Le patrimoine en 1876 

Voici comment Edouard Guillon décrit la commune:

Eysines est située au sud du canton de Blanquefort, sur la rive droite de la Jalle où elle couvre une superficie rectangulaire d’environ 1 500 hectares, partie en plaine basse, partie sur quelques coteaux graveleux ; elle est arrosée par un faible ruisseau, le Limancet, aujourd’hui canalisé sur tout son parcours ; il allait de la Forêt où il alimentait le lavoir, aux marais de Bordeaux, en longeant l’avenue de l’hippodrome.

Le sol d’Eysines est très productif, bien cultivé et produit des blés, des céréales, des foins, des objets de jardinage dont il se fait un grand commerce, des oseraies, des bois taillis et environ 300 hectares de vignes rouges. Les vins d’Eysines ont de la couleur, mais sont petits, communs et de courte durée ; le commerce les classe dans les petites graves, et Franck les assimile à ceux des communes de la banlieue de Bordeaux.

Le bourg d’Eysines se compose d’une longue rue, au bout de laquelle était l’église, qui a été démolie vers le milieu du XIXème siècle et reconstruite sur le coteau. Les principaux villages sont : Le Vigean, Les Combes, Le Grand-Louis ; il y a aussi des hameaux et des maisons isolées.

Il y a dans Eysines un lieu appelé la Motte, un autre La Citadelle et un troisième Le Campuch (Camp-Haut), désignations qui semblent annoncer des fortifications anciennes. Il y a aussi le Château de la Plane, le Manoir du Vigean, les maisons de Lescale, Bois-Gramont et Boisalut, des villas et de belles maisons bourgeoises.

Le château de la Plane
Là-bas derrière sa barbacane
L’antique château de la Plane
Ne montrait que ses quatre tours !

C’était jadis une maison-forte située à l’entrée de la forêt d’Ayzines et appelée La Taula du Luc [aujourd’hui, c’est le château Lescombes, 198 av du Taillan] ; on la retrouve depuis le 15e siècle, époque où elle appartenait à M. de Lalande qui fit bâtir le château dont il reste encore les tours. Jean de Lalande, chevalier, fut seigneur de la Taula du Luc, de 1433 à 1465, puis on retrouve un messire de Cat et d’Espire de Cat qui gardèrent La Taula jusqu’au milieu du 16e siècle.

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On la trouve désignée depuis cette époque sous le nom de château de la Plane, et vers 1550, cet édifice appartenait à Jean Dubernet, secrétaire du roi, qui la garda longtemps ; puis après sa mort, dit l’abbé Baurein, « Nous apprenons d’un titre du 4 juin 1598 que Gratian de Mullet, Ecuyer, étoit à cette époque, sieur de la Plane d’Eysines. » [Beaucoup de documents du XVIe siècle, conservés aux Archives Départementales attestent de désaccords nombreux entre les sieurs Dubernet, Dussault et Gratian de Mulet… ; l’abbé Baurein et Édouard Guillon simplifient un peu…]

En 1602, Gratian de Mullet partageait les dîmes de la paroisse d’Eysines avec le chapitre de Saint-André, ce qui prouve qu’il avait de grands privilèges nobiliaires ; cependant, ni lui, ni ses prédécesseurs ne se qualifient de seigneurs d’Eysines. La justice de cette paroisse avait d’abord dépendu de la châtellenie de Blanquefort, et elle dépendait au XVIIe siècle de la Jurade bordelaise qui y avait établi une prévôté. Gratian était donc sieur ou seigneur de la Plane, mais non seigneur d’Eysines.

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En 1631, Gratian de Mullet était mort, et sa veuve, dame Catherine de Mullet, fut expropriée ; le château fut mis aux enchères par un arrêt du Parlement et vendu le 2 mai 1631. Il fut acheté par le Prieur du monastère des Feuillants de Bordeaux, dont l’ordre possédait déjà de grandes propriétés dans Eysines. Le château se composait alors d’une vieille bâtisse flanquée de quatre tours rondes, le tout entouré de 60 journaux de propriétés.

Les Feuillants firent subir de grandes modifications au château ; ils refirent le corps-de-logis, le surmontèrent d’un pavillon, y établirent une chapelle et renfermèrent les cours et les jardins dans de hautes murailles flanquées de tours d’observation. On voit dans leurs titres qu’il y avait des vignes et qu’ils y récoltaient d’assez bon vin.

Les Feuillants gardèrent le château pendant près d’un siècle ; ils allaient s’y reposer de temps en temps des austérités de la vie claustrale ; cependant, comme cette propriété ne leur rapportait rien, ils s’en défirent, et le 18 août 1720, Jean-Baptiste de Saint Nicolas, leur prieur, la vendit au sieur Duret, « bourgeois de Bordeaux et marchand aux Chartrons », moyennant la somme de 45 500 livres, qui furent payées comptant « en billets de la Banque royale ». M. Duret en prit possession légale la même année et exerça les mêmes droits que les moines et leurs devanciers ; le bourgeois se fit gentilhomme !...

Le sieur Duret laissa son héritage à son fils qui en jouit avec ses droits et privilèges jusqu’à la Révolution, et c’est à tort que l’auteur du Nobiliaire de Guienne donne à quelques membres des familles de Sault et de Saint Laurent, la qualification de seigneurs de la maison noble de la Taula du Luc, à Eysines.

À l’époque de la Révolution, le châtelain de la Plane se fit citoyen, et en 1793 il était maire d’Eysines [Duret se dit maire d’Eysines dans son livre de Raison, mais c’est avant l’institution des municipalités !] La tradition rapporte qu’il tenait « dans sa maison » des réunions politiques où assistèrent quelquefois les représentants Talien et Ysabeau… Il parait même que l’un d’eux se fâcha un jour de voir encore debout la croix de cimetière, et qu’il dit à Duret : « Si tu ne fais pas abattre la croix, je ferai abattre ta tête !... » Le maire épouvanté se hâta d’obtempérer aux désirs du représentant, et la croix des morts fut abattue.

Sous l’Empire, M. Duret vendit le château de la Plane à M. de Verthamon, d’où il passa à M. Pélissier. M. Malineau qui s’était enrichi dans les colonies, le possédait en 1848, et l’on raconte qu’il eut avec quelques clubistes bordelais des difficultés dont il n’est resté que des souvenirs assez vagues. Il le vendit quelques temps après à M. Godde, qui le revendit en 1860 à M. Minvielle, le propriétaire actuel. [Il sera ensuite propriété de M. Hyvert ou Yvert, maire d’Eysines de 1878 à 1881, puis à la famille Berjal jusqu’en 1928, puis à la famille Faure qui le vendit à la commune d’Eysines en 1989].

Le château de la Plane est un rectangle assez simple, à un seul étage, flanqué de ses quatre tours capuchonnées et dominé par un pavillon central, devant lequel est un parterre avec de grands arbres ; la façade occidentale donne sur une garenne, et le tout est clôturé de murs, en dehors desquels s’élève une fuie [le pigeonnier monumental de Lescombes, lieu de l’écomusée du maraîchage]. Il y a autour 8 hectares de vignes, et il s’y récolte de 15 à 20 tonneaux de vin.

Le manoir du Vigean 

Le manoir du Vigean [château Lesca ou Amigues, 8 rue Cap de Haut] que Guillon décrit n’est pas le château Lesca de la rue de Cap de Haut mais celui de la place Charleroi. Cet édifice, situé au milieu du village du Vigean, faisait partie de ces manoirs, que les chevaliers de Malte possédaient dans le département de la Gironde. L’abbé Baurein dit qu’il dépendit de la commanderie des Templiers, et l’on a trouvé des titres le concernant depuis le commencement du XIVème siècle. C’était alors un castel qui avait des droits féodaux « sur le terroir du Vigean » [les Templiers ne possédaient que des terres qui dépendaient de la Commanderie de Bordeaux, il n’y avait sans doute aucune construction importante mais des bâtiments d’exploitation ou des logements pour le personnel].

Des chevaliers du Temple, ou plutôt de Saint-Jean, il passa aux chevaliers de Malte, qui les remplacèrent et qui exercèrent aussi de certains droits sur les environs du Vigean. On trouve quelques reconnaissances féodales faites au commandeur pendant le XVIIe siècle. À cette époque, les limites de la petite seigneurie furent contestées, et une enquête fut ordonnée en 1620 pour la limiter de nouveau. Quand ce travail fut achevé, l’archevêque de Bordeaux lança une lettre pastorale qui ordonna de respecter les croix servant de bornes, « sous peine d’excommunication ». Les chevaliers en jouirent ensuite assez tranquillement, sauf un procès pour les droits de dîme, au sujet duquel ils exhibèrent un arrêt du Parlement de 14 février 1558, qui donnait au commandeur le droit « du quint des terres et des vignes, » droit qu’il maintint jusqu’à la Révolution.

À cette époque, les chevaliers quittèrent le Vigean, et leur manoir fut saisi, puis vendu comme propriété nationale. Il a été possédé depuis par plusieurs propriétaires qui n’ont laissé aucun souvenir historique ; il appartient en 1867 à M. Godebard, négociant à Bordeaux [erreur M. Godbarge, qui est noté « entrepreneur » sur les matrices cadastrales ; le château a été modifié plusieurs fois et peut-être même démoli en partie ou totalement avant reconstruction ; il sera ensuite propriété de M. Lesca Léon en 1882 ou 1890 ?]

Ce manoir, qui a été remanié et restauré, est un édifice rectangulaire surmonté d’une tourelle octogone et qui n’offre au premier aspect qu’une construction moderne ; devant sont les servitudes renfermées par d’anciens murs et par une grille dont le portail s’ouvre sur la place du Vigean [place Charleroi depuis 1914].

Les maisons nobles 

Il y a dans Eysines quelques maisons nobles qui existent encore et qui ont laissé peu de souvenirs.

- Lescale [château Lescale, 17 rue de la Libération] est la plus importante comme construction. C’est un corps-de-logis du XVIe siècle affectant la forme d’un rectangle, surmonté d’un toit conique que domine une tourelle octogone capuchonnée. Devant est un parterre élégant, et sur le flanc du coteau s’étend un beau groupe d’arbres. Lescale, dont on retrouve les traces dans un terrier de 1565, appartenait alors à un baron de Villauzar, avocat au Parlement ; elle est depuis plus de vingt ans dans la famille Abiet, et M. Paguière la signalait, en 1829, comme un des trois premiers crus d’Eysines. On l’appelle dans le pays le château de M. Abiet.

- Bois-Gramont [démoli ; les terres de Bois-Grammont s’étendaient de l’avenue d’Eysines au Grand Louis, en gros la surface de Migron ; il y eut un vignoble important dont le propriétaire Fabre de Rieunègre fit des recherches de vinification et inventa la cage à presser] a laissé plus de souvenirs que Lescale. Baurein, qui l’appelle La Motte de Grasmont, cite de ses seigneurs dès le XIVème siècle ; au XVème siècle, il était à Guillaume-Ays de Fronsac, avec ses droits, ses rentes et ses serfs questaux. Au XVIe siècle, Bois-Gramont passa par alliance à la famille de Pichard, et l’an 1659, le roi, voulant traiter favorablement le sieur Jean de Pichard, lui permit de faire apposer « ses armes, panonceaux et bastons royaux » aux lieux les plus apparents de ladite maison. Bois-Gramont, appelé aussi Bosc-Gramont, n’a pas laissé de souvenirs historiques ; il était il y a quelques années à M. Lemotteux ; il est aujourd’hui à M. Fabre de Rieunègre, son gendre.

- La Maison Ségur [41 rue Cap de Haut ; une des nombreuses branches de la célèbre et puissante famille de Ségur, en était propriétaire ; mais elle fut ruinée… et Jeanne de Ségur finit ses jours dans une demeure qui n’était plus qu’un taudis…] était un petit castel situé près du village du Vigean ; il parait être dès du XVIIe siècle et fut un fief appartenant à la famille de Ségur, dont plusieurs membres se qualifièrent « seigneur du Vigean ». Cet édifice, que surmonte un pavillon central à dôme brisé style louis XIII, est dans un état d’abandon qui en fera bientôt une ruine. Il appartient à M. Turquet. [erreur, M Turquet n’apparaît pas dans la liste des propriétaires].

- Boisalut [4 avenue de Verdun, Bodin de Saint Laurent fut arrêté dans sa maison de Bordeaux et non à Eysines]. Cette maison, située dans le bourg d’Eysines, a été remaniée plusieurs fois, mais il en reste encore un pavillon assez curieux qui peut bien remonter au XIVème siècle. Boisalut, que l’on appelle aussi Saint-Laurent, a appartenu à la famille de Sault, puis, par alliance, aux Bodin de Saint-Laurent. C’est là que fut arrêté en 1793, le marquis de Saint-Laurent, seigneur de la Roque de Thau et de Boisalut, pour marcher au tribunal et de là à l’échafaud révolutionnaire.

Boisalut appartient aujourd’hui à M. le curé d’Eysines [le curé Alfred Lalande, lors de la construction de la nouvelle église (église actuelle) trouve le presbytère, actuellement place du 4 septembre, trop éloigné et en 1866 achète une partie de Bois Salut. Édouard Guillon dit : « le marquis de Saint-Laurent, seigneur de la Roque de Thau et de Boisalut » ; voici ce qu’écrit E Guillon, dans les pages qu’il consacre à Gauriac (où se trouve la Roque de Thau) et il écrit aussi : « M. Léo Drouyn avoue franchement « qu’il n’a pas été heureux dans ses recherches »… Le vieux château de la Roque de Thau… au XVIe siècle ses débris appartenaient à la famille de Sault, « qui portait deux saules dans ses armes » dont le chef se qualifiait seigneur de Boisalut et de la Roque de Thau].

Il y a encore dans Eysines :

- la villa italienne de M. Frech [château les Tilleuls ou maison (château) Perrin, 3 rue Raoul Dejean ; M. Perrin était médecin et Mme Perrin institutrice à Eysines], située à Lescombes, parmi des charmilles et des fleurs ;

- celle de M Duclou [sans doute une erreur sur le nom, M. Duclos et non Duclou, qui possède le château Lagravade, 148 avenue du Médoc ; le propriétaire suivant sera M. Lafon qui est sans doute le gendre de M. Duclos], près du Vigean et de la route ;

- la belle habitation de M. Vergnes [là, E. Guillon se trompe !, M. Vergnes Martin Delphin fut propriétaire de la Maison Ségur, puis la famille Cathala succèdera] où se trouve une tour d’où partait un souterrain qui, d’après une tradition très ancienne, correspondait avec le château de Blanquefort [la légende du souterrain avec Blanquefort n’a pas de lieu précis, diverses maisons se l’approprient… dont celle de Ségur.]

Il y a enfin plusieurs belles maisons bourgeoises disséminées çà et là ; quelques-unes sont entourées d’un petit vignoble, mais il n’y a à signaler, dans cette commune, aucun cru important.

- La Taule du Luc [Place du 4 septembre - Édouard Guillon n’en parle que dans « Le Château du Luc » à Blanquefort et voici le peu qu’il en dit se référant à Baurein... cet édifice, plus connu dans le commerce vinicole sous le nom de château Dulamon… C’est une ancienne maison noble qui n’a laissé aucune trace dans l’histoire, et qui est désignée dans les anciens titres sous le nom de Taüla du Luc. L’abbé Baurein dit qu’il est certain que cette maison noble appartenait au XVème siècle aux seigneurs de Lalande, ainsi que la Taüla du Luc, de la paroisse d’Eysines.

Extrait du blog de l’association Connaissance d’Eysines, Élisabeth Roux, 20 mai 2015.

Extrait des « Les châteaux historiques et vinicoles de la Gironde » d’Édouard Guillon, publié en 1876 : notes pour comprendre ce texte : il a visité les lieux en 1867 et il les décrit ensuite en s’appuyant aussi sur ses recherches et lectures. Il donne ses sources : Archives de la Gironde, Maisons religieuses, Baurein, Variétés bordelaises, Tome III, Marquessac, les hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem en Guienne, Renseignements locaux. L’orthographe a été laissée telle que dans le livre. Depuis 1867, la lecture des manuscrits, archives notariales et autres documents conservés aux Archives Départementales et municipales a permis d’écrire l’histoire d’Eysines autrement et d’une façon qui nous semble actuellement beaucoup plus juste !

[Les notas entre [ ] sont de janvier 2014 à mai 2015, -les recherches furent longues…- d’Elisabeth Roux, aidée par M Michel Baron, que je remercie de son aide précieuse.