La vacherie de Blanquefort 

« Dans la vacherie modèle de quatre-vingt têtes sélectionnées, tout était perfectionné pour l’époque : bat-flancs en chêne verni avec nom de l’animal, galerie en dessus pour l’alimentation en fourrage ; des chariots sur decauville sillonnaient le parc vers la fosse à fumier ; l’eau courante était alimentée par une source avec bélier fonctionnant nuit et jour.

La nouvelle vacherie fut bâtie en dur, son entrée principale face au levant avait un cordon et les encadrements des portes et des fenêtres en briques rouges apparentes détachées sur mur blanc. À l’entrée, on distinguait sur les côtés droit et gauche, douze stalles de chaque côté et face à l’entrée une grande allée de vingt-huit stalles de chaque côté faisant place à quatre-vingt bêtes dans un parfait alignement. Au devant de chaque tête, une auge en béton en légère pente pour son lavage vers le fond, coupée au milieu par une ligne de râteliers solidaires avec demi bat-flancs surélevés détachés de la litière ; au dessus du râtelier, le nom de son occupant. Au devant des auges, un couloir permettait l’alimentation sans danger, tous les sols bétonnés avec une légère pente pour le lavage vers le fond, au milieu une allée de deux mètres de large surélevée destinée à la circulation avec voie decauville permettant le renouvellement de la litière et l’enlèvement du fumier en direction de la fosse couverte où le fumier était arrosé de purin par pompe et par période. L’étage du parc était garni de foin aéré par des briques avec des vides sur l’extérieur pour éviter sa fermentation. Une galerie tout autour permettait la descente du foin, au devant des râteliers, tous les bois en chêne étaient lavés et cirés, le tout très propre était arrosé de grésil. Sur la face midi, trois logements destinés aux familles des vachers, une laiterie pour conserver le lait du soir dans des cartons plongés dans des bassins d’eau renouvelable, un local à grains et un petit parc pour les veaux naissants. Cet ensemble bien conçu facilitait le travail, les bêtes sélectionnées de bonne qualité primées étaient visitées par les connaisseurs ». 

Raymond Valet, Feuillets d’une mémoire, Publications du G.A.H.BLE, 1984, p. 5, et p.78-79.

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Guerre 39-45

La vacherie de Dulamon a été le théâtre d’événements liés à la guerre de 1939-1945, qui nous sont rapportés dans les procès-verbaux de la gendarmerie nationale de l’époque :

PV 353 du 13 octobre 1940 : 

M. Sempé Raymond, 61 ans, fermier éleveur, demeurant 3 rue Gambetta à Blanquefort déclare : « Je suis fermier jusqu’au 1er mars 1941, suivant bail enregistré en date du 1er mars 1938, moyennant un prix annuel de 8 000 francs, payable par semestre et d’avance de la vacherie du domaine Dulamon à Blanquefort, propriété de Mme Chatillon, demeurant 78 boulevard de Courcelles à Paris.

Du 15 au 28 juin 1940, mon exploitation a été occupée par l’amirauté française. Le domaine a été occupé, tout d’abord, le 15 juin par soixante fusiliers marins. Un deuxième détachement de deux cent hommes a suivi, puis un troisième de quatre cent hommes environ.

Ces détachements étaient pourvus de leur matériel de campagne, cent camions environ, autant de voitures diverses ainsi que du matériel de D.C.A., de quatre mitrailleuses jumelées, placées dans les prairies, dont j’avais l’exploitation autour du château Dulamon, sur une superficie de 6 ha.

Des automitrailleuses, avec leurs caisses à munitions ont été garées dans les diverses prairies. Pour se loger, les fusiliers ont débarrassé tous les bâtiments, en évacuant au dehors, sans aucun ménagement, tout le mobilier et les divers matériels agricoles de mon exploitation : charrettes, faucheuses, voitures diverses, coupe racines, bidons, seaux à lait, etc. ; les armoires ont été également vidées de leur contenu, linge, vaisselle, disques de phono, etc.

Le hangar à foin qui contenait en dépôt, le restant de la récolte de foin de 1939, évaluée à trente charrettes, a été vidé en totalité, et le foin a été dispersé pour servir de couchage aux marins qui se sont installées dans la vacherie et les greniers, après avoir fait évacuer mes animaux dans les prairies, soit vingt vaches laitières et génisses. Pour améliorer leur ordinaire, les marins ont fait main basse, sur ma bassecour ; quarante poulets, poules et canards, ont d’abord été sacrifiés. Pour leur cuisson, outre le bois de chauffage des habitations, les marins ont employé tout le bois que j’avais en dépôt, tel qu’échalas en acacia, destiné à l’entretien des clôtures ou autres besoins. Pour leur toilette, les hommes ont utilisé comme lavabo, les abreuvoirs en ciment sans évacuer les eaux résiduelles.

Par suite de ceci, les vaches du troupeau, mis par eux en liberté, ont été empoisonnées par lesdites eaux. Je laisse sous silence les mauvais traitements qu’a eu à subir le bétail, lorsqu’il voulait regagner l’étable ; il était reçu à coups de bâton et même frappé avec des mousquetons. Lorsque le détachement a évacué le domaine, j’ai dû procéder à un nettoyage complet, des bâtiments et de leurs abords et enlever des débris de victuailles, débris de vaisselle, de boites de conserves éparses, etc.

La pompe alimentant les abreuvoirs a été détériorée et rendue inutilisable. Dans le vivier, où s’alimentait cette pompe, une auto mitrailleuse a été déversée, ainsi que des mousquetons brisés et des caisses à munitions.

J’évalue les pertes que j’ai subies de la façon suivante :

Les bâtiments occupés par l’amirauté couvraient une surface de 1 800 m² ainsi décomposée : écuries, étables avec grenier à foin au 1er étage 1 100 m², hangar à foin, réserves 50 m², hangar isolé pour remisage de matériel agricole 140 m², le logement d’habitation de huit pièces au total avec, à la suite, infirmerie pour le bétail : 450 m² total 1 800 m².Les écuries, greniers et hangar ont été occupés par les hommes de troupe et les maisons par les sous-officiers.

L’évaluation des dommages est la suivante :

Trente charrettes de foin utilisées pour le couchage à 300 F l’une soit 9 000 F.
Perte de 2 vaches laitières en plein rendement à 3 500 F l’une, soit 7 0000 F.
Dégâts causés aux prairies, entourant le château, par le passage des camions et des divers véhicules qui ont été garés. Il n’a été récolté que vingt charrettes de foin de mauvaise qualité sur les quarante que produisaient lesdites prairies ; la perte est de vingt charrettes à 3 000 F, soit 6 000 F.
Volailles : perte de 40 têtes à 40 F, l’une soit 1 600 F.
Bois de chauffage employé pour les cuisines roulantes et piquets d’acacia soit 1 500 F.
Dégât au mobilier, ustensiles de cuisine et futailles vinaires, pour bris de meubles notamment un lit, vaisselle brisée ou manquante, linge disparu, bris de disque de phono etc. soit 1 500 F.
Dégât au matériel agricole, charrettes, voiture légères, faucheuses, pompes alimentant les abreuvoirs, bidons et seaux à lait etc., soit 2 500 F.
Préjudice commercial : perte de lait etc., 3 000 F. Soit au total, la somme de 32 100 F.

Le détachement s’est éclairé par ses propres moyens, car il n’y a pas d’installation électrique. Je porte plainte pour ces dégâts et le préjudice que j’ai subi et vous remets une copie d’un constat dressé par M. Pierre, huissier à Bordeaux, 8 rue de Lhote ».

Les gendarmes mènent leur enquête et ils auditionnent voisins et notables.

M. Louit Marcel, 60 ans, propriétaire, demeurant commune du Taillan, déclare : « J’habite à proximité de la propriété de Dulamon, louée à M Sempé par Mme Chatillon. Au moment du départ des marins qui y étaient cantonnés, fin juin 1940, j’ai constaté que des militaires couchaient sur du foin, tant dans la vacherie que dans les greniers. Je ne peux rien dire de plus au sujet des dégâts invoqués par M. Sempé ».

Années Sombres à Blanquefort et dans ses environs 1939-1945, Catherine Bret-Lépine et Henri Bret, Publications du G.A.H.BLE, 2009, p 202.

Un autre évènement pendant l’Occupation.

PV 353 n° 476 du 17 août 1941

Vol de 3 brebis. Victime : Sempé Raymond, 62 ans, éleveur de bétail à Blanquefort : « Je suis locataire de prés ainsi qu’une vacherie avec dépendances au domaine de Dulamon où j’élève des vaches ainsi qu’un troupeau de mouton de 141 têtes. Vers 17 h, mon fils m’a signalé qu’il en manquait trois. Comme mon berger m’avait indiqué qu’il avait trouvé ce matin trois entrailles de veau dans le pré, à 200 m environ à l’est de la vacherie, j’ai pensé qu’il était possible que ce soit celles de mes trois moutons. Je me suis rendu à cet endroit et après les avoir examinées, j’ai reconnu que c’était bien des entrailles de moutons ; quant aux peaux, je n’ai pu les découvrir. Etant revenu à la vacherie, j’ai constaté que les bêtes avaient été saignées dans l’écurie puis passées à l’extérieur par un vasistas, des traînées de sang en font foi. Il m’a été volé trois brebis pleines, elles étaient de race charnois-anglais et étaient âgées de 3 et 4 ans.  Je n’ai pas de soupçon mais néanmoins les auteurs de ce méfait étaient très au courant des lieux, car ils auraient très bien pu opérer sans passer par le vasistas qui est assez élevé du sol. Ces brebis étaient destinées pour la reproduction aussi le préjudice qui m’est causé s’élève à la somme de 3 500 F. Je porte plainte contre inconnu ».

 Le 18 août 1941, 7 h 30 : Auditions de M. Colobi Mathieu, 59 ans, berger vacher au service de Sempé Raymond, Mme Barrière Madeleine, divorcée, M. Métayer, 41ans, domestique chez M. Sempé Jean, 33 ans, éleveur.

État des lieux :

« La vacherie de M. Sempé est une dépendance du château Dulamon lequel est occupé par les Allemands. Elle est située à 500 m environ du dit château et à 800 m environ à l’ouest du C.D. n°2 Bordeaux-Pauillac. Un chemin de servitude relie ce dernier à la vacherie. Elle comprend un vaste bâtiment de 45 m de long sur 15 m de large ayant comme ouverture des fenêtres situées à 2 m 40 du sol et mesurant 1 m 25 de largeur sur 0,80 m de hauteur ainsi que 2 grandes portes. À l’extrémité sud-ouest, une maison d’habitation lui est attenante dans laquelle sont logés le berger et une domestique, tous deux au service de M. Sempé.

Constatations :

À l’extérieur, au mur, sous la fenêtre située à l’angle nord-est et sur la bordure de celle-ci nous remarquons des taches de sang ainsi que des éraflures faites par des chaussures. D’après la victime, cette fenêtre avait été laissée ouverte pour aérer. À l’intérieur, dans le même angle du bâtiment, une charrue est dressée contre le mur sur laquelle il y a également du sang ; ceci fait présumer que les voleurs s’en sont servis pour faire glisser les bêtes jusqu’à la croisée. Au-dessous, il y a une cage à lapins du dessus de laquelle on peut accéder à la croisée.

Dans l’intérieur du parc, sur la litière, nous remarquons trois grandes taches de sang où vraisemblablement les moutons ont été saignés. M. Sempé nous présente trois entrailles d’animaux qu’il déclare avoir découvert dans le pré à 200 m au sud-est de la vacherie ».

Années Sombres à Blanquefort et dans ses environs 1939-1945, Catherine Bret-Lépine et Henri Bret, Publications du G.A.H.BLE, 2009, p 157.

Extrait d’un entretien avec une habitante de Blanquefort :

Son père était fermier à Dulamon, la ferme en bas de la propriété au-dessus des grottes. La ferme était immense : un grand bâtiment, avec des wagonnets pour sortir le fumier, d’un côté parc à vaches, moderne, les vaches et de l’autre les moutons, 500 bêtes peut-être.

Conclusion : aujourd’hui, heureusement, le bâtiment est sauvé, il s’insérera dans doute dans un projet de réhabilitation d’une ferme-école et d’un lieu à vocation pédagogique. Il sera intégré également dans la boucle locale du sentier de randonnée de Blanquefort et embellira un peu plus ce vaste domaine qui s’étend du château Dulamon jusqu’au parc de Majolan.

Henri Bret, février 2010.

Réhabilitation de la vacherie

La ville de Blanquefort est propriétaire de la vacherie depuis 2008, en juillet 2015 les travaux de réhabilitation ont commencé, orchestré par l'architecte Christophe Hutin. Inauguration le 10 septembre 2016.

Depuis septembre 2018 un éleveur de brebis fabrique, affine et vend ses fromages dans un des bâtiments attenant à la vacherie.

La vacherie est "un espace qui se veut avant tout pédagique : apprendre la culture qu'elle soit agricole ou artistique. La vacherie c'est la valorisation du lien entre consommateur et producteur, mais aussi la transmission des savoirs-faire." La vacherie accueille différents évènements mêlant nature et culture, spectacles, conférences, ateliers, ...

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