1854 Conseil d’Etat au Contentieux

 [Ecriture et orthographe respectée]

Séance du 24 novembre 1854. Préfecture de la Gironde 

Napoléon, par la grâce de Dieu et la volonté nationale, Empereur des Français, à tous présens et à venir, Salut.

Sur le rapport de la Section du Contentieux,

Vu la requête sommaire et le mémoire ampliatif présentés au nom, 1°. du sieur Jean de Matha, 2°. du sieur Jérôme de Matha, 3°. du sieur Jean Ferry, 4°. du sieur Pierre Meymat, 5°. du sieur Jean Larrieu, 6°. du sieur Edmond Villaume, 7°. du sieur Guillaume Trial, 8°. du sieur Paulin de Matha, 9° de la dame veuve Tastet , 10°. de la dame veuve Dupuy, propriétaires de marais situés dans les Padouens, commune de Blanquefort (Gironde) ; et au nom de, 1°. le sieur Hypolite de Pichon, 2°. le sieur Gustave de Pichon, 3°. le sieur Théophile de Pichon, 4°. le sieur Théodore de Pichard, co-propriétaires des marais dits de Pichon, situés dans la commune de Parempuyre (Gironde), el du moulin de Cazeau, situé dans la même commune, lesquels sieurs de Pichon et de Pichard et Jean de Matha agissent et en leur privé nom et comme Directeurs de la Commission spéciale des marais appelés les Padouens ; les dits requête et mémoire enregistrés au Secrétariat de la Section du Contentieux les 17 mai et 11 novembre 1852, et tendant à ce qu'il nous plaise annuler une décision en date du 24 janvier 1852, par laquelle notre Ministre des Travaux Publics a confirmé un arrêté du Préfet de la Gironde, en date du 22 octobre 1851, relatif au canal qui sépare les marais appelés les Padouens et de Pichon de ceux appelés marais de Blanquefort ; ce faisant, annuler pour vice de forme, excès de pouvoir et comme mal fondé, le dit arrêté du Préfet de la Gironde, en date du 22 octobre 1851 ;

Vu la décision attaquée ; Vu l'arrêté en date, du 22 octobre 1851, portant :

« Art. 1°. Que la Jalle de la Lande sera exclusivement consacrée à l'évacuation des eaux des terrains supérieurs ; qu'en conséquence, il est formellement interdit d'ouvrir les écluses situées à l'embouchure de cette jalle pour l'introduction des eaux de la Garonne pendant le flot.

Art. 2. Que les eaux nécessaires à l'irrigation et au colmatage, ainsi qu'à la submersion des terrains servant à élever des sangsues, seront introduites par des canaux spéciaux, dont la construction sera autorisée, s'il y a lieu, après l'accomplissement des formalités prescrites par les lois et règlements.

Vu les observations de notre Ministre des Travaux Publics, en réponse à la communication qui lui a été donnée du pourvoi ; les dites observations enregistrées comme dessus, le 11 octobre 1853, et tendant au rejet de la requête ;

Vu le mémoire en réplique présenté au nom des sieurs de Matha et autres ; le dit mémoire enregistré comme dessus, le 29 décembre 1853, et tendant aux mêmes fins que les requête et mémoires ampliatifs ci-dessus visés, tendant en outre subsidiairement à ce qu'il nous plaise : Déclarer que la décision attaquée ne fait pas obstacle à ce que les sieurs de Matha et autres fassent valoir devant l'Autorité compétente, à l'effet d'obtenir une indemnité, le droit qu'ils prétendent avoir à l'égard de la communauté des marais de Blanquefort, d'exiger l'introduction des eaux par la Jalle de la Lande ;

Vu la lettre du Préfet de la Gironde au Ministre des Travaux Publics, en date du 23 février 1853 ; ensemble les rapports des Ingénieurs des ponts-et-chaussées, en date des 30 juillet et 6 août 1852 ;

Vu toutes les pièces produites et jointes au dossier ;

Vu les lois des 22 décembre 1789, janvier 1790, sect. 111, art. 2 ; du 12-20 août 1790, chap. 6 ; du 28 septembre, 6 octobre 1791, tit. 1°, sect. 1°, art. 4; vu l'arrêté du Directoire exécutif, du 19 ventose an VI ; vu l'art. 27 de la loi du 16 septembre 1807 ;

Ouï M. Leviez, Maître des Requêtes, en son rapport ;
Ouï M. Avisse, Avocat des sieurs de Matha, Ferry et autres, en ses observations ;
Ouï M. du Martray, Maître des Requêtes, Commissaire du Gouvernement, en ses conclusions;

Sur l'excès de pouvoir :

Considérant qu'aux termes de la loi des 12-20 août 1790, chap. 6, et de la loi du 16 septembre 1807, les Administrations départementales sont chargées de diriger toutes les eaux du territoire vers un but d'utilité publique, et de pourvoir à la conservation des travaux de desséchement ;

Que l'art. 10 de l'arrêté du Directoire, du 19 ventôse an VI, leur enjoint particulièrement de veiller à ce que nul ne fasse aux rivières et canaux navigables et flottables des prises d'eau ou saignées sans y avoir été autorisé par l'Administration centrale du département ;

Que les eaux des fleuves et rivières navigables faisant partie du domaine public, et n'étant pas dès-lors susceptibles de possession privée, il suit de là que la jouissance d'une prise d'eau sur un fleuve navigable ne peut, quelque longue qu'elle soit, tenir lieu de l'autorisation administrative, et que cette autorisation peut elle-même être révoquée si l'intérêt public l'exige;

Que les propriétaires des marais appelés les Padouens et de Pichon ne produisent, à l'appui de leur demande en maintien de la prise d'eau par eux pratiquée sur la Garonne par le canal appelé Jalle de la Lande, aucune autorisation ni concession accordée à eux ou à leurs auteurs ; Qu'ainsi, l'interdiction, pour l'avenir, de toute prise d'eau par le canal de la Lande, prononcée d'ailleurs dans une vue de salubrité publique et dans l'intérêt de la conservation des travaux de dessèchement voisins, est un acte accompli par le Préfet dans la limite des pouvoirs qui lui sont conférés par les lois précitées ;

Sur le vice de forme, qui résulterait de ce que l'arrêté attaqué n'a pas été précédé d'une enquête préalable :

Considérant qu'aucune disposition de la loi ou de règlement n'a assujetti à la formalité préalable d'une enquête les arrêtés par lesquels les préfets prononcent la surpression des prises d'eau dont l'existence est irrégulière ;

Sur les moyens présentés au fond contre l'arrêté attaqué :
Considérant que les arrêtés pris par les préfets en pareille matière, dans la limite de leurs pouvoirs et dans les formes prescrites par les lois et règlements, ne sont pas susceptibles de nous être déférés par la voie contentieuse ;

Notre Conseil d’Etat au Contentieux entendu, avons décrété et décrétons ce qui suit :
Article premier. La requête des sieurs de Matha et autres est rejetée, sauf à eux à se pourvoir, s'ils s'y croient fondés, devant l'Autorité compétente, pour faire valoir les droits qu'ils soutiendraient résulter, à leur profit, d'actes privés à l'égard de la communauté des marais de Blanquefort.
Art. 2. Notre Garde des Sceaux, Ministre Secrétaire d'Etat au Département de la Justice, et notre Ministre Secrétaire d'Etat au Département de l'Agriculture, du Commerce et des Travaux Publics, sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l'exécution du présent décret.

Approuvé le 7 décembre 1854. Signé Napoléon.  

Par l'Empereur : Le Garde des Sceaux, Ministre Secrétaire d'État au Département de la Justice, Signé Abbatucci.
Pour expédition conforme : Le Maître des Requêtes, Secrétaire Général du Conseil d'Etat, Signé F. Boulay.
Pour copie conforme : Le Chef de Bureau du Secrétariat Général au Ministère de l'Agriculture, du Commerce et des Travaux Publics, Signé Dillé.
Pour copie conforme : Le Secrétaire Général de la Préfecture de la Gironde. Signé Dosquet.
Bordeaux.
Typographie et Lithographie de E. Mons, rue Arnaud-Miqueu, 3. (pages 1, 2 et 3)

Transmis par Muriel Lauga, syndicat des marais.