La Famille Avril
La famille Avril n’a vécu à Blanquefort qu’une vingtaine d’années, mais son passage a laissé des traces dans la commune, une rue du centre-bourg porte le nom d’Edouard Avril, il s’agit d’Edouard-Marie Avril, le fils aîné d’Edouard Avril.
Origine de la famille d’Edouard Avril
La famille Avril est originaire du département de la Manche, Edouard Avril et son épouse Marie Duvard, sont tous deux nés à Saint-Pair-sur-Mer, où ils se sont mariés le 20 octobre 1836, il a 22 ans et la mariée, 16 ans. Au moment de son mariage, Edouard Avril exerce la profession de boucher à Granville avec son père, Pierre Nicolas Avril. Saint-Pair-sur-Mer et Granville sont proches, distants de seulement 6 kilomètres.
Le 1er enfant du couple est né le 19 février 1838 à Granville, puis la famille déménage et leur second fils, Eugène Prosper, naîtra à Paris dans le 6e arrondissement le 11 mai 1840.
Nous ne savons pas comment Edouard Avril, entre 1838 et 1864, passe du métier de boucher à celui d’entrepreneur de travaux publics et plus spécifiquement dans la construction de lignes de chemin de fer. Il est possible qu’il ait exercé l’activité d ‘entrepreneur de travaux publics dans la région de Nantes car un notaire de Nantes, maitre Guitton, était dépositaire de son testament.
La compagnie du chemin de fer du Médoc
La compagnie du chemin de fer du Médoc est fondée en 1864 et les travaux de la ligne du Médoc, de Bordeaux au Verdon, commencent en 1865, ils s’achèveront en 1875. Edouard Avril y est nommé entrepreneur des travaux, il y sera secondé par ses fils à la fin de leurs études d’ingénieur. La ligne Bordeaux-Le Verdon est ouverte par tronçon : Bordeaux-Macau (1868), Macau-Margaux (1869), Margaux-Moulis (1869), …. Lesparre-Soulac (1874), Soulac-Le Verdon (1875). Chaque inauguration de tronçon donne lieu à une cérémonie de bénédiction suivie d’un banquet. Pour le tronçon Lesparre-Soulac, le 2 août 1874, en marge du banquet officiel, messieurs Avril père et fils, entrepreneurs des travaux de la ligne, offrent aux ouvriers un banquet pour les remercier.
Propriétés à Blanquefort
Edouard Avril arrive en Gironde avec visiblement une certaine fortune puisqu’il achète 3 propriétés à Blanquefort en très peu de temps :
- Le 30 juillet 1864, le domaine du Béchon d’une superficie de 8 hectares 47 ares et 20 centiares, composé d’une maison de maître, des bâtiments d’exploitation, jardin potager, verger, terres labourables, vignes et prairie, à Alexandre Paillotte pour 42 000 francs, acte passé chez maître Bignon, notaire à Bordeaux ; Il est alors domicilié à Paris 6, passage Saulnier. Edouard Avril sera à l’origine de nombreux travaux pour restaurer la demeure.
- Le 12 octobre 1864, le domaine du Grand-Clapeau d’une superficie d’environ 32 hectares 53 ares 47 centiares, consistant en maison d’habitation, bâtiments d’exploitation, cuvier, chais, hangars, remise, écurie, étables, bâtiments de métayer et autres dépendances, cour, agréments, vivier, jardins, vignes, terres, prairies et autres nature de fonds à la famille Aviragnet pour 75 000 francs chez Maitre Bignon, notaire à Bordeaux.
Il effectue de nombreuses acquisitions ou échanges de terres entre 1865 et 1878 pour agrandir le domaine du Grand-Clapeau. - Le 28 août 1866, le domaine de Tanaïs est adjugé à Edouard Avril par le tribunal de 1ère instance de Bordeaux, des héritiers Changeur, pour le prix de 96 500 francs. Son fils Eugène y fera des dépenses considérables pour restaurer la maison principale et construire des chais.
Le 9 juin 1872, son fils cadet Eugène achète le domaine Dasvin-Bel Air d’une contenance de 14 hectares environ, consistant en bâtiments d’habitation et d’exploitation, avec cour, jardin et vignes à Pierre Gustave Laguens, pour 15 000 francs, chez maître Bourdeaux, notaire à Blanquefort.
En quelques années, la famille Avril devient un des grands propriétaires de Blanquefort. Mais outre ces propriétés, ils possèdent des terrains, une villa à Soulac, des actions de la compagnie de chemin de fer du Médoc, …
Les deux fils d’Edouard Avril
Les 2 fils d’Edouard Avril, ingénieurs civils, sont associés à leur père dans la construction de la ligne de chemin de fer du Médoc. Et tous les deux s’impliquent dans la vie locale par des mandats de conseiller général, maire, ou conseiller municipal.
- Edouard Marie Avril a fait l’école centrale à Paris promotion 1864, ingénieur architecte, constructeur du chemin de fer. Il se marie le 30 mars 1882 à 44 ans avec Marie Pléneau appelée en famille Noémie, 33 ans originaire de Soulac-sur-Mer, elle a un enfant âgé de 13 ans. Le père de Marie Pleneau était douanier au port du Verdon. Ils se sont vraisemblablement rencontrés à Soulac-sur-Mer où Edouard Marie ainsi que les parents de Marie Pléneau avaient une villa. Edouard Marie Avril et Marie Pléneau n’auront pas d’enfant.
Il est élu au conseil municipal de Blanquefort en 1871, 1874, 1878 et 1884 sous les mandatures d’Amédée Tastet et Jean-Baptiste Cavalié.
A la mort de son père, il hérite en 1880 du domaine de Béchon. Il meurt le 8 octobre 1888 au château de Béchon à Blanquefort, ses obsèques sont civiles à sa demande, il est enterré dans le cimetière de Blanquefort.
Par testament olographe, du 4 août 1888, il cède à la commune de Blanquefort la nue-propriété de tous ses biens meubles et immeubles, dont le domaine du Béchon, avec pour condition de fonder une école d’agriculture et d’horticulture, et d’entretenir à perpétuité sa tombe au cimetière communal. L’usufruit et la jouissance de ces mêmes biens revenant à son épouse, Marie Avril née Pleneau
Après une entente avec Marie Avril née Pleneau, officialisée par 3 contrats d’échange-partage passés chez maitre Dicks-Dilly le 22 mai 1896, la commune de Blanquefort, dont le maire est Jean-Baptiste Cavalié, entre en possession du domaine du Béchon estimé à 40 000 francs et de différents terrains à Blanquefort, Bruges et Bordeaux.
Il lègue également à différentes personnes différents biens :
- A chacune de ses 2 nièces 200 actions de la compagnie du chemin de fer du Médoc qui ne seront remises qu’après le décès de son épouse qui en garde l’usufruit.
- A ses cousins Edouard et Marie Duvard, une propriété dite de la Hyette située à Saint-Michel-des-Loups, dans la Manche et une somme de 10 000 francs.
- 10 actions de la compagnie du chemin de fer du Médoc à plusieurs de ses employés de la compagnie du Médoc : Emile Grossel mécanicien, Janvier Lassalle mécanicien, Blanchet chef de train, Lemoine dit job ancien chef de chantier.
- Et 2 000 francs au valet de chambre qui le soignera jusqu’à sa mort.
Sa tombe est de nos jours fleurie à la Toussaint par Bordeaux-Métropole et l’école d’agriculture, viticulture et horticulture a fini par voir le jour le 20 juillet 1923 au Béchon après avoir servi 2 ans de centre de rééducation pour les mutilés agricoles de la guerre 14-18, de nos jours le Béchon est un lycée d’enseignement général, technologique et professionnel agricole, il est sous la tutelle directe du ministère de l’Agriculture.
Article de La Petite Gironde du 11 octobre 1888
" Aujourd’hui ont eu lieu à Blanquefort les obsèques civiles de M. Edouard Avril, ancien conseiller municipal.
Dès neuf heures, des voitures de Bordeaux amenaient un grand nombre d’amis du défunt, la cour du château Béchon était déjà remplie par les habitants de la commune.
A neuf heures et demie, le cercueil a été descendu de la chambre mortuaire, le bataillon scolaire lui a présenté les armes et le cortège s’est mis en marche.
Les cordons du poêle étaient tenus par MM. Viton, Dircks-Dilly, etc.
Après la famille, qui conduisait le deuil venait le conseil municipal, ayant à sa tête M. Cavalié, maire général de Blanquefort ; M. Delboy, conseiller général du 6e canton de Bordeaux.
Le bataillon scolaire formait la haie et ses clairons et tambours faisaient entendre les sonneries et les roulements de deuil.
Les sociétés de secours mutuels suivaient les autorités. Puis venaient un millier de personnes arrivées de Bordeaux, de Blanquefort et des environs.
Au cimetière, après la famille, M. Delboy s’est avancé aux bords de la tombe : au nom des amis politiques du défunt, il lui a adressé un dernier adieu. »
Cimetière de Blanquefort tombe d’Edouard Marie Avril, 5 novembre 2021
- Eugène Prosper Avril, ingénieur civil, se marie le 16 janvier 187 à Paris, à 31 ans, avec Irène Moreau,19 ans, native de la Nièvre. Le père de la mariée est entrepreneur de travaux publics tout comme le père du marié. Eugène reçoit en dot, de ses parents, le domaine de Tanaïs. Ses 2 enfants, Marie Marthe et Madeleine Rachel naissent à Blanquefort au château de Tanaïs respectivement les 23 août 1874 et 30 août 1878. Il est élu conseiller général du canton de Blanquefort dans les années 1870-1874,membre de la commission des routes, puis maire de Soulac de 1881 à 1883.
Au décès de son père, en 1880, il hérite du domaine de Grand-Clapeau. Il décède dans son domaine de Tanaïs à Blanquefort, le 2 août 1884. A sa mort il laisse une veuve et deux filles, âgées de 6 et 10 ans. Ses obsèques ont lieu à l’église de Caychac, inhumé à Blanquefort dans le caveau familial. A ce jour je n’ai pas retrouvé ce caveau familial où, sans doute, ses parents sont également présents.
Article de la Petite Gironde du 6 août 1884
« Les obsèques de M. Eugène Avril, ingénieur civil, ancien conseiller général du canton de Blanquefort, ancien candidat aux élections législatives de l’arrondissement de Lesparre, ancien maire de Soulac, décédé dans son domaine de Tanaïs, à Blanquefort (Médoc), ont eu lieu hier matin lundi, à neuf heures et demie, au château de Tanaïs.
Dès sept heures, des voitures en grand nombre stationnaient place de la comédie à Bordeaux ; plus de cinquante landaus de la maison Fitte ont conduit les invités au domaine du défunt. De toutes les parties les plus éloignées du Médoc les trains avaient amené à la gare de Blanquefort une foule considérable désireuse de venir rendre les derniers honneurs à celui qu’une mort prématurée avait enlevé à l’amitié de tous et à l’affection de sa famille.
A neuf heures et demie, la vaste cour du château de Tanaïs était déjà insuffisante pour recevoir les nombreux amis qui avaient répondu à l’appel de la famille.
Le corps avait été exposé dans une chapelle ardente, sous la marquise du château. Le clergé de Cachac était au grand complet. Le cercueil porté sur un brancard et recouvert d’un drap mortuaire en velours noir et blanc, disparaissait sous des couronnes de fleurs.
Le deuil était conduit par MM. Edouard Avril, ingénieur architecte, frère du défunt, Moreau, chevalier de la légion d’honneur, entrepreneur de travaux publics, beau-frère du défunt ; Tassin, député de Loir-et-Cher, son beau-frère, et par quelques autres membres de la famille.
Puis venait le personnel des domaines de Tanaïs, du grand Clapot et de Bel-Air, propriétés du défunt.
Les cordons du poêle étaient tenus par MM. Cavalié, maire de Blanquefort ; Bouit, chef de l’exploitation de la compagnie du Médoc ; Couteau, banquier de Lesparre, et Lafon, ancien juge de paix de Blanquefort.
Dans le cortège qui se prolongeait sur une étendue de plus d’un kilomètre et demi, on remarquait une grande partie des maires des communes comprises entre Bruges et Le Verdon. Nous avons remarqué entre autres MM Fortuné Beaucourt, maire de Margaux ; Dèze, premier maire de Soulac ; une délégation de cette commune ; tous les employés supérieurs et les chefs de service de la compagnie du Médoc ; beaucoup de propriétaires du Médoc, enfin les représentants de la presse républicaine de Bordeaux.
La cérémonie funèbre a eu lieu à l’église de Cachac, section de Blanquefort. Elle s’est terminée à midi et demi, et le cortège s’est rendu au cimetière de Blanquefort, où l’inhumation a eu lieu dans le caveau de la famille.
En son nom personnel, comme ami du défunt, M. Ferdinand Técheney a prononcé sur la tombe quelques paroles émues, où il a rappelé la vie de dévouement et de labeur du regretté Eugène Avril. »
Décès et successions
Les parents et les deux fils vont mourir en l’espace de 8 ans :
- Edouard, le père, le 1er avril 1880 à 65 ans au domaine du Béchon,
- Marie, la mère, le 12 janvier 1882 à 61 ans à Paris,
- Eugène Prosper, le fils cadet, le 2 août 1884 à 44 ans au domaine de Tanaïs,
- Edouard Marie, le fils aîné, le 8 octobre 1888 à 50 ans au domaine du Béchon.
Plusieurs dispositions prises dans les testaments du père et du fils aîné, ainsi que la contestation du testament d’Edouard-Marie par sa belle-sœur, Irène Avril née Moreau, au nom de ses filles laissent supposer des tensions entre Edouard-Marie Avril d’une part et son père et son frère cadet d’autre part. Il est possible que la relation d’Edouard-Marie Avril avec une femme ayant un enfant de père inconnu soit à l’origine de cette discorde. Coïncidence ou pas, le mariage d’Edouard-Marie avec Marie Pleneau est prononcé juste après le décès de ses 2 parents, le père meurt en 1880, la mère en janvier 1882 et le fils aîné se marie en mars 1882.
Le père, Edouard Avril, dans son testament du 18 juin 1879, prend des précautions pour éviter toute contestation de son fils aîné, Edouard-Marie, sur le montant des biens légués à son fils cadet Eugène.
« J’ai constitué en dot à mon fils Eugène par son contrat de mariage le domaine du Tanaïs auquel j’ai donné une estimation de deux cent mille francs représentant sa valeur réelle d’alors. Depuis, mon fils a fait des dépenses considérables en restauration de la maison principale, construction des chais et surtout en plantations nouvelles de vignes. Or, il ne serait pas juste que mon fils Eugène fît le rapport à ma succession de plus-value qui est le résultat d’impenses faites par lui de ses deniers propres.
La loi pourvoit bien à cette situation (article 861 du code civil) mais son application en pourrait être très difficile, car Eugène Avril serait sans doute dans l’impossibilité de justifier de toutes les dépenses qu’il a faites ?
Aussi pour éviter que mon fils Eugène ne soit lésé dans les partages je veux qu’il ne soit pas tenu de faire le rapport en nature du domaine que je lui ai donné, mais seulement le rapport en mains prenant de la somme de deux cent mille francs, valeur réelle de ce domaine, non compris la plus-value résultat des impenses faites par le donataire.
Et si son frère Edouard contestait cette disposition, toute de justice, s’il réclamait contre ma volonté, une estimation du Tanaïs et que le résultat de l’estimation fût d’élever le montant du rapport à plus de deux cent mille francs, je fais lègue à Eugène par préciput et hors part, mais pour ce cas seulement, de la différence. »
De son côté Edouard Marie, dans son testament du 4 août 1888, précise que seule sa femme pourra le rejoindre dans son caveau, ce qui semble ne pas être le cas d’ailleurs, nous ne savons cependant où et quand est décédée Marie Pleneau : Soulac-sur-Mer ? Bordeaux ? Saint-Jean-de-Luz où son fils s’est marié en 1915 et où il décède en 1949 ?
Les actions en justice pour contester le testament d’Edouard-Marie par sa belle-sœur, Irène Avril née Moreau, tutrice légale de ses 2 filles, Marie Marthe et Rachel Madeleine, est un autre élément tendant à prouver des désaccords. Le tribunal civil de Bordeaux en date du 15 décembre 1890 atteste de la validité du testament, mais d’autres procédures judiciaires sont intentées, toutes sans effet.
Les veuves des 2 frères ne resteront pas vivre à Blanquefort après la liquidation des biens de leurs époux.
Les domaines seront vendus successivement au tribunal de 1ère instance de Bordeaux :
- le domaine de Bel Air le 8 mars 1886 à Maurice Feydit
- le domaine de Tanaïs le 1er avril 1886 à Jean Léglise,
- Grand-Clapeau, après de longues procédures, le 10 décembre 1895 à Pierre Perrin, également entrepreneur de travaux publics.
NB : Paul Pléneau, le fils de Marie Pléneau, a eu une vie très riche et mouvementée, qui passe du pôle Sud, avec une expédition du docteur Charcot, à Moscou à la tête d’une usine de parfumerie puis de production d’explosif. Pour en savoir plus, lire l’article « Jean dit Paul Pléneau » (1869-1949) dans les Cahiers Méduliens, N° 65 de juin 2016 écrit par Michel Aka de la SAHM.
Sources : Archives départementales de la Manche, de la Gironde (3E 34067, 3E 34099, 3E 34105, 3E 50198, 3E 50199, 3E 61105, 3E 62507, 3U 1088, 3U 2510, 3U 2719, 3U 2880); archives Bordeaux-Métropole (état-civil, 1D 15, 1D 16) ; Le chemin de fer du médoc de Lucien Chanuc.
Recherches et texte Martine Le Barazer, février 2024.
Pour compléter sur la famille Avril consulter également sur ce site les articles dans la commune de Blanquefort :
catégorie Histoire / sous-catégorie histoire contemporaine : rééducation des mutilés au Béchon
catégorie Patrimoine / sous-catégorie bâti : domaine de Béchon, château Clapeau, château Tanaïs, domaine Bel-Air.