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Le site d'information du CHB (Cercle Historique Blanquefortais)

当另类邂逅尊贵

Les décès et les sépultures 

Les registres de catholicité : ils constituent, de 1600 à la Révolution, notre principale source de documentation et, comme les moyens de communication rudimentaires ne permettaient pas de vastes mouvements de populations, les familles restaient sur place et s'unissaient entre elles. On peut donc les voir évoluer pendant plusieurs générations et même suivre ceux qui, marqués par la misère donnaient le jour à de futurs miséreux, dont les descendants furent, ou sont encore, au bas de l'échelle sociale.

De tout temps, les petites gens furent les plus fragiles. Le manque d'hygiène était déjà un handicap. Usés par le travail, affaiblis par une mauvaise nourriture, la famine ou l'épidémie les frappaient de plein fouet. Le gel, la grêle détruisait souvent les futures récoltes, alors que les loups, les ours et autres prédateurs dévastaient les troupeaux. Ces catastrophes, très irrégulières et souvent imprévisibles leur laissaient rarement quelques bonnes années. S'ils avaient des surplus à vendre, c'était en période d'abondance. Les cours alors s'effondraient ; ils n'en retiraient que peu de profits. Alors ils constituaient des réserves... et les pillards accouraient. Ils faisaient rarement appel aux professionnels de la santé, trop onéreux. Ce fut parfois un avantage qui leur évitait une saignée intempestive ou le clystère qui les aurait vidés un peu plus.

Il restait alors ce que l'on appelle aujourd'hui des remèdes de bonne-femme, onguents, bouillies, tisanes, décoctions et quelques gestes ou paroles magiques par lesquels on faisait passer certains maux, les verrues par exemple. On allait se laver à certaines sources miraculeuses, on venait en pèlerinage au tombeau de Saint-Aubin, on urinait sur les plaies qu'on faisait également lécher par le chien de la maison ; cela cicatrisait, disait-on. Pour guérir les engelures, on se lavait les mains dans la mousse du sang du cochon fraîchement occis ; les phtisiques buvaient d'amples rasades de sang de bœuf, et que sais-je encore !

Nous aurions tort cependant de nous moquer en bloc de leurs pratiques. Beaucoup de leurs recettes sont reprises dans la pharmacopée moderne. Seulement, elles portent des noms savants et coûtent beaucoup plus cher. Alors que certaines armures appartenaient à des géants qui maniaient des épées que nous serions incapables de soulever, il semble que les gens du peuple aient été beaucoup plus petits que nous, car, pour leur croissance, il leur avait manqué, en qualité et en quantité, les éléments constitutifs nécessaires à un développement harmonieux.

Un comptage, sur les registres de Saint-Aubin, entre 1700 et 1740, nous donne des résultats effrayants sur la mortalité de cette époque :

Naissances : 283 garçons et 254 filles, soit au total : 537

Décès d'enfants ou de jeunes : de 0 à 1 an 124, de 1 à 10 ans 82, de 10 à 20 ans 23. Total de 0 à 20 ans : 229, soit 43% des naissances

Décès d’adultes : 231.

En d'autres termes, près d'une personne sur deux ne dépassait pas vingt ans, et près du quart n'atteignait pas un an. Pendant cette même période, on a compté 160 mariages, soit exactement 4 par an. Et les autres, les plus forts, quelles étaient leur espérance de vie ? La statistique est moins précise, car l'âge des défunts n'était pas toujours indiqué et, lorsqu'il l'était, c'était approximatif : « environ trente cinq ans » ou « de 50 à 60 ans ». La plus âgée dut leur paraître immortelle car elle est décédée, nous dit le registre, à cent ans moins un. Le comptage des décès, compte tenu de ces imprécisions ne porte, pendant cette même période que sur 108 adultes dont l'âge est mentionné. Il montre que, passé 20 ans, on avait une espérance de vie jusqu'à 51 ans. Mais on a poussé le calcul plus loin car, sur 108 personnes, 23 ont vécu plus de 70 ans, ce qui ramène, pour les autres, la moyenne de vie à 46 ans.

Tannés par le soleil et les intempéries, usés par les travaux des champs où nulle machine ne venait alléger leur peine, minés par la maladie et la malnutrition, ils avaient très vite l'air de petits vieux et de petites vieilles. Les femmes, d'ailleurs accentuaient cette impression par leur manière de se vêtir. Toujours en deuil de quelqu'un, elles étaient toujours en noir. C'était aussi, en se rendant moins élégantes et moins aguichantes, une manière de se protéger des rôdeurs qui pouvaient surgir au coin d'un bosquet, venus de nulle part, ayant déjoué la vigilance des guetteurs, et disparaître aussitôt après leur forfait. Depuis toujours, les grand-mères racontaient les malheurs des générations passées, les invasions d'autrefois avec leurs incendiaires et leurs pillards, les ravages des écorcheurs en 1435, qui avaient détruit le tiers des églises de la région, cette peste de 1317, venue d'Orient qui avait contraint leurs ancêtres à se réfugier auprès des forêts pour éviter la faux de la mort, les sévères disettes de 1347-48. La grande peur de l'an Mil était passée depuis longtemps, mais on en frémissait encore.

D'autres catastrophes les attendaient : le typhus, en 1628, une famine en 1629, la peste noire en 1664, et cette terrible famine en 1693 qui fit des millions de morts dans le pays.

Au 18ème siècle, la situation ne s'améliora pas, car en 1709, un hiver terrible, entre -17° et -25°, pendant deux mois, provoqua le gel de la Garonne ainsi qu'une invasion de loups affamés. Il y eut en 1720, une nouvelle épidémie de peste noire qui, cependant, épargna notre paroisse. Par contre en 1747, à Saint-Aubin, la diphtérie fit des ravages puisque, pour 17 naissances, on constate 14 décès d'enfants. Mais les Saint-Aubinois furent relativement préservés de la famine de 1769 qui fit périr cinq pour cent de la population française.

Au 19ème  siècle, on note encore deux épidémies de choléra, en 1832 et 1853, ainsi que la variole en 1870 avec, chez nous, cette année là, huit naissances et sept décès d'enfants en dessous de dix ans. Et certains de nos contemporains se souviennent encore de la grippe espagnole, l'Influenza, qui, en 1918-19, causa plus de morts que la grande guerre.

Pour Saint-Aubin, les périodes de mortalité importante ne concordent pas toujours avec ces dates, mais on constate des augmentations de décès en 1680, 1702, et surtout 1710, ainsi qu'en 1789, 90 et 91, où la famine généralisée fut une des causes de la Révolution.

Le scorbut fit aussi des ravages chez ces gens qui mangeaient une nourriture mal équilibrée avec de la viande salée et du confit, des bouillies de céréales, mais peu de viande fraîche, car on la vendait au marché pour se procurer quelques écus. Une dent qui s'infectait, une plaie purulente qui engendrait le « mauvais sang » (on dirait aujourd'hui la septicémie) ou le tétanos, pouvaient causer la mort, de même que la tuberculose ou le cancer qu'on appelait « le mauvais Maou » (le mauvais mal). Ceux que tordait l'appendicite n'espéraient pas en réchapper. Ils souffraient des « coliques de la mort ».

Au fil des actes, on peut lire des précisions macabres, mais bien curieuses parfois, sur les causes et les circonstances du décès. Beaucoup mouraient subitement car on ne se méfiait ni de la tension ni de l'infarctus. Certains, cependant, purent être sauvés par une saignée ou une sangsue appliquée au bon moment derrière l'oreille. Il arrivait qu'on déclarât morts subitement des gens malades depuis quelque temps, mais pour lesquels on n'avait pas prévenu M. le curé. On s'évitait ainsi des reproches ou des mentions telles que « mort sans sacrements parce qu'on n'a pas pris soin de m'avertir ». L'un d'entre eux, qui n'avait pas reçu les sacrements, eut, cependant droit à l'indulgence, car il avait assisté aux vêpres la veille de son décès. Avec le bébé, on ensevelit parfois la mère « morte pendant ses accouches ». On n'avait pas su enrayer l’hémorragie ou la fièvre puerpérale. On enregistrait aussi des particularités dont la postérité n'avait nul besoin. C'est ainsi qu'on inhuma « un imbécile », une « innocente » et même un bébé « mort avant d'avoir pu parler ».

Les accidents de travail ou autres faisaient partie de la vie quotidienne. Des bergers furent trouvés « néiés » (noyés) dans des lagunes qu'ils avaient creusées pour abreuver leurs troupeaux, en essayant sans doute d'apprendre à nager. Un meunier fut trouvé mort « enveloppé dans le rouet de son moulin ». On trouva dans une pignada un forestier « mort du mal caduc auquel il était sujet », probablement une crise d'épilepsie. Un précurseur, en quelque sorte, mourut d'un coup de fusil au début du 18e siècle. Mais on pouvait être tué ou estropié de beaucoup d'autres manières : coup de pied de mule, cheval qui prend les mors aux dents renversant charrette et occupants, coup de hache mal placé, arbre qui écrase le bûcheron, morsure de vipère (on pensait qu'elle piquait avec sa queue venimeuse). « In cauda venenum » (le venin est dans la queue) disaient les Romains. Ceux qui étaient estropiés le restaient pour la vie. À moins qu'un bon rebouteux n'ait réussi leur remise en place, les os cassés se ressoudaient comme ils pouvaient. On en souffrait jusqu'à la mort, mais ces douleurs périodiques serviraient à prévoir le temps et surtout l'arrivée de la pluie. Ce serait bien utile à la saison des foins. Les champignons aussi faisaient des victimes. On se méfiait d'un bolet aux couleurs suspectes qui, pourtant, ne donnait que de fortes coliques, mais on confondait un « bidaou » (tricholome équestre) pâli sous la mousse avec une amanite qui aurait perdu sa collerette et sa volve. En cas de doute, on admettait que les champignons grignotés par les limaces étaient forcément bons. Et, pour plus de sécurité, on cuisinait les champignons douteux avec une pièce ou une bague en argent. Si l'argent noircissait, alors, attention, poison. S'il restait brillant, on pouvait se régaler sans crainte. C'est ainsi qu'on peut s'expliquer peut-être les enterrements simultanés de plusieurs membres d'une même famille. Aujourd'hui encore, il n'est pas sûr que ces croyances aient totalement disparu.

La misère amenait de nombreux mendiants à Saint-Aubin. On connaît plusieurs paysans qui les recueillaient, les soignaient et les accompagnaient à leur dernière demeure. Les registres nous apprennent ainsi la mort de plusieurs de ces miséreux : La Crouste, La Fritte... Un pauvre garçon sans nom... Un pauvre homme mendiant son pain... Un autre qu'on avait trouvé porteur d'un chapelet, son seul bien sans doute, et bien d'autres.

Bénis soyez vous, charitables de ce temps-là qui, malgré votre pauvreté, n'hésitez pas à partager votre maigre pitance. Nous n'avons trouvé sur les actes aucune trace des suicidés, car, jusqu'à une époque récente, ils n'avaient pas droit de funérailles à l'église. On les enterrait donc très vite, on ne sait où, et le curé, qui n'était pas intervenu, n'inscrivait rien sur son registre.

Texte extrait : Chronique de Saint-Aubin-de-Médoc, René-Pierre Sierra, juin 1995, éditeur mairie de Saint-Aubin-de-Médoc, p 109-115.