Une odeur infecte 

 

Sur les petites exploitations maraîchères d’Eysines, deux ou trois hectares en moyenne, trois cultures de légumes se succédaient dans la même année : elles nécessitaient un apport important d’engrais après chaque récolte. Les fumiers produits dans les exploitations laitières ne suffisaient pas.

À partir de 1852, à une époque où le maraîchage est en pleine essor, les jardiniers ont utilisé un engrais naturel liquide produit par le centre d’équarrissage installé avenue René Antoune : le bouillon à Balland, du nom du premier exploitant, auquel Delbos, puis Chaigneau ont succédé, et enfin Pierre Médan jusqu’à la fin de l’exploitation en janvier 1971. Le matériau était bon marché et facile à transporter dans des tonnes. Il avait un inconvénient, son odeur pestilentielle !

Enlevement-des-animaux

En 1902, le maire d’Eysines, lui-même maraîcher et responsable du Syndicat, réglemente les conditions de l’utilisation du « bouillon ». L’arrêté du 25 août précise : « l’épandage sera fait le matin, à la première heure… Il sera recouvert de terre au fur et à mesure de son emploi…

Le transport ne pourra être fait qu’au moyen de tonnes hermétiquement closes. Le passage des véhicules servant au transport du bouillon de Balland est formellement interdit dans les groupes d’habitations et notamment dans la rue principale… », le 25 août 1902, le maire.

Le même Aladin Miqueau semble avoir changé d’avis quelques années plus tard, un autre arrêté en date du 8 octobre 1915 interdit purement et simplement l’utilisation du bouillon ! Pourquoi ? « La colonie étrangère fuyant la commune dont l’air est empesté, les propriétaires ne louant pas leurs immeubles, les restaurateurs et les débitants perdant leur clientèle, etc. »

L’arrêté sera soumis à l’approbation de monsieur le Préfet…

Il est vrai que, après l’arrivée du tramway et l’installation des guinguettes, un tourisme de banlieue s’est développé… Après tout, les maraîchers peuvent utiliser des engrais chimiques sans odeurs…

Les plaintes se sont multipliées. Il semble que l’arrêté de 1915 soit resté lettre morte : en septembre 1924, Emmanuel Faure qui vient d’acheter le domaine de la Plante pour y résider écrit au Préfet : « Les prétendues modifications qu’on disait avoir apportées aux procédés industriels du centre d’équarrissage n’ont pas supprimés les odeurs nauséabondes… D’autre part, les chiens de la fourrière de Bordeaux n’étant pas enfermés dans un local clos, leurs hurlements troublent fréquemment la paix nocturne de la campagne. Me référant à l’arrêté préfectoral de 1852 qui a autorisé cet établissement… j’ai l’honneur de vous prier de supprimer les inconvénients dont souffre la population. »

Domaine-de-la-Plante

Le préfet a répondu le 9 octobre 1924 : « L’inspecteur chargé du service m’a rendu compte que le clos d’équarrissage Chaigneau était bien tenu et exploité dans les conditions fixées par les arrêtés d’autorisation. Les quelques rares demeures qui se sont construites depuis 1852 le furent aux risques et périls de leurs propriétaires… Dans ces conditions, il n’est pas possible d’imposer à l’industriel de nouvelles prescriptions… » Le centre avait l’avantage d’assumer un service public et de ne rien coûter à la collectivité. On dit que l’argent n’a pas d’odeur !

L’équarrissage a continué jusqu’en janvier 1971, jusqu’à son transfert à Reignac, hors de l’agglomération.

Pierre-Medan

Texte extrait du blog de l’association Connaissance d’Eysines, Michel Cognie, 8 juillet 2016.