Le Gabachot

 

 

 

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Il tire son nom du terme « gabache » : étranger en gascon. À la fin du XVIIIe siècle, un habitant du lieu, Jean Boileau, originaire de la Saintonge, était traité par les autochtones de « gabache » ou gavache, c’est-à-dire étranger, s’exprimant en langue d’oïl, il ne parlait pas notre patois, celui du pays d’oc. Il fut nommé « Gabachot ».

Quartier méconnu, délaissé, resté longtemps triste, sombre, aux rues étroites, simplement gravées, aux ornières pleines d’eau, pas ou peu d’éclairage public. Les maisons anciennes, pour la plupart étaient rapprochées ou mitoyennes avec des jardinets. Des passages communs existaient pour accéder au puits (droit de puisage) qui desservait plusieurs habitations. De nos jours, lors des ventes ou des successions, on retrouve encore la trace de ces servitudes. Identifier le véritable propriétaire, même après consultation des anciens actes n’est pas chose aisée et les litiges peuvent survenir. Par contre, les puits ont presque tous disparu.

La voie ferrée Bordeaux-Lacanau, dite « la ligne » traversait le quartier et les allées et venues des nombreux trains et michelines en rythmaient la vie. Son fossé débordait souvent et inondait les jardins et dépendances des maisons voisines. On raconte même qu’un petit garçon a failli s’y noyer.

Malgré ce tableau peu réjouissant, il régnait dans notre Gabachot une animation intense grâce à la présence de nombreux artisans, à la proximité de la grand’ rue avec ses commerces et le champ de foire (actuelle place de la République) avec ses fêtes, foires et marchés et ultérieurement son court de tennis. C’est sur cette place que se réunissaient tous les enfants, petits et grands, des environs. Donc, la vie était belle et on ne peut pas évoquer ici les années trente sans une certaine nostalgie. Et puis, la guerre est arrivée, avec son cortège de malheurs. Deux jeunes garçons de vingt ans ont disparu : Roger Taris, né le 15 juillet 1922 au Gabachot, parti dans le maquis au Périgord, n’est pas revenu et Gilbert Paquis, né en 1923, engagé volontaire, aurait été tué lors de l’explosion d’une mine sur le front du Médoc, non loin du Verdon. Lors du bombardement de la poudrerie par la « Royal Air Force » dans la nuit du 29 au 30 avril 1944, une bombe est tombée devant la maison Campan, face au bâtiment n° 113 de cette usine (51, rue Dupérier). L’habitation a été endommagée du côté ouest. Quant aux habitants, ils s’étaient mis à l’abri dans une tranchée près de la voie ferrée. Et puis... la vie a repris.

Le champ de foire disparaît pour faire place au Centre culturel inauguré le 19 décembre 1970. Mais il faut attendre la fin du XXe siècle et surtout le XXIe pour voir des transformations et aménagements importants dans ce quartier maintenant coquet et agréable, que nous vous invitons à découvrir.

La rue René-Dongey : (1917-1980, conseiller municipal de 1971 à 1977), débute avenue Montaigne face à l’école primaire où, à droite, un charron costaud au grand tablier de cuir exerçait son métier souvent en plein air. Aussi, on pouvait voir le spectacle de ses diverses activités, notamment celui du cerclage des roues de charrette, dur labeur. Sur une facture de 1932, on peut lire en en-tête : « Atelier de forge et charronnage Armand Baquey. Constructions et réparations de voitures et charrettes en tous genres. Soudure autogène. Spécialité de carrosseries pour autos ». En 1940, nouvel en-tête aux lettres plus modernes, même énumération des spécialités, mais en plus : carrosserie spéciale pour camions et camionnettes, remorques industrielles et remorques légères. Pendant la guerre de 1939-1945, Armand Baquey fabriquait des gazogènes. Puis la forge a fait place aux ateliers de ferronnerie Ledoux, maintenant clos.

Quelques mètres plus loin, toujours du même côté, une maison à étage, bien restaurée, était autrefois construite en partie en bois (en planche comme on disait alors). Là habitait un personnage très connu : Ismaël Roujas qui tuait les cochons. À la demande il se rendait dans les maisons, très tôt le matin, pour « la tuaille dau porc ». Il exécutait toutes les tâches nécessaires au bon déroulement de la journée. A midi, on prenait un moment de repos pour déguster la traditionnelle fricassée réalisée avec la viande fraîche. C’était un peu indigeste, mais tellement bon. Le soir, Ismaël rentrait chez lui, il n’était pas payé en argent, mais en nature : du cochon bien sûr ! Sur la gauche de la rue, les anciennes constructions ont pour la plupart disparu, des immeubles à vocation de logements sociaux ont vu le jour.

La rue René-Dongey s’arrête à la rue Henry-Martin. La rue Maurice-François (1873-1933) débute place de la République. À droite, une maison importante avec étage, a abrité la première gendarmerie de Saint-Médard, du 1er juin 1891 à mars 1903.

L’immeuble loué comprenait au rez-de-chaussée un bureau, une chambre de sûreté, un logement de trois pièces et à l’étage, deux logements de deux pièces ; chais, jardin, latrines et puits avec pompe complétaient l’ensemble. Sur le fronton du bâtiment était placé un drapeau en tôle avec l’inscription « Gendarmerie Nationale ». L’effectif des gendarmes se composait d’un brigadier et de deux hommes, la commune comportant alors 3 900 âmes. Propriétaire de tout le côté droit de cette rue très courte, où résident encore les descendants, Maurice François était chef d’équipe à la poudrerie et en dirigeait la fanfare. Fondateur de l’école de musique, il enseignait la pratique des instruments et son ami M. Sauviat, le solfège. Les cours se prodiguaient dans une construction en bois située sur le square triangulaire, propriété de la poudrerie, occupé actuellement par l’ADHM (aide à domicile du Haut-Médoc). Ensuite, cette école, destinée à l’origine aux poudriers et à leurs enfants, s’installa dans la « maison carrée », actuellement banque Courtois qui a remplacé le pressing. Grand-père de Roger Taris, Maurice François était officier des Palmes académiques. Cette rue se termine à la rue René-Dongey.

La rue Henry-Martin (1874-1932) débute avenue Montaigne, face à la maison Silhouette. À droite, subsiste encore une ancienne maison longue, de style du pays en contrebas par rapport à la route, dont l’enclos forme une enclave dans la propriété du presbytère. Ce dernier, demeure bourgeoise, au milieu d’une imposante garenne, appartenait autrefois à Mme Chaumet qui en fit don à l’archevêché en 1920. Quelques mètres plus loin, après l’entrée et les dépendances du presbytère, se trouvait une très vieille maison basse et longue avec de nombreux chais, granges, écuries... L’ensemble appartenait à la famille Lalande, surnommée « Ficelle » depuis des générations. Là, habitait le dernier muletier de notre commune, Armand, qui s’est éteint dans les années 90. On le rencontrait encore avec son attelage il y a à peine vingt ans. Il est difficile de ne pas évoquer ici ce personnage « haut en couleurs », présent dans nos mémoires et aimé de tous. Ce coin a disparu, remplacé par la « résidence Henry-Martin » où rôde, peut-être, le fantôme de « Ficelle » avec ses mules.

À gauche, en quittant l’avenue Montaigne, dans cette belle demeure avec son kiosque en encoignure, habitait Henry Martin, maire de Saint-Médard, de mai 1908 à mai 1925. Sur une grande partie du jardin et de la garenne, des immeubles ont été construits. Ensuite, on trouvait le garage de mécanique de Jean Hostein, agent d’assurances et président du rugby à treize de 1934 à 1939. Après ce garage, un entrepôt de camions et une jolie maison des années trente appartenait à Clément Lalande (le frère d’Armand), transporteur forestier et adjoint au maire de 1947 à 1958.

Nous arrivons maintenant à l’intersection avec la rue Maurice-Cayrou (un des propriétaires de Rallye Souges et conseiller municipal entre 1880 et 1890), formant une pointe de terrain, propriété de la famille Bouey.

Subsistent encore des anciennes maisonnettes dont une habitée par les descendants. Dans un cahier des charges du 5 avril 1884 du ministère de guerre, poudres et salpêtres, on trouve la trace de Bouey Eugène : « marché pour l’exécution de travaux de bâtiments dans un magasin à poudre en construction à la poudrerie nationale de Saint-Médard... ». Il s’agissait de travaux de plâtrerie, Eugène Bouey était compagnon du devoir et avait accompli son Tour de France.

Le 1er mai 1885, « Bouey jeune plâtrier » remportait le marché pour les travaux de plâtrerie des bâtiments concernant « la construction des chemins de fer d’intérêt local, réseau des landes de Gironde, section de Bruges à Lacanau ».

« La station de 1re classe comprend : (gare de Saint-Médard)

1. le bâtiment des voyageurs.

2. Les lieux et lampisterie sans bûcher.

La halte comprend : (gare d’Issac)

1. Le bâtiment des voyageurs.

2. les lieux avec bûcher ».

La construction des maisons de garde avec bûcher s’est effectuée plus tard car le cahier des charges de 1885 précisait que : « l’entreprise générale se réserve d’en fixer ultérieurement le nombre et la position ». Ce texte se termine ainsi : « Je m’engage à exécuter les travaux qui font l’objet du présent marché dans toutes les règles de l’art... Et je m’engage en outre à faire sur tous les prix du dit marché un rabais de cinq francs vingt centimes par chaque cent francs à 5,25 %. Le 1er mai 1885. Signé : Bouey ».

En cette fin du XIXe siècle, pour obtenir un travail il fallait faire des concessions. La vie n’était déjà pas facile.

Sur la propriété de cette famille vivait Madeleine Prévot (sa mère était née Bouey) qui a servi de modèle au peintre espagnol Ignacio Zuloaga (1870-1945) pour réaliser « un tableau dans le goût de Velasquez », la « naine Dona Mercedes » (1899, musée du Louvre, Paris) : il ne s’agissait nullement de quelque ménine espagnole mais d’une Saint-Médardaise du Gabachot. Actuellement, ce tableau se trouve au musée d’Orsay. Zuloaga fréquenta assidûment notre commune ; il avait épousé, le 18 mai 1899, Marie-Valentine Dethomas, fille des propriétaires du « Couenic » (le petit), jolie maison de plaisance, aujourd’hui démolie et remplacée par le collège « Francois-Mauriac ». Suzoline, la grand-mère de Madeleine, possédait un perroquet qui coulait des jours heureux dans ce petit coin de paradis. En sortant de l’école, les enfants venaient lui rendre visite et avec un malin plaisir déclamaient tous les mots grossiers, interdits que cette pauvre petite bête répétait inlassablement sans se faire prier, au grand désespoir de Suzoline.

Juste avant le « Café du Foot », autrefois maison particulière où habitait Gilbert Paquis, se trouvait le siège des « Anciens combattants », local cédé par Mme Bouey. C’était un endroit exigu, poussiéreux, envahi de documents divers : livres, dossiers en attente dans le but d’obtenir des pensions d’invalidité, de veuves de guerre ou d’orphelins. Cette permanence très fréquentée était tenue par des anciens combattants de la guerre de 1914-1918, toujours les mêmes, dévoués et bénévoles qui ont consacré le restant de leur vie à aider leurs camarades de combat. Des rues de Saint-Médard portent le nom de certains en souvenir.

Se terminant ici, la rue Henry-Martin reste la trace de l’ancienne voie reliant la route de Bordeaux (avenue Montaigne) à la place de la Pompe, en traversant le champ de foire (place de la République). La récente rue François-Mitterrand suit approximativement ce tracé.

Impasse du Gabachot qu’il faut absolument visiter. Cet endroit surprenant par son calme et son intimité, n’a guère changé depuis les années trente. À l’entrée de cette impasse se trouvait une petite quincaillerie, très fréquentée, où on vendait tout le nécessaire à la vie courante. Un cabinet infirmier occupe maintenant ce lieu. Sur le mur du bâtiment subsiste une ancienne plaque : « passage du Gabachot ».

En cherchant bien, on peut encore découvrir des petits trésors cachés, vestiges du passé et chargés de souvenirs. Ils sont peu nombreux, aussi dépêchons-nous car notre commune se transforme vite.

 

 

Source : Le Patrimoine de Saint-Médard-en-Jalles. Janvier 2010 n° 28. À la découverte de nos quartiers.