Le gascon parlé à Eysines

A la fin du premier millénaire, deux langues se distinguent au sud et au nord de ce qui deviendra notre France. Au sud, la langue occitane ou langue d’Oc devient la langue relativement unifiée des troubadours comme Guillaume d’Aquitaine, grand-père d’Aliénor, Bernard de Ventadour ou Jaufré Rudel. Un « accident » historique, la croisade des Albigeois, va entraîner l’annexion par le royaume de France du comté de Toulouse puis de la Provence. La langue officielle devient dans ces régions la langue d’Oïl, parlée par les classes supérieures de la société. Mais l’occitan reste la langue courante du peuple sous la forme de différents dialectes : gascon, languedocien, provençal, limousin ...

Guy Latry nous explique quelques particularités de syntaxe et de morphologie du gascon. Il nous décrit aussi les particularités du gascon médoquin parlé à Eysines, dont l’usage quotidien s’est perdu progressivement dans les années 50.

A la fin du XIXe siècle, l’historien bordelais Camille Jullian obtient de la municipalité la création d’une chaire de langues et littératures de Sud-Ouest à l’Université. M. Bourciez en prend la charge et demande à chaque instituteur de la Gironde de faire traduire la parabole biblique de « l’Enfant prodigue » en gascon, par un ancien du village. En 1895, à Eysines c’est Jacques Cazaumajou qui va se charger de cette tâche. Jacques, ou Rémi Cazaumajou est né le 29 janvier 1834 à Habas (Landes). Nommé instituteur au 1er avril 1852, après un premier poste à Martillac, puis un second à Capian à partir du 15 décembre 1866, il est affecté le 5 avril 1881 à Eysines. Guy Latry se livre à un examen détaillé de la traduction qu’il fournit, et qui est remarquable par son sérieux. Il nous fait ensuite écouter des enregistrements effectués dans les années 1980 par Patrick Lavaud. Le gascon était utilisé couramment pour parler des aspects de la vie au village : le travail, la vie familiale, le bavardage dans les soirées, les souvenirs du marché des Capucins, du carnaval à Bordeaux, des bals...Deux « revues » satiriques font défiler les principaux conseillers municipaux des années 1925-1935.

Aujourd’hui les mots gascons sont toujours présents avec les noms de lieux, les noms des outils agricoles. Les éléments naturels ou humains donnent les noms de lieux dits : la clide (ou clède, barrière en treillage), aubarède (lieu planté d’aubiers), biblanque (vigne blanche), sescat (lieu planté de sesques, ou masses d’eau), campuch (ou campich, enfant trouvé). Bigos, bajole, etc. désignent outils et ustensiles.

Les chafres (surnoms) sont d’usage systématique et se transmettent de génération en génération (en 1730, on les trouve inscrits par le curé dans les registres paroissiaux, et aussi dans les matrices cadastrales de 1811). Dans sa comédie Jeantillot es malaut, Gric de Prat (le docteur Romefort, du Taillan) énumère plusieurs chafres eysinais.

Le gascon se retrouve dans des verbes, des qualificatifs, des expressions, des dictons, des devinettes, des « blasons », formulettes moqueuses sur les villages limitrophes. Il laisse enfin son empreinte sur la syntaxe du français, comme on peut le voir dans les lettres du « poilu » Gaston Lalumière et de ses camarades (« je suis été ») - comme quoi, même en écrivant dans le français appris à l’école, on pouvait continuer à penser en occitan...

Guy Latry, professeur émérite d’occitan à Bordeaux-Montaigne. Conférence du 21 octobre 2021. Extrait du blog de l’association Connaissance d’Eysines, Guy Latry, Marie-Hélène Guillemet, Elisabeth Roux.