L’affaire du curé de Ludon

 

Dès le début de règne de Louis XIII, les luttes religieuses reprirent en France et catholiques et protestants ne tardèrent pas à en venir aux mains.

Pourtant en ce qui concerne notre région, le séjour que fit le jeune roi à Bordeaux durant deux mois et demi (1615) faisait bien augurer de la suite de son règne, tant il fut marqué de fêtes et d'enthousiasme populaire délirant.

Un certain malaise s'était pourtant installé, dès 1606, en Médoc, du fait du curé de Ludon, Philippe Premier, par ailleurs aumônier du maréchal d'Ornano et bénéficier de Saint-Michel. Ce prêtre, peu assidu à ses devoirs, reçut un avertissement de l'archevêque de Bordeaux, le cardinal de Sourdis. Fort qu'il était de la protection du maréchal, le coupable ne tint aucun compte de cet avis, pas plus que de la menace d'excommunication qui pesait sur lui. Cette sanction lui fut, toutefois, infligée et le peuple fut informé qu'il était recommandable de l'éviter.

L'affaire, ayant donné lieu à procès, le parlement déclara « 1’excommunication nulle et absurde, ordonnant au cardinal de donner dans tout le jour l'absolution ad cautelum à la partie, à peine de quatre mille livres d'amende et de saisie de son temporel. » Le cardinal répondit « qu’il n'avait jamais lu qu'autre que le diable ait commandé à Notre-Seigneur ; et que les seuls ministres du diable peuvent avoir la hardiesse de commander à un évêque. Quant à la partie excommuniée, qu'elle se présente le jour de Noël à une heure et demie après diner à Saint-André et je lui parlerai. »

Ce jour-là, devant l'absence du prêtre médocain et de ses amis du parlement, le cardinal prononça un sermon sur le thème « Adam, où êtes-vous ? » qui fit une forte impression sur les fidèles présents. Le parlement entra en lutte avec le cardinal et le conflit ne s'apaisa provisoirement que sur l'intervention du roi qui rendit un jugement habile et de nature à ne froisser personne.

Le curé de Ludon reconnut sa faute, donna la démission de ses charges et demanda l'absolution. « Afin que cette action eût plus d'éclat, elle fut publiée au prône de toutes les églises paroissiales. On dressa un théâtre dans l'église de Saint-André, entre la porte du chœur et celle des ailes, du côté nord. Le peuple accourut en foule pour être témoin de cette cérémonie extraordinaire. Le cardinal s'assit sur le théâtre, revêtu de ses habits pontificaux et assisté de son chapitre. Le prêtre excommunié, revêtu de sa soutane et de son manteau, se coucha à ses pieds. On récita le miserere, pendant lequel le prélat le frappait d'une verge qu'il tenait à la main. Après plusieurs autres cérémonies qui marquaient son humiliation, le coupable ayant demandé pardon de sa faute et du scandale dont il avait été la cause, le cardinal lui donna l'absolution et prononça, dans la formule, les motifs pour lesquels il avait été excommunié, dont le principal était son appel comme d'abus. Il lui donna ensuite pour pénitence de demander publiquement pardon à tous les curés de la ville, aux bénéficiers de Saint-Michel, et au peuple, du scandale qu'il avait causé, et généralement à tous ceux qu'il avait induits à péché et qui avaient contracté l'excommunication, en communiant avec lui ; de tenir la dernière place dans tous les synodes, congrégations, chapitres, processions et assemblées où il se trouverait ; d'être suspendu de tous ses ordres et réduit à la communion laïque jusqu'à Pâques et, durant ce temps, de communier au moins une fois la semaine, et de jeûner tous les samedis de l’Avent ; de visiter l’église Notre-Dame de Lorette et celle des bienheureux apôtres saint Pierre et saint Paul pendant trois jours, y demandant à Dieu la rémission de ses péchés, le rétablissement de la discipline ecclésiastique dans le diocèse et qu'on rendît à Dieu et à l'Église honneur et obéissance. » (Dom Devienne).

Guy Dabadie, Histoire du Médoc, imprimerie Samie, Bordeaux, 1954, p.149-151.