuriales forment le premier degré de juridiction qui va en appel, au civil devant le Sénéchal, puis le Parlement, et au criminel, devant le Parlement directement.

Selon les jurisconsultes :

- La basse justice comprend la connaissance des causes civiles jusqu'à la somme de trois livres, la moyenne justice, celle des causes civiles au-dessus de soixante sous, et des causes criminelles dont l'amende ne dépasse pas soixante sous.

- Le haut justicier, seul, connaît des cas entraînant mort naturelle ou civile, peine afflictive ou infamante.

Mais cette liste est réduite par celle des cas royaux dont la connaissance exclusive est réservée aux juges royaux, et dont l'ordonnance criminelle de 1670 a donné une énumération.

Le personnel d'une justice seigneuriale comprend ordinairement un juge, parfois assisté d'un lieutenant, un procureur d'office qui joue le rôle de ministère public et représente également les intérêts du seigneur, et un certain nombre d'auxiliaires de justice, greffiers, sergents et prévôts. Les notaires seigneuriaux sont rarissimes et ont pratiquement disparu au 18e siècle. Les officiers, c'est-à-dire le juge, le lieutenant et le procureur d'office sont nommés par une lettre de provision octroyée par le seigneur. Leur désignation est réglementée par les ordonnances de Blois et d'Orléans qui remontent au 16e siècle.

[NDLR : 1. Un jurisconsulte, mot dérivé du latin juris consultus : « consultant en droit », s'étendait dans certaines anciennes civilisations aux enseignants et aux auteurs du domaine juridique mais plus spécialement aux théoriciens, aux penseurs du droit. C'est à la Rome du 2e siècle av. J.-C. que revient d'avoir, la première, érigé le droit en doctrine (Wikipédia). 2. Le château de Sémignan, à Saint-Laurent-Médoc, est une ancienne maison forte édifiée au début du 14e siècle et dont l’architecture présente un caractère singulier. Le château de Sémignan, apparenté à une maison noble ou à une ferme fortifiée, est bâti sur un terrain plat, aux abords marécageux, offrant une protection naturelle. Il est construit par les seigneurs Albret de Vertheuil et appartient ensuite à Gaston de Foix.]

Texte extrait par Catherine Bret-Lépine du livre de Gérard Aubin, « La seigneurie en Bordelais d’après la pratique notariale (1715-1789), Ed. Université de Rouen n° 149, p 172.