La composition de la population au XVIIe siècle

 

Quel était le chiffre de la population à Ludon au XVIIe siècle ? Il est impossible de répondre à cette question autrement que par des probabilités, car aucun document ne donne des précisions à ce sujet. Il est curieux de constater que nous n'avons aucun renseignement officiel sur la population des paroisses avant les états par généralités dressés en 1770.

Nous relevons toutefois, dans les catalogues établis par les curés, 579 noms de confessés à Pâques en 1647, 453 en 1657 et 490 en 1630. On peut estimer que ces chiffres représentent les deux tiers de la population et en conclure que le nombre des habitants à Ludon variait, au cours du XVIIe siècle, entre 700 et 800 âmes.

Les naissances sont quatre et cinq fois plus nombreuses que de nos jours. Le chiffre des baptêmes oscille entre quarante et cinquante chaque année ; il est même parfois plus élevé. Par contre, les décès sont également très nombreux. Ils atteignent le chiffre formidable de 70 en l'année 1661, dont 27 enfants en bas-âge. La mortalité infantile est effrayante, l'hygiène du nouveau-né et de la mère est inexistante. Le curé est appelé constamment auprès de l'accouchée; c'est encore le meilleur moyen d'éviter d'arriver trop tard pour administrer les sacrements en cas de décès : le 26 janvier 1650, un fils d'Arnault, « baptisatus in ventre matris sui, brachio exterius vivo apparito, deinde mortuus extractus », « a été enterré dans l'église en la sépulture de son père par moy. » Signé Amelin, curé de Ludon.

Par ailleurs, on ne vit pas vieux à Ludon. La courbe des décès est étrangement basse, les vieillards sont rares dans le pays. On a calculé que la durée de la vie moyenne était d'environ 27 ans, alors qu'elle dépasse aujourd'hui 40. Il faut qu'il y ait des causes profondes pour qu’hommes et femmes meurent ainsi d'une façon générale avant cinquante ans. Très vraisemblablement, le paludisme et les fièvres engendrées par les marais anémiaient la population et lui enlevaient toute force de résistance à la maladie et aux épidémies, mais, à coup sûr, la grande infériorité de cette époque est un manque d'hygiène absolu.

 

De toutes les classes de la société, la noblesse est celle qui reste le moins longtemps semblable à elle-même ; elle est trop mêlée au monde, elle se heurte à trop d'événements, pour ne pas s'user très vite. Il lui faut régénérer sans cesse ses terres et son sang ; pour une famille qui s'élève, il y en a vingt qui s'émiettent. La noblesse sort des guerres civiles appauvrie de sang, de courage et de domaines. Les anciennes maisons nobles ne peuvent soutenir leur train de vie qu'en puisant à même dans la caisse royale. Si elles ne vendent pas leurs services à la cour, il ne leur reste plus qu'à cultiver âprement leurs terres.

Sous la poussée de leurs dettes, les familles célèbres du Bordelais disparaissent. Les deux baronnies les plus puissantes en Guyenne avaient été celles de Montferrand et de Blanquefort. La Jurade de Bordeaux acheta la première pour s'en débarrasser et rasa le château. L'autre appartenait à Jacques de Durfort qui se chargea lui-même de l'affaiblir au point de la rendre inoffensive. Nous avons vu que, pour parer à ses besoins d'argent, il aliéna par devant notaire ses droits de justice dans les paroisses médocaines en 1601.

Ce furent les membres du Parlement et les trésoriers de Guyenne, conseillers et financiers du roi, qui profitèrent le plus de l'appauvrissement de la noblesse. Ces gens de robe se jetèrent sur les biens nobles comme sur une proie. Il y eut, dans la seconde moitié du XVIe siècle, une mutation générale des vieux châteaux historiques au profit des hommes de loi ou d'argent. Tous ces biens, une fois acquis, ne sortaient plus de la famille. Les parlementaires les administraient infiniment mieux que les seigneurs : leur titre était noble, leur sang était bourgeois. Ils ne quittaient pas la province ; la cour les attirait peu, les vacances judiciaires leur permettaient de faire les vendanges sans se presser. Plus que les nobles d'épée, ils ont le souci des intérêts domestiques. Ils ont l'amour de l'agriculture, le culte de la tradition du foyer, l'instinct de la solidarité familiale. Ils marient leurs enfants entre eux. Il se forma ainsi de puissantes dynasties parlementaires, compactes, orgueilleuses de leurs titres, de leurs fonctions et de leurs richesses, qui rappelaient, en pleine civilisation française, les « gentes » patronymiques du patriciat romain.

Cette évolution de la classe dirigeante en Guyenne, judicieusement exposée par Camille Jullian dans son « Histoire de Bordeaux », se manifeste très nettement à Ludon. Au début du XVIIe siècle, le vieux manoir guerrier de Cantemerle disparaît. Le vallum qui s'élevait au-devant du château d'Agassac tombe et il ne reste plus de la forteresse médiévale que l'élégante résidence que nous connaissons. En même temps, Agassac voit ses maîtres passer de la noblesse d'épée à la noblesse de robe, et cet événement important coïncide avec l'acquisition, par les seigneurs de Ludon, du droit de haute-justice sur tout le territoire de leur fief. Ainsi, Ludon ne dépendra plus désormais de personne en dehors de son seigneur et de son roi. Et, comme pour consacrer ces temps nouveaux, les curés commencent la rédaction de leurs registres qui permettent d'établir l'histoire de la paroisse.

Paul Duchesne, La chronique de Ludon en Médoc, Rousseau frères, Bordeaux, 1960, p.64-75.