L'art de vivre en Médoc.

Richesse du terroir et sa gastronomie.

À l'évocation du nom de Médoc, l'étranger ou plutôt « l'estrangeys » à la région voit dans son imaginaire apparaître une bouteille, pleine évidemment, sur laquelle il s'empresse de lire le nom du château et le millésime. Les papilles gustatives en folies, il ignore complètement que ce nom qui sonne à l'oreille, sec et clair, dans cette fin des terres de la Gascogne septentrionale, cache bien d'autres plaisirs, simples peut-être, que seuls les indigènes savent apprécier à leur juste valeur. Le Médocain a toujours été chasseur, pêcheur, cueilleur, sachant profiter des bienfaits de dame nature. Par opportunité, il s'est fait vigneron apportant au Médoc ses lettres de noblesse et sa renommée mondiale. Pour pénétrer en Médoc au sortir de Bordeaux, il faut franchir la Jalle de Blanquefort qui sert de frontière. Le Taillan est donc bien en Médoc et si la proximité de la grande ville a quelque peu atténué son caractère médocain, les traditions demeurent chez les aînés, ceux-ci espérant bien que les jeunes ne les laissent pas s'éteindre et qu'à leur tour ils sauront les transmettre en leur gardant toutes leurs richesses.

La vigne.

Si dans un passé récent, du printemps à l'automne, l'océan vert des vignes, de Germignan au Lout, en passant par Hontane, Lagorce et la Belgique recouvrait la commune, il ne reste plus aujourd'hui que quelques tâches vertes appartenant à deux producteurs taillanais : le château du Taillan, cru bourgeois en Bordeaux rouge et le château la Dame Blanche en Bordeaux blanc. Le domaine Chalet de Germignan, cru d'artisan.

La pêche.

Il y a des milliers d'années, le Médoc est né de l'eau, celle-ci est partout, tout autour, mais aussi à l'intérieur des terres avec les grands lacs, les canaux et les marais, ce qui est un paradoxe pour une région productrice des meilleurs vins du monde. De fait, le Médocain est pêcheur. L'eau douce lui offre anguilles, brochets, tanches et gardons, mais aussi les grenouilles. L'estuaire et le fleuve, ce mélange d'eau verte et jaune, de limons et de vase, voient le pêcheur remonter dans ses filets, de mars à juin, l'alose. Manger l'alose, grillée avec une feuille de laurier, accompagnée d'une sauce verte, est un rituel que tout Médocain qui se respecte doit pratiquer. De décembre à mai, c'est au tour de la lamproie, vertébré aquatique sans écailles, que certains appellent « le vampire de la Gironde » de venir garnir le filet du pêcheur. Poisson pour films d'horreurs avec la bouche en ventouse lui permettant de sucer le sang de ses proies, la lamproie fait peur ! Saignée vivante dans un récipient de cognac, cuite dans un grand vin de Médoc et servie sur un lit de poireaux, le monstre, une fois dans l'assiette, réveille nos palais. Que dire de ce mets ? C'est un délice !

La crevette blanche de Gironde est également appréciée, cuite dans un court bouillon à l'anis, à l'heure de l'apéritif. Il y a l'or de l'estuaire, les alevins d'anguille que l'on nomme pibales ou civelles, tellement convoités au moment des fêtes de fin d'année par les Espagnols qui les appellent « angulas » et par les Chinois pour les engraisser, qu'il faut y mettre le prix fort pour en conserver le goût d'une année à l'autre. Cuite dans un couquelon, baignant dans l'huile d'olive, avec du piment fort et de l'ail, la pibale est plat de roi.

Enfin on n'oubliera pas la pêche au bord de l'océan, au filet, le « traïnot » pratiquée à plusieurs. Les pêcheurs, de l'eau jusqu'aux épaules, encerclent le poisson puis le ramènent sur la plage.

Gric de Prat dans un poème composé pour un repas de noces, décrit une de ces parties de pêche à Vendays.

« C'était pendant le cours d'une superbe nuit !

La déesse Phoebée à nos yeux s'est montrée

Comme au jour d'un hymen pompeusement parée ;

Aucun nuage gris n'altérait sa clarté ;

Même elle avait choisi cet éclat argenté

Dont elle a soin parfois de peindre le rivage

Pour réparer des mers l'irréparable outrage.

Tout à coup, choisissant et le sol et l'instant

Baudoin fait entendre un bref commandement.

« Au filet ! », aussitôt chacun saute à sa place,

Et toujours au milieu d'un silence de glace,

Stoïque, étincelant des mille feux des eaux,

L'équipe des Tritons se jette dans les flots !

Les uns tiennent les pieux, d'autres tirent la corde,

Ou veillent à ce que le filet ne se torde ;

Avec quelle énergie ils passent les embruns !

Coupent la lame verte aux moments opportuns

Reprennent leur élan, ramènent à la terre :

Et malgré qu'ils n'aient pris qu'une sole et deux terres,

Se replongent à l'eau sans se décourager

Et sans cesse accroissant leur mépris du danger

Livrent en cette nuit à la gent aquatique

Le plus beau des combats qu'ai connu l'Atlantique ».

La chasse.

Chasseur, le Médocain l'est sans doute de naissance, apparaissant ainsi aux yeux des eurocrates comme un barbare qui tire sur tout ce qui vole. L'héritage d'un passé très lointain autant que la position géographique du Médoc, sur le trajet des grandes migrations de la gent ailée, font de l'habitant de la région un chasseur d'oiseaux connu bien au-delà des frontières hexagonales. La chasse est une institution faisant partie de l'univers culturel Médocain. Ses techniques varient en fonction du gibier. La bécasse, oiseau très rusé, défie le chasseur en permanence. L'inscrire à son tableau de chasse est double récompense. La première, permet de qualifier le lauréat, de fin chasseur; la deuxième est dans l'assiette, car la valeur gustative de ce volatile n'est plus à démontrer, c'est sans doute le plus savoureux des gibiers à plumes ! L'alouette s'attrape aux filets que l'on appelle « pantes ». Là aussi, le chasseur doit faire preuve de savoir-faire. Il faut, par des appels, les attirer vers le lieu choisi, les faire poser et actionner rapidement le filet, qui tendu par un ressort, s'abat sur les oiseaux. Cuite à la cocotte, entourée d'une tranche de « ventrèche », l'alouette est un petit délice qui récompense la longue attente du « pantayre ».

À côté de ces gibiers rares, le chasseur pourra aussi garnir sa gibecière avec les colverts ou les sarcelles, chassés depuis la « tonne », petit abri construit sur la partie marécageuse des étangs ou du fleuve. À la saison, il attendra le vol bleu des palombes allant prendre leurs quartiers d'hiver en Espagne ou plus au sud encore. La palombière est un endroit convivial, où la gastronomie rustique, permet d'attendre sereinement le prochain vol dont beaucoup de passagers finiront en salmis. Au Taillan, il existe toujours une ou deux palombières, dont une dans le secteur du chêne de Boulugan. Il ne faut pas oublier les grives, abondantes au Taillan, il y a encore quelques années, que l'on chassait à la « passée » dans les vignes abandonnées. Les tuiles de quelques maisons de l'allée de Curé ont bien souvent reçu quelques retombées de plombs.

Pour le gibier à poils, le lièvre et le lapin figurent en bonne place dans le tableau de chasse. Rien de plus savoureux qu'un lapereau sauvage, comme sait si bien le dire avec des rimes, Roger Romefort, dans son poème pour un repas de noces :

« Décidément c'était un menu bien local ;

Car de l'avis de tous, le summum du régal

Fut un civet exquis de lapereaux sauvages

Pris sur le sable fin de la dune de plage

Qui sentait l'immortelle avec le serpolet !

Edgard, te souviens-tu vraiment de ce civet ?

Et pour accompagner ces lapereaux nous eûmes

comme dirait le Cor, un excellent légume :

Des membres de canard confits aux petits pois,

Tudieu, comme jamais n'ont eus princes ni rois !

Le tout bien arrosé de poudreuses bouteilles

Dont l'une plus que l'autre était pure merveille ».

Le gros gibier n'est plus chassé depuis longtemps, mais jusqu'aux années 80, dans la douceur des soirs d'été, raisonnaient encore, à l'orée du bois, près du château Brun, le son des cors et les hurlements de la meute de l'équipage de M. Cruse.

Les viandes.

Il y a de moins en moins de familles qui élèvent leur cochon. Comme dans tout le Sud-ouest, la cuisine du porc reste traditionnelle, avec toutefois quelques spécialités, que l'on peut qualifier de médocaines. Le grenier médocain, se prépare avec l'estomac de l'animal, roulé sur lui-même, cuit au court-bouillon et bien assaisonné avec beaucoup de poivre. Les tricandilles sont les tripes, cuites aussi au court bouillon. Elles se mangent grillées sur la braise des sarments de vigne, saupoudrées d'ail et de persil. L'entrecôte à la bordelaise est pratiquement devenue un plat national, mais pour le Médocain, elle ne se conçoit que grillée également sur la braise de sarments et recouverte d'échalotes finement hachées.

L'agneau sous l'appellation « agneau de Pauillac » est devenu depuis quelques années une spécialité du Médoc, protégée depuis peu de temps par une I.G.P. (Indication Géographique Protégée).

Comme dans les landes voisines, la lande médocaine avait ses bergers gardant les moutons du haut de leurs échasses, accompagnés de leurs chiens. En hiver, ils fréquentaient les vignes et les prairies du bord du fleuve où ils rencontraient les pasteurs basques ou béarnais, fuyant la froidure des Pyrénées.

Au 19ème siècle, avec l'ensemencement en pins de la lande, les bergers durent abandonner peu à peu les lieux de pacage habituels et se fixer sur les prairies du bord de l'estuaire. C'est ainsi que l'agneau du Médoc, devint l'agneau de Pauillac ; c’est un agneau de lait de quelques semaines, nourri uniquement du lait de sa mère. C'est le plat de viande des grandes occasions, comme la fête de Pâques. Le morceau de choix en est le gigot cuit au four ou à la ficelle.

Les champignons.

Pêcheur, chasseur, le Médocain est aussi cueilleur car dame nature lui propose quelques gâteries dans les vastes forêts littorales ou de l'intérieur comme celle du Taillan. À celui qui a bonne vue et bon odorat, s'offre le roi des champignons, le cèpe de Bordeaux, « Boletus édulis » de son nom savant. Cuit à la bordelaise, avec un hachis d'ail et de persil, il accompagne une bonne entrecôte ou un moelleux confit de canard que l'on appréciera avec un bon Médoc. Mais le chercheur averti saura apprécier bien d'autres espèces telles que la girolle, la chanterelle en tube ou le catalan (lactaire délicieux), tous excellents en omelette. Avant les premières gelées, il découvrira le plus souvent dans la mousse des bois de pins bordant les dunes littorales, le tricholome équestre, plus connu dans la région sous le nom de « bidaou ». Ce champignon a toujours été signalé comestible, mais récemment, plusieurs cas d'intoxication mortelle auraient été détectés autour du bassin d'Arcachon (Chasseur Français des mois d'avril et mai 2000).

Les fruits et les légumes.

À côté des cultures maraîchères habituelles, la commune du Taillan, connut à la fin du 19ème siècle et jusque vers 1950-1960, une grande réputation pour la qualité de ses asperges et de ses fraises. Le sol relativement léger et sablonneux se prête favorablement à la culture de l'asperge, cette dernière étant une source importante de revenu pour les paysans avant la Seconde Guerre mondiale. Si les jeunes pousses bien blanches rencontraient un franc succès sur le marché des Capucins, les champs d'asperges subissaient des déprédations importantes, car le feuillage vert et vaporeux était très recherché par les fleuristes. Ainsi, des actes de vandalisme de grande ampleur furent commis au Taillan, les tiges étant coupées pour être vendues par brassées à l'ancien marché aux fleurs de la place de la Victoire, véritable saccage qui conduisait les griffes au dépérissement. Georges Miqueau maire du Taillan et conseiller général, devant le mécontentement des cultivateurs, dut intervenir auprès des autorités, et fit paraître, pour donner plus de poids à son intervention, dans le journal la Liberté du Sud-ouest du 2 août 1938, la lettre qu'il adressait à M. le préfet de la Gironde, lui demandant de prendre les mesures nécessaires à la cessation des actes de vandalisme.

Une autre culture était également réputée, celle de la fraise dite « Crémone ». Elle se cultivait entre les pieds de vignes avec les petits pois, mais surtout sur la lande. Cette fraise, ronde très savoureuse et parfumée, était produite en grande quantité à la fin du 19ème et début du 20ème siècle pour approvisionner les marchés bordelais. Elle semble avoir définitivement disparu de la commune entre les années 1956 (victime du gel) et 1980 par abandon progressif des cultures d'une manière générale et l'arrivée de nouvelles espèces de fraisiers (Gariguette, Belrubi, Gento, Mara des Bois) plus résistantes et normalisées. Certains supposent que la fraise « Crémone », cultivée depuis le milieu du 19ème siècle au Taillan, serait la même que La « belle bordelaise » ou « belle de Pessac » (obtenue en 1854 par M. Lartey, horticulteur à Bordeaux), plantée tout autour de Bordeaux. Mais ce n'est pas du tout certain, car M. Roudeillac, ingénieur, responsable du programme sélection variétale au C.I.R.E.F. (Centre Interrégional de Recherche et d'Expérimentation de la Fraise), ne peut l'affirmer. Pour M. Clémens, maître de conférences en Histoire à Bordeaux III et historien pessacais, ayant fait des recherches sur l'histoire de la fraise « Belle de Pessac » (Fragaria Moschata de la race du Capron), il s'agirait bien de deux variétés différentes. Il a découvert, dans un ouvrage datant de 1865, qu'il est fait mention de croisements de plants que réalisait M. Crémont, horticulteur à Houdan, entre 1820 et 1830, avec des fraisiers de Virginie, (Fragaria Virginiana) débarqués en Europe au 17ème siècle et d'autres du Chili (Fragaria Chiloensis) introduits en France en 1714 par un ingénieur féru de botanique, un certain M. Frézier. Il se pourrait que le nom de « Crémone » ne soit qu'une simple déformation ou féminisation du nom de Crémont. Pour compliquer l'affaire, certains Taillanais parlent de l'existence, d'une « fausse Crémone ! »

« Adichats », au revoir. « Il est aussi facile de rêver un livre qu'il est difficile de le faire »,

Honoré de Balzac

Le Taillan-Médoc, hier, aujourd’hui, Point Info du Taillan, 2 000, p.170-175.