Quartier de Larivière et des marais
Larivière n’était pas un simple quartier ; dans le passé, c’était un hameau avec une vie intense ! Aujourd’hui il ne reste que peu de traces de ce passé.
Fin du XIXe siècle, un grand château dans les marais a dynamisé le quartier de Fleurennes. Une partie du hameau composait les dépendances du château. Le bois du Berdaca appartenait au château de Fleurennes ainsi que deux bâtisses, inexistantes aujourd’hui, elles étaient occupées par une bonne du château et des ouvriers agricoles. Le château date des environs de 1870 et son dernier propriétaire était le comte de Montbel.
Le château de Fleurennes a été acquis par les établissements Bardinet. Cette entreprise était alors rue de l’école normale à Bordeaux dans de vieilles constructions obsolètes. Le château était en ruine. L’architecte, M. Petuaud-Letang a étudié toutes les possibilités pour conserver le château. C’eût été un gouffre financier de le remettre en état et d’y insérer des bureaux modernes. La démolition a été actée. Selon des archives qui nous ont été aimablement mises à disposition nous avons découvert l’histoire de la renaissance du site et je remercie particulièrement M. Lava pour la confiance qu’il m’a accordée en me remettant ces documents. Sur place, je fus accompagné car le site est « protégé », défini comme sensible. On ne peut y vaquer librement ! Je remercie M. Dehes pour sa patience et disponibilité. J’ai retrouvé le vieux pont qui était à côté du lavoir de la Rivière par lequel les habitants de ce hameau passaient pour se rendre à Blanquefort.
De l’époque, il reste de magnifiques bâtiments restaurés et utilisés pour les besoins de l’entreprise : les chais aux vieilles charpentes en particulier et la serre.
Nous avons retrouvé aussi trace d’une ancienne dépendance au 147 rue de la Rivière. Ce bâtiment abritait une réserve à foin, un poulailler et autres petites constructions à usage agricole. Au pied de cette construction, une borne cadastrale napoléonienne a été retirée lors de la dernière réfection des trottoirs et chaussées.
La maison qui jouxte cette construction à usage agricole date de 1892. Derrière cette bâtisse, dans un grand pré se trouve un grand hangar, très ancien aussi, mais postérieur à 1802, il ne devait pas être bien loin du grand lavoir.
Tout près du pont, dans le passé, on trouvait un grand lavoir dans un grand pré, il n’y a plus aucune trace de lui. La ruisseau, le Cournalet arrive du Taillan à Tanays et se dirige vers les gravières des marais où il se perd.
Juste au stop, allez au fond de l’impasse et vous verrez les piliers en pierre, c’était l’entrée du personnel. Au bout de ce chemin, rue du Berdaca, se situait le bâtiment où logeaient le jardinier et la servante.
La rue de la Rivière, n’était qu’un chemin de terre, la zone industrielle l’a rendu carrossable. Jusqu’à la fin du XXe siècle il y avait une grande propriété qui s’étendait du quartier de La Rivière vers Caychac, et 3 autres plus petites.
Pensez qu’autrefois dans ce village il y avait des élevages de porc, de tortues (pour la consommation), de bovins ainsi que des jardins potagers où tout poussait : petits pois, haricots, tomates, salades, et quelques pieds de vigne.
Depuis la création de l’école et de l’église de Caychac, toute la population s’est orientée vers ce bourg et fréquentait peu la ville : Blanquefort. Les fêtes locales, le carnaval, les épiceries, les auberges, les restaurants les bals …étaient à Caychac ! À la « belle époque », le cinéma se tenait dans une grange du quartier de La Rivière. Le comité des fêtes de Caychac n’est plus aussi actif qu’autrefois et celui de Blanquefort a pris de l’ampleur à son détriment. Les jeunes se déplacent en conséquence.
Au stop de la rue de La Rivière, à gauche, rue du Berdaca vous avez au n°14 une construction mitoyenne avec celle du 5 de la rue Jeanne d’Arc. C’est une ancienne ferme, qui semble dater du début du XIXe siècle si l’on se réfère aux cadastres de 1802 et 1850, avec d’un côté la partie habitation et de l’autre les dépendances, toujours sous le même toit. Le propriétaire, lors de la vente, a dû faire un autre puits car celui d’origine était « à la parcelle cadastrale » avec droit d’accès.
Au 134 de la rue de La Rivière, une importante bâtisse fait angle avec la rue du Berdaca. Le propriétaire avait de grandes terres exploitées par des fermiers. L’habitation était mitoyenne avec les dépendances qui suivent dans l’alignement. À l’étage une porte donnait accès à la construction mitoyenne, les traces de ce passage sont toujours visibles. Toutes les dépendances ont subi des modifications, mais une subsiste et semble être restée identique au passé…
Dans la maison de maître, un grand four à pain a cédé aux tourments du temps. Les anciens du quartier n’en avaient pas connaissance, le propriétaire gardait secrète cette richesse. N’oublions pas que les fours à pain étaient réquisitionnés en temps de guerre… Ce groupe de constructions devrait avoir ses fondations et quelques murs de 1800. Certaines constructions se sont embellies, rehaussées, l’une d’elles semble être restée à l’identique.
Une autre ferme paraît être de la même époque au 148 rue de La Rivière, peut être postérieure à 1802 mais de peu.
Une dame de 89 ans est née dans ce bourg, ses parents, ses enfants et petits-enfants, des neveux et petits neveux y sont toujours ! Ils vont dans la même école qu’elle, à la même église ! Bien qu’anciens, les bâtiments où elle a vécu existent toujours mais sont postérieurs à 1850.
La voie de chemin de fer du Médoc, qui reliait la gare Saint-Louis au Verdon, desservait les gares de La Vache à Bruges, Blanquefort, Parempuyre, Ludon, Macau, …. Le tronçon reliant Macau a été inauguré en 1868. En 1931, une ligne secondaire a été créé pour acheminer du charbon et divers matériaux entre les quais de Bacalan et le port de Cadillac à Parempuyre, via une bifurcation derrière le Petit Lacanau, et passait dans le quartier de La Rivière. Cette ligne de chemin de fer a failli reprendre du service au XXIe siècle.
Le chemin des flamands est indiqué sur la carte de Cassini, il traversait les palus du sud au nord, en direction de la grande Jalle limitrophe à la commune de Parempuyre, la Violette, 2 constructions sont mentionnées : Les Michels et Hutte. Le long de la grande Jalle une construction L’Isle.
Carte de Cassini du XVIIIe siècle
Sur la carte de l’état-major de 1820-1866, le long du chemin des Flamands apparait Marotte, Liquard, Vivey, Picherie, Mourlan. A noter que l’Isle devient Lille.
A gauche du chemin des flamands, le Port du Roi, au bord d’un plan d’eau, presque en face du château le Dehes. Il doit se situer sur le plan d’eau en face de l’ex-usine Ford, tout près du rond-point. Ce site a été utilisé pendant la 1ère guerre mondiale comme lieu de stockage.
Un port est cité, pas très loin du château Dehes, mais orienté vers Bruges et en direction de la forteresse, le port de Terrelade. Le port de Terrelade et le chemin rural y aboutissant ont été cédés en 1920 à la famille Cruse.
La famille Cruse était propriétaire de terres sur Bruges ainsi que du château Dehes. Le secteur était protégé de longue date par de grandes digues et des canaux évacuaient l’eau vers la Garonne.
Les premiers travaux d’assèchement des marais médocains ont été commandés par Henri IV avec la venue des Flamands. Puis les Normands auraient creusé les grands canaux. Ce n’est qu’au milieu du XVIIe siècle avec la venue des Hollandais que Blanquefort fut à l’abri. De grandes digues furent construites pour protéger les palus, assécher les marais et conquérir de nouvelles terres.
En cheminant le long de la digue, à l’emplacement de l’ancienne voie de chemin de fer et en poursuivant nous aboutissons à la Garonne. L’île de Grattequina n’était pas encore rattachée à la rive, elle le fut en 1865. Le port de Grattequina ne fut construit que plus tard.
Nous n’y retrouvons pas de constructions antérieures à la période Napoléonienne dans les marais si ce n’est le domaine du Grand Pontac.
Au fond, après le chemin de Labarde, au bord des écluses, se situe une ancienne maison en ruine. Ce fut celle d’un petit agriculteur. Au hasard des rencontres, j’ai parlé avec son petit-fils perché sur un grand tracteur au milieu des terres.
Ce dernier, connaissant bien le secteur, m’a appris que sur ordre du propriétaire des terres il a terminé la démolition d’une belle demeure qui menaçait de s’effondrer. Il ne subsiste qu’un tas de pierre entre le château de Grattequina et la Jalle vers le pont des Religieuses, ainsi que des restes d’un chai. Sur le bord du chemin de Labarde subsistent deux piliers en pierre et ce qui fut un portail ; certainement l’entrée de cet ancien domaine, sans doute la bâtisse mentionnée Montagne.
Le château de Grattequina a été bâti en 1872. Cette zone fournissait le vin de palus, vin très prisé sur Bordeaux et qui s’exportait bien. Dans cette ile une propriété produisait du vin et un moulin tournait. Il reste aussi dans cette zone une ruine d’une vieille chapelle. Une petite école pour les enfants du marais existait vers le port de Lagrange. Le moulin de Grattequina, demeure du gérant de l’hôtel, est bâti sur l’ancien moulin si l’on se réfère aux cadastres. Il en est de même du château.
Témoignage de Yannick Barreau qui habitait chez ses grands-parents dans la zone des marais. La ferme était située sur le chemin qui longe l’actuelle gravière, le chemin des flamands. Elle allait en bicyclette à l’école et avait rendez-vous, en bas de son chemin, avec une nuée d’enfants. Ces enfants arrivaient de Grattequina, des palus, du bout de l’île. Parfois la route était inondée et ils arrivaient trempés à l’école ! En bas du chemin il y avait un ancien restaurant (restaurant de l’île) qui était au bord de la jalle. Mais déjà à cette époque le local servait d’habitation à un couple d’agriculteurs, des Italiens selon sa mémoire. La jalle était propre et on s’y baignait sans risque, dans une belle eau limpide et poissonneuse bordée d’une plage de sable.
Son grand-père avait des amis qui venaient à la tonne pour chasser le canard. Un certain Daniel, propriétaire du moulin noir y venait avec sa belle-sœur « lolotte » et sa femme. Ainsi elle a connu, enfant, ce moulin noir. C’était un restaurant avec une grande terrasse, des faïences bleues et une grande rosace au milieu. Des chaises longues et une grande balancelle entouraient une table en fer forgé et au fond un jardin japonais décorait l’ensemble. De mémoire, ce moulin noir n’a jamais produit d’électricité mais était plutôt un lieu convivial, de rencontres. L’ensemble était cossu et sa réputation assez sulfureuse ! Selon un vieil écrit en gascon lu par Yannick, daté de 1720, ce moulin appelé aussi moulin de Plassan, travaillait le grain.
M. Tintin, grainetier à Bordeaux venait aussi chasser à la tonne dans les marais. Il avait de drôles de tenues, de grands pantalons bouffants ou des genres de robe. Sa maman tenait le moulin blanc et avant la seconde guerre mondiale c’était déjà un restaurant. Après son décès M. Tintin a repris le restaurant et il a été longtemps tenu par son épouse.
Agée elle a été agressée par des malfaiteurs qui en voulaient à ses bijoux et son argent. Elle a alors cédé ce moulin à une filleule qui a réaménagé le restaurant et poursuivi l’exploitation.
Chemin des Flamands
Dans le secteur des marais existaient des élevages de sangsues et ce depuis le XIXe siècle et jusque dans les années 1950. En 1950 l’élevage de la famille Chichet était situé à côté de Liquard. On introduisait des chevaux réformés dans les marais et leurs pattes devenaient porteuses de sangsues. Le dernier élevage se situait près de la gare de Blanquefort La ruine, chemin du Flamand, se nomme domaine de Liquard et appartient à Maitre Chambarière. La construction a explosé, le toit s’est envolé.
Au lieudit Picherie nous avons rencontré une accueillante personne, Ginette Rouillard, et avons découvert que la même famille y vit depuis le tout début du XXe siècle. Nous avons rencontré sa nièce et son neveu qui y sont nées.
M. Rouillard était propriétaire de terre à Bruges et Blanquefort. En 1908, il s’installe définitivement à Picherie. La petite construction d’origine ne lui convenant pas, il fait acheminer des tombereaux de pierres pour bâtir la maison. Pour isoler la construction de l’humidité, un film de bitume a été placé au préalable des travaux. A l’origine, la cuisine était à l’extérieur de l’habitation.
Puis la grange fut construite ainsi que l’étable. Les bêtes paissaient dans les prés de tourbe et aux endroits propices, était plantée de la vigne ou était installé un potager.
En 1952, de grandes inondations dues à la défaillance des digues ont fait fuir la famille.
Les bêtes ont été transportées chez M. Baudinière, la petite famille a été recueillie à Caychac dans la maison paroissiale. Cet épisode a marqué le propriétaire qui cessa son activité. Après partage, l’activité se poursuit avec un fils. L’exploitation avec la 3e génération est maintenue. C’est avec la permission du petite fils et celle de sa maman que vous pouvez découvrir la Picherie aujourd’hui.
Dans les marais, une ferme
Puis, il a été décidé de créer la zone industrielle. Il n’y a plus de marais mais un grand lac. Le sable retiré du lac a permis de rehausser le terrain d’1,20 m sur 14 ha, il n’y a plus de petites fermes elles ont laissé place aux industriels !
Enfin pour clore ce chapitre, selon la mémoire d’un ancien éleveur de vaches laitières, né à Blanquefort, il se souvient de conversations entre anciens. Un chemin filait depuis le Dehez vers le Vigean. Il n’y avait pas de voie de chemin de fer à cette époque. Le chemin de terre passait entre deux constructions et il devrait y avoir encore quelques traces. C’est Magnol qui a détruit une ancienne construction en fond de son terrain, en bas du coteau. Cette zone est celle de Terrelade.
Nous avons retrouvé les traces d’un moulin, le moulin de Grangeot sur le bord de la Jalle, au milieu du terrain de golf. Dans le passé, les vaches allaient paitre dans ces terres. Tout a été modifié pour réaliser le terrain de golf mais certains éléments sont conservés. Les agents nous ont reçus, montré certains documents et accompagnés sur les lieux. Nous les en remercions.
La Jalle est la frontière avec Bruges et Bordeaux. Nous poursuivrons nos recherches depuis Terrelade, le long du coteau, vers le Taillan.
J’ai été merveilleusement reçu par les anciens qui ont vécu dans ce secteur et je remercie en particulier M. et Mme Dubos, Mme Melan, M. et Mme Seosse, Mme Rouillard et son fils, Mme Yannick Barreau, pour leur disponibilité et chaleureux accueil.
De même, je remercie les responsables des établissement Bardinet, du château Grattequina, du château Magnol, du CESI Aquitaine (Le Maurian), M. Belves (maison du bout de l’ile), qui m’ont accordé le privilège de prendre des photos de leur domaine pour illustrer ce texte et enrichir le site internet du Cercle Historique de Blanquefort.
Texte et photos de Pierre-Alain Leouffre, 2024.