La Salle Carpenteyre

À l’occasion des journées européennes du patrimoine 2019, nous avons organisé une balade eysinaise à Lescombes et au Bourg. Au cours de cette visite, nous avons évoqué brièvement l’histoire de la Salle Carpenteyre que nous vous présentons plus longuement ici.

La Maison Noble de la Salle Carpenteyre était située, à Lescombes, à l’emplacement qui correspond actuellement au 7 rue Seguin.

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L’aspect actuel de l’emplacement de la Salle Carpenteyre.

Le 7 février 1307, un titre mentionne la donation faite par Seguin Carpentey, Bourgeois de Bordeaux, en faveur des Religieuses de Sainte Claire… de la Maison Noble de la salle Carpenteyre « en loc apperat à Las Comas », soit en français : « au lieu appelé aux Combes »,Lescombes ».

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Sur un plan actuel de Bordeaux l’emplacement du couvent des Clarisses et celui des Annonciades.

Les Clarisses s’étaient installées à Bordeaux vers 1230. Après 1260, elles reçoivent l’autorisation de posséder des rentes et des terres. En possession de rentes, foncières ou autres, qui lui ont été données par divers bienfaiteurs, la communauté est donc insérée dans le système économique féodal : elle perçoit des rentes en argent ou en nature : le 1/5ème, le 1/6ème ou le 1/7ème de la récolte de blé et surtout de vin. À chaque changement de propriétaire ou de tenancier, le nouveau cultivateur de la terre ou de la vigne des religieuses vient reconnaître par-devant notaire qu’il la « détient en fief féodalement, selon les coutumes du Bordelais », de « la Religiosa Dona Sor X…, abadessa lo journ que cesta presenta carta fo feyta, deudeyt moster Santa Clara de Bordeu », soit en français « la religieuse sœur X, abbesse le jour où cette charte fut faite, dudit monastère Sainte Claire de Bordeaux » (ou, plus simplement, de « la Religiosa dona madona X, abadessa deu couvent de las Sors menudas de Bordeu », soit en français « la religieuse dame X, abbesse du couvent des Sœurs Menudes de Bordeaux). Nous savons que la plus grande partie des propriétés de ces sœurs menudes se trouvait à Eysines.

Pourtant, malgré rentes, terres, vignes, la vie matérielle de la communauté ne semble pas avoir toujours été très facile, notamment à l’époque troublée de la guerre de Cent Ans. L’abondance relative des actes notariés, des transactions, des reconnaissances féodales, ne doit pas faire illusion à cet égard.

Décidée en 1522, la démolition du monastère de Bordeaux est réalisée entre mai et novembre 1525. En attendant d’être accueillies dans un nouveau monastère, nos « Menudes » sont logées dans un local vétuste, presque croulant, de cet hôpital Saint-André fondé à la fin du XIVe siècle par le Chanoine Vital Carles (sur l’actuelle place Jean Moulin) où il leur est impossible de célébrer l’Office.

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Le couvent des Annonciades de Bordeaux : son plan et son cloitre.

 

Vers 1549, l’Abbesse « vénérable dame » Hélène de Bordeaux doit entamer une action judiciaire contre ses tenanciers de la paroisse d’Eysines qui, depuis vingt ans, n’ont pas payé les redevances en grain, et dérobent même le grain en question entreposé dans la grange du « Cornau des Comes ».

Autour de 1560, on voit les tenanciers de la communauté rendre des comptes à l’Abbesse dans la maison que les Sœurs possèdent sur la paroisse d’Eysines ; l’Abbesse elle-même recueille sur place les rentes en nature qui lui sont dues pour des vignes, et ne semble pas toujours pressée de rentrer à Bordeaux. Cette pratique suscite d’ailleurs des protestations. 

En 1567, le pape Clément V décide par une bulle pontificale de fusionner les Clarisses avec les sœurs de l’Annonciade. À la mort de l’abbesse en 1570, une enquête est faite pour envisager cette fusion qui est finalement réalisée en 1575 avec le transfert officiel des Clarisses, et de leurs biens, à l’Annonciade, le couvent fondé en 1520 à Bordeaux par Mme de Lansac .

En 1765, dans un document, les religieuses de l’Annonciade sont toujours désignées comme seigneuresses foncières directes de la Maison Noble de la Salle Carpenteyre.

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Sur le cadastre de 1808, le quartier de Lescombes et le détail du plan avec la Salle Carpenteyre.

Puis vient la Révolution. Les biens des congrégations religieuses sont déclarés biens nationaux, confisqués et mis en vente.  Les biens des sœurs de l’Annonciade à Eysines sont constitués d’une vielle maison (une seule) avec chai, cuvier et un grand tènement de vignes.

 Le 23 août 1790, Etienne Ponson, maire d’Eysines, procède à l’inventaire précis de ces biens.  Il comprend : une chambre basse (rez-de-chaussée) de 29 pieds de long et 16 de large, le tout dans l’ombre (sans fenêtres ?) – une chambre en haut de la même longueur et largeur- un degré (escalier) à côté de 7 pieds de large – le cuvier de 52 pieds de long et 21 de large - le chai de 70 pieds de long et 29 de large, le tout en un seul tenant (rien n’indique si les deux chambres sont superposées ou juxtaposées bout à bout, l’escalier entre elles).

Au nord, un petit lopin de jardin, puis les chambres qui confrontent à l’est à un chemin et à l’ouest partie à un jardin et partie au cuvier, au sud des chambres, le chai et le cuvier. (Les dimensions du chai sont concordantes avec le plan cadastral de 1844 : 22,70m x 9,40 m & la longueur du cuvier de 16,90 m)

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Le mobilier recensé dans l’inventaire se composait d’une table et deux bancs dans la chambre basse, un châlit en noyer, une petite table ronde, 3 chaises et un prie-Dieu. Le mobilier est sommaire mais ne correspond pas forcément à ce qui existait avant un déménagement et/ou un pillage éventuel.

Le 3 juin 1793, lors de la vente des biens nationaux, ce bien est acquis par Gratian Argillos, meunier à Eysines.

À cette date, les propriétaires voisins de la salle Carpenteyre sont les suivants :

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Gratian Argillos reste propriétaire de la totalité de ce bien jusqu’en 1824 où il est partagé entre deux acquéreurs : Baquey Pierre fils, dit Bondieu et Antoune Dominique dit Perot. À partir du milieu du XIXe siècle, chacune de ces deux parties va changer plusieurs fois de propriétaire.

Le 22 novembre 1887, chez maître Dugravier à Blanquefort, Pierre Baquey et son épouse Hyppolite Pommier (arrière-grands-parents d’une des propriétaires actuelles) achètent la Salle Carpenteyre à Jean Corbineau et Elie Martin.

Dans les années 20 du XXe siècle, sont mentionnés sur les matrices cadastrales 3 biens différents : deux maisons et un bâtiment appartenant à trois propriétaires différents.

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À gauche le cadastre de 1844 et à droite celui de 1967, les plans ont si peu changé ! La rue Seguin est à gauche dénommée « rue », la place de la croix de Lescombes est vers le haut.

Ce bref historique a pu être réalisé grâce aux recherches d’abord initiées par Michel Baron pour la période révolutionnaire, puis approfondies autour de l’histoire et de la vie des Clarisses et des sœurs de l’Annonciade à Bordeaux et à Eysines. Enfin, notre équipe a travaillé aux archives municipales sur les matrices cadastrales qui nous permettent de suivre la trace des propriétaires successifs de ces biens durant un peu plus de deux siècles.

Cette étude nous a permis de retrouver derrière un îlot de bâtiments modestes une construction qui était le centre d’une maison noble exploitée au profit d’un ordre religieux bordelais et dont la richesse reposait sur la vigne. Elle est aussi l’occasion de souligner l’importance des autres maisons nobles présentes à Eysines qui appartenaient à des chapitres et couvents ou des notables de Bordeaux.

Texte extrait du blog de l’association Connaissance d’Eysines, 5 mai 2020, Michel Baron, Marie-Hélène Guillemet, Dany Lagnès, Michel Legros, Elisabeth Roux.