Le château Dulamon en 1939-1945
Les troupes allemandes vont investir le château Dulamon dès leur arrivée dans la commune de Blanquefort le 30 juin 1940. Ce château offre toutes les commodités pour y installer deux « formations » qui vont cohabiter pendant toute la guerre, avec entre autres les équipes de la DCA, et une unité combattante, soiut la présence d’environ 200 soldats.
Au sous-sol, les cuisines, la chaufferie ; aux étages, les nombreuses chambres et sur le toit une plateforme d’observation sera aménagée, puis vers 1943 une deuxième.
Le château Dulamon a été l’objet de nombreux travaux, construction et réaménagements divers. C’est un budget impressionnant qui va être dépensé pour l’équiper comme le demandent les troupes d’occupation et cela va occuper des dizaines de corps de métier.
Mars 1942 : formations 24 331 et 41 937
Juillet 1942 : formations 25 015 et 28 914
Septembre 1942 : formations 23 015 B et 01 333
Décembre 1942 : formation 41 937
Février 1943 : formations 16 073 et 41 937 (Kommandantur)
Août 1943 : formation 45 937
En lisant la liste des travaux, on a bien l’impression que les deux formations allemandes pensent rester pendant des années et veulent tout le confort pour les troupes y stationnant.
La lecture de relevés de programmation des travaux nous permet de connaître les installations nouvellement mises en place : baraquements, casino, chambre à gaz, infirmerie, imprimerie… un stand de tir qui sera réparé en avril 1942.
Au mois de mars 1942, les autorités demandent l’aménagement d’un espace sportif avec un terrain de rugby nécessitant terrassement, transport de terre à la brouette, remblais, pendant des semaines, un terrain pour le lancement du marteau, un sautoir avec deux poteaux à coulisses et deux buts pour pratiquer du football.
Et en même temps il faut réparer le plancher du casino et engager la construction d’un pare-éclat avec des panneaux en bois et des sacs de terre à poser à l’entrée de la chambre à gaz.
Nous savons qu’en avril 1942, le personnel fixe détaché par la mairie pour les travaux est composé de 6 personnes : deux manœuvres pour l’entretien des baraques et corvées diverses, deux manœuvres pour sciage bois de chauffage, un manœuvre pour entretien pelouses, un homme pour le contrôle, la surveillance du bois et autres matériaux sur le chantier.
Le travail ne manque pas et il leur faut travailler même les jours fériés !« Ordre de travailler le lundi 6 avril (Pâques) pour terminer le surhaussement du mur pare balles ».
La mairie délivre les bons pour tous les travaux demandés. En avril, il faut renouveler les tapisseries, peinture et raccords de plâtre nécessaires dans le casino, la chambre d’un inspecteur et la chambre d’un officier.
Les travaux « ordinaires » sont commandées et exécutés par des entreprises françaises en particulier
Voici quelques exemples :
Peindre et numéroter 17 flèches indications,
Peindre le placard dans le bureau du commandeur et un panneau dans le bureau d’à côté,
Peindre la clôture entourant les baraques et la cantine,
Nettoyer la réserve à charbon,
Nettoyer tous les poêles et leurs tuyaux,
Badigeonner l’intérieur et l’extérieur du petit garage,
Réparer la toiture du premier baraquement,
Peindre à nouveau tous les poteaux indicateurs dans le château et aux entrées,
Réparer les panneaux de camouflage,
Fournir et adapter les clefs en double à toutes les portes du château,
Fournir et adapter les clefs en double à toutes armoires et placards du château,
Poser une clôture à la pelouse bordant la route côté piscine,
Installer une clôture à la pelouse en face de l’infirmerie et la peindre à l’huile,
Réparer le portail du côté de la vacherie,
Réparer la toiture du magasin à vivres et de l’appentis côté cuisine,
Faire des raccords de plâtre dans la chambre du commandant,
Vérifier la clôture dans la partie réquisitionnée au château et réparer les parties démolies, et aussi construire sept caisses avec cadenas et poignées (090 x 060 x 050).
En juillet 1942, il est demandé de faire construire 14 mangeoires en bois et d’un petit hangar en bois, puis la construction d’un bâtiment à usage de lavabos et WC et la peinture des baraques à usage de salles de malades.
A la fin juillet 1942, après le départ de la formation précédente, il faut faire une révision complète dans les baraques et dans le château, des serrures avec remplacement des clés essentielles, de l’installation électrique et sanitaire. Tous ces travaux sont faits par la SACER.
La formation s’installe, il lui faut une salle de réunion qui va être mise en place après transformation dans le bâtiment en pierre.
L’empierrement des routes autour du château se poursuit : autour du garage, de la baraque en pierre, autour du château (dans les parties dégradées).
En août, c’est l’infirmerie qui fait l’objet de l’attention : construction et installation de 8 armoires dans la salle d’opération, réparation des tuyaux de fumée.
Il est demandé de fabriquer 60 escabeaux de chevet pour malades et 70 panneaux en carton pour têtes de lit.
L’unité allemande qui arrive en septembre demande la confection d’un siège pour cabinets, la commande est écrite en rouge sur le cahier et son exécution doit être très rapide.
Devant l’ampleur des travaux et leur coût, le responsable municipal est inquiet : « j’ai eu entrevue avec l’officier allemand de Dulamon dans le but de déterminer à qui incombent les travaux, soit l’Etat français, soit l’Armée allemande et dans le but de réduire la somme des travaux. Dorénavant, les travaux seront commandés par des bons allemands. »
Mais le rythme des demandes de travaux ne diminue pas, en majorité à la charge de l’Etat français : « Le toit du château a besoin de réparations urgentes ; il est demandé de faire le nécessaire dès que possible » mais annoté à coté (attendre le départ formation, réparation trop coûteuse). Dans le grand garage, il faut poser des supports de mangeoires (pour les chevaux ?), installer des crochets d’attache.
L’autorité allemande est pressée et maintes fois elle exige que les travaux soient réalisés plus rapidement. « Les ouvriers de la SACER qui sont nécessaires pour l’aménagement des écuries comprenant l’installation électrique, entre autres, devront travailler la nuit du 23 au 24 octobre et la journée du dimanche 25 octobre 1942 ».
En novembre on prépare le cantonnement d’hiver avec de nouvelles vagues de « remises en état » : dans les chambres des officiers et celle du général : tapisserie ou peinture, révisions électriques, pose de poêles récupérés. Tous les lavabos se voient compléter par une glace et une tablette. Dans le casino, des raccords peinture sont à faire. Sans oublier une révision complète de l’installation intérieure électrique et une révision des serrures…
La réparation de la toiture devient urgente et elle est programmée.
Il y a aussi les travaux dit « normaux d’entretien », exécutés par le personnel blanquefortais engagé de la mairie dans le sous-sol, comme par exemple la remise en état chaudière.
Notons que l’entretien des routes et égouts est mis sur le compte allemand.
Nous apprenons que les autorités locales allemandes entreprennent des modifications en décembre : « Les autorités locales ont fait démolir une volée de l’escalier en bois à Dulamon, le premier palier de l’escalier en bois pour construire un édicule à usage militaire. Les bois sculptés ont été mis au dépôt ainsi que la glace. Une fenêtre est percée à travers le mur (faire un compte spécial à la Felblauau) ».
Nouvelle programmation de travaux en décembre : « le camp des baraques de Blanquefort doit être remis en état pour février 1943 pour le cantonnement de 200 hommes ».
La standortkommandantur de Dulamon demande aussi l’échange immédiat du chauffe-eau défectueux du château par un autre utilisable qui se trouve dans un cantonnement actuellement vide. La note nous indique « prendre celui de Tujean ».
Le kommandeur demande un monteur pour des travaux de branchement dans la baraque où est située l’imprimerie.
Le chargé du suivi des travaux prend des initiatives : « J’ai fait poser des barreaudages aux fenêtres au-dessous du petit garage, pour éviter l’escalade et la détérioration de la toiture au-dessous. »
L’année 1943 commence par l’aménagement d’une nouvelle baraque où il faut faire installation électrique et construire une cheminée en maçonnerie.
Dans le château, les travaux « habituels » : peinture chambres, réparation de mobiliers, construction d’étagères.
Il est aussi demandé de réaliser la réfection des canalisations de la piscine, l’installation d’une force motrice pour l’atelier de réparation d’armes, l’installation d’une deuxième force motrice pour l’atelier de réparation autos, la construction de canalisations et de regards pour l’écoulement des eaux pluviales, sans oublier la confection de cent porte-fusils et de 10 étagères porte-masques.
Pour le compte Feldbauamt, des travaux de type militaires sont engagées avec la transformation de l’entrée du château et une modification de la cage d’escalier conforme à un plan établi par l’autorité allemande.
Nouvelle démarche en janvier de la municipalité qui s’affole devant l’ampleur de travaux : « Suis allé à la Préfecture. J’ai confirmé à M. Labrousse, une lettre que j’envoie au Préfet pour indiquer que les formations de la Luftwaffe à Dulamon se sont déclarées autonomes en ce qui concerne la commande des travaux. J’ai prévenu que les travaux de peinture des baraquements de Saturne s’élèveraient à une grosse somme. Le lendemain, j’ai reçu un ordre de la Heeresunterkunftrarwaldung, approuvé par la Préfecture, approuvant ces travaux. »
Immédiatement, fin janvier, les travaux sont faits : peinture dont les douches au sous-sol, mais aussi pose de vitres, installation de poêles.
Une nouvelle formation aussitôt arrivée demande l’installation d’une chambre froide pour la cantine, le déplacement d’une canalisation d’eau dans la cuisine, l’installation d’une vidange pour la cuisine au réfectoire des sous-off, de la peinture de camouflage sur les vitres et ampoules des logements, la construction de 5 panneaux de camouflage pour infirmerie.
Des demandes vont être facturées aux troupes d’occupation comme la construction de chevalets, d’étagères porte-masques, de caisses de charbon, l’encadrement de la carte dans la chambre du commandant et la construction de deux dépôts de munition.
Mais de nouvelles demandes arrivent : « Au dessus du petit garage, repeindre en blanc les chambres actuellement peintes en bleu. Faire les raccords de tapisserie dans la chambre de l’inspecteur. Construire une caisse à bouteilles. »
A l’occasion d’un déplacement pour contrôler l’état des lieux : « j’ai constaté que dans une chambre du 1er étage au chalet à Dulamon, les troupes avaient dégradé l’installation électrique ainsi que la tapisserie »
Et en mars « dans la baraque des lavabos de la formation 16 073, les tuyaux de vidange en plomb des lavabos ont été enlevés et remplacés par des goulottes en bois et carton bitumé, vraisemblablement par les autorités allemandes pour récupérer le métal ».
Un événement qu’il est nécessaire de consigner en rouge le 26 mai 1943 :
« A Dulamon, la formation 41 937 (Kommandantur) offre pour activer les travaux, la main d’œuvre des prisonniers nord-africains (cette main d’œuvre sera employée pour réduire les frais d’occupation). Presque tous les jours, des travaux sont signalés à faire au château Dulamon. Nous apprenons que le mécanicien qui travaille en mai dans l’atelier de réparations est payé par les formations allemandes ainsi que les charpentiers qui construisent des caisses. En juin, sans explication, ni commentaire, mais noté en rouge « les allemands donnent l’ordre de démolir 8 bâtiments dans le parc ».
Ces écritures nous permettent de connaître des événements locaux oubliés dans les mémoires : « dans la nuit de 2 au 3 août un très gros orage s’est abattu sur Blanquefort avec grêle et grand vent occasionnant des dégâts importants à la toiture ; de très grosses gouttières sont signalées au château, les chéneaux sont hors d’usage et ne semblent pas pouvoir être réparés sans un remaniement et remplacement partiel ».
Un devis est établi qui prévoit 20 feuilles de zinc, 1500 ardoises, 50 feuilles tôle galvanisé.
Les dépendances de Dulamon sont aussi touchées : le grand garage dans la cour du Luc a sa couverture en éverite hors d’usage ; la toiture d’une baraque où est installée une cuisine a été crevée par une grosse branche ; dans le hangar aux huit voitures, la moitié de la toiture en éverite est enlevée ; de nombreuses vitres ont été cassées et il faut tout remplacer.
Nouvelle alerte sur les dépenses engagées en août. Une autre organisation est prévue en espérant que cela aura pour conséquence d’éviter « les doublons » ou les dépenses inutiles ; « après démarches, la formation 45 937 à Dulamon veut bien tenir un carnet à souches pour les travaux commandés. Ce carnet est destiné à réduire le volume des travaux, les commandes ne partant que d’un seul bureau. Après entente avec les autorités allemandes, les attachements seront présentés chaque jour à la signature de la Kommandantur à Dulamon. Pour réduire d’avantage les dépenses au château Dulamon, j’ai fait transporter la baraque de l’entreprise de la S.A.C.E.R. hors du château. Cette baraque a été démolie et reconstruite dans le bourg sur un terrain appartenant au maire. »
1944. Un acte de piratage de la part des troupes allemandes en avril : « les autorités allemandes ayant fait brancher directement la canalisation du potager sur la conduite de la ville, je fais établir un bon de réquisition à la lyonnaise pour la pose d’un compteur. »
Le 7 septembre 1944, suite au départ des troupes allemandes, un état des lieux suivi d’un constat est établi avec le responsable municipal et M. Chevalier, architecte du propriétaire, et Maître Pierre, huissier du propriétaire. Des réparations conservatrices sont engagées pour boucher les fuites d’eau dans les baraques. Récapitulatif : frais travaux : 13 165 668 F.
« Dans ces dépenses ne sont pas comprises les factures d’entrepreneurs ayant travaillé à Dulamon avant octobre 1940, ni celles dont les factures n’ont pas été visées par moi. Ne sont pas comprises les sommes dépensées en main d’œuvre payée directement par la mairie », indique le secrétaire de la mairie.
Catherine Bret-Lépine et Henri Bret, Années sombres à Blanquefort et ses environs 1939-1945, pages 200-207, Publications du G.A.H.BLE, 2009.