Vagabonds à Eysines 

La présence, aux portes des villes, de groupes de marginaux qui attendant une possibilité de se faire une place dans la communauté est constante. 


Le 23 septembre 1611, la jurade avait enjoint à tous vagabonds, gens sans aveu, mendiants valides, femmes débauchées de quitter la ville dans 24 heures sous peine de fouet.
Les mendiants valides étaient considérés comme des délinquants et chassés, voire même condamnés. Par contre, les invalides étaient admis à l’Hôpital de la Manufacture où ils étaient hébergés et nourris.

Le 7 octobre 1642, le juge de la Prévôté d’Eysines enjoint de quitter sous vingt-quatre heures le territoire de sa juridiction à « une compagnie de bohèmes qui commettent beaucoup d’excès et de vols et incommodent la population ». Plutôt que d’obtempérer, ceux-ci « bravent et menacent les officiers de la juridiction quand ils les somment d’obéir ».
Le 15 octobre 1642, Maître Jacques Bastide, substitut du procureur syndic de la prévôté d’Eysines dit qu’il a obtenu du juge de la prévôté un appointement du 7 octobre 1642 qui enjoignait aux boëmes de vider, sous 24 heures, la prévôté. Les jurats ordonnent donc aux boëmes de quitter la prévôté dans 24 heures sous peine de fouet.
(cf : article publié dans « Flash » de juin 1984.)

Nous sommes en 1741, le 17 avril : Jean Meu est, depuis vingt ans, métayer de la veuve Bodin de Saint Laurent, près de l’église d’Eysines Il s’agit de la métairie de la Taule du Luc qui dépendait de la maison noble de la Taule du Luc de Blanquefort. Cette métairie appartient aux Saint Laurent depuis le début du 17ème siècle ; Jean Meu la tient depuis le 5 juillet 1730. Il fait sa déposition devant le procureur de la prévôté d’Eysines. Il a toujours vu une troupe de mendiants qui logent, les uns après les autres, dans la métairie et se sont rendus aussi maîtres de la maison que si elle leur appartenait, à la réserve de la partie qu’il occupe lui-même pour son habitation. Il a toujours craint que ce peuple inconnu ne lui jouât quelque mauvais tour et il a fait quelques efforts pour leur faire vider les lieux, ce qu’il n’a jamais pu réussir. Ils ont menacé de mettre le feu à la maison, volé des volailles et du bois. Cela dure depuis vingt ans, la métairie n’a jamais été vide, depuis un an la troupe a beaucoup augmenté et a volé sept agneaux à Meu.

Dimanche dernier, vers minuit, il entend du bruit, prend sa chandelle et va au parc où il trouve le portail ouvert et constate l’absence d’un agneau. Le chien de la métairie aboie vers le bourdieu de M. Pellé, Meu crie « au voleur ! », Jean Miqueau, le valet de M. Pellé, se joint à lui et ils retrouvent les deux « gueux » et l’agneau au bout de la vigne de feu M. Duvergier qui était propriétaire de la Maison noble de Pied Sec, ses vignes s’étendant à l’est de Lescalle jusqu’à la rue du Moulin à vent. Les voleurs sont ramenés à la métairie où ils passent la nuit sous bonne garde.
Jean Pagan dépose à son tour : depuis vingt-cinq ans, il voit des troupes de mendiants qui se succèdent à la métairie Saint Laurent, certains très bien vêtus. Le 15 septembre dernier, il était sur le chemin d’Eysines à Bordeaux en compagnie de Tartas de Blanquefort. Ils rencontrent quatre mendiants qui veulent vendre de la toile, marchandent et achètent. La toile avait été volée à une marchande de la Réole.
D’autres témoignages sont recueillis, tous concordent à la fois sur l’ancienneté de la présence de ces mendiants à la métairie et sur l’importance des vols.

Deux des mendiants sont finalement inculpés : François Baillé et Denis Robin. Tous deux sont des « étrangers » : le premier est né à Saint Mexant en Poitou, il raconte ses errances et comment il s’est fait rosser à Eysines, le second est né à Lusignan et a servi pendant quatre ans dans un régiment d’infanterie.
Le 26 avril, ils sont condamnés à être livrés entre les mains de l’exécuteur de la haute justice pour être conduits dans la place la plus apparente du bourg d’Eysines où ils seront attachés au carcan de neuf heure du matin jusqu’à onze heures. Ils seront ensuite détachés pour être battus de vingt quatre coups de verge sur les épaules nues à raison de huit coups devant l’église d’Eysines, huit devant la porte de la métairie et les huit derniers au Vigean. Ils sont bannis du territoire de la juridiction d’Eysines (la juridiction d’Eysines concernait les paroisses de Bruges, d’Eysines, du Haillan et une partie du territoire de Saint Médard jusqu’à Magudas,) et sont condamnés aux dépens et à des amendes. De plus « il est fait inhibition et défense à tous autres mendiants, errants, vagabonds et gens sans aveu de s’assembler ni former leur retraite dans la métairie ni autre lieu de la juridiction ».

Les condamnés ayant fait appel de la sentence devant le Parlement de Bordeaux, leur peine est confirmée. Au surplus, ils sont condamnés à « être flétris par l’exécuteur de la haute justice chacun sur l’épaule droite, d’un fer chaud empreint de la lettre V »(ce marquage au fer rouge est l’ancêtre du casier judiciaire).

Le 14 juin de la même année 1741, une autre affaire de vagabondage débute à Bruges. Elle concerne Raymond Meytey, originaire de Macau, « errant en vagabond sans feu ni lieu ». La réquisition est sévère : les galères à perpétuité ! Mais la peine prononcée est beaucoup plus légère : le bannissement de la juridiction.

Tout au long du 17e siècle

Ontrouve, dans les registres paroissiaux d’Eysines, des actes de sépultures de mendiants :
* 03.10.1728. Jean, pauvre vendangeur étranger de 50 ans,
* 29.11.1734. un pauvre mendiant de 48 à 50 ans au poil noir,
* 30.9.1737. un homme que personne n’a pu connaître, enseveli dans ses vieux haillons,
* 15.5.1738. un homme dont on ne sait ni le nom, ni le pays, trouvé dans la métairie de M. Saint Laurent,
*  20.1.1745. un étranger inconnu dans la maison de M. Saint Laurent,
* 10.6.1745. un pasteur étranger nommé communément « Breton » habitant chez Pierre Laloubeyre au Vigean, s’est noyé,
*  22.11.1745. un étranger nommé Jean bouvier de la veuve Arrouch bouchère,
* 14.10.1753. un inconnu habitant chez  Laloubeyre dit « Grand Ramond » au Vigean,
*  09.11.1747. une fille connue sous le nom de Marianne à Plassan,
* 20.12.1750. un étranger mendiant au Vigean appelé l’Espérance,
* 27.10.1752. un inconnu nommé Léonard Moreau qui travaillait au chemin de Blanquefort,
* 29.1.1758. un étranger de 55 ans,
* 02.3.1760. un homme de 30 ans appelé Jean habitant le Vigean chez Marie Bigot logée chez M. Poulaillon depuis 3 ans,
* 09.1.1766. dans la grange de Bertrand Bert au Vigean, un pauvre mendiant de 70 ans trouvé mort sur la paille,
* 05.4.1766. dans le parc à bœufs de Bertrand Bert au Vigean, un pauvre mendiant inconnu,
* 22.1.1771. au Vigean : une mendiante appelée « Marie sans soin »,
* 19.9.1773. un mendiant inconnu né à Saint Genès d’Agen, âgé de 85 ans, mort d’apoplexie,
* 14.5.1776. « Bras de fer », 70 ans, étranger demandant l’aumône, trouvé devant la porte de Guillaume Bouet au Vigean.

Recherches et texte de Michel Baron.