Jules Typhon, curé d’Eysines de 1870 à 1888

Nous avons, à plusieurs reprises, au cours de nos différentes recherches concernant la vie de notre commune dans la seconde moitié du XIXe siècle, retrouvé le nom de Jules Tiphon.
Nous nous sommes donc intéressés de plus près à ce personnage et au rôle qu’il a joué à Eysines pendant un peu plus de quinze ans.

Ses origines, sa famille, ses « débuts »

Sources : archives départementales (état civil / cadastres), archives du diocèse.

Jean Jules Tiphon est né le 9 avril 1828 à Lamothe-Landerron, en Gironde. Il est un des nombreux enfants de Claude Tiphon et Denise Mouchet, mariés à Lamothe-Landerron le 11 octobre 1813. Claude est alors désigné comme agriculteur, plus tard il sera mentionné géomètre. En fait, les Tiphon sont, semble-t-il, des propriétaires suffisamment aisés pour assurer les études de leurs fils, le mariage de leur fille avec un fils de géomètre … Nous retrouverons cette même aisance financière chez Jules (construction de sa maison, don de vitraux à l’église, dons aux écoles religieuses…).

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La fratrie, telle que nous avons pu la reconstituer, se compose ainsi :

Catherine, née le 7 septembre 1814 et décédée le 31 janvier 1815 à l’âge de 5 mois.
Jean Augustin, né le 28 août 1815 et décédé le 22 novembre 1899.
Catherine, née le 17 novembre 1819 et décédée le 19 mars 1864.
Claude et Jean, nés le 19 février 1823. Claude est décédé le 3 juin 1849.
Claude Désir et Jean Jules, nés le 9 avril 1828 et décédés respectivement le 13 novembre 1886 et le 29 août 1889.

On remarque donc que, parmi les enfants, figurent deux fois des jumeaux. Enfin, trois des frères embrassent une carrière religieuse. En effet, dans le nécrologe établi par l’abbé Veissier (J.C. Veissier fut responsable des archives de l’archevêché de Bordeaux), figurent trois abbés Tiphon :

Jean Augustin Tiphon, né le 28/08/1815 à Lamothe-Landerron, ordonné en décembre 1840 à Bordeaux. Il fut nommé vicaire à Lormont en janvier 1841, en janvier 1848 desservant à Gans, puis en 1851 desservant à Camiran, en février 1854 curé-doyen à Sauveterre, en février 1875 curé archiprêtre de La Réole, enfin le 14 juin 1881 chanoine honoraire. Il décède le 23/11/1899 à Lamothe-Landerron. (Cf. l’Aquitaine 1899).
Claude Désir Tiphon, né le 09/04/1828 à Lamothe-Landerron, ordonné le 22/12/1851 à Bordeaux. Il est nommé le 01/01/1852 vicaire à Ste Croix de Bordeaux, le 01/07/1861 vicaire à Saint-Louis de Bordeaux, le 01/011869 desservant du Taillan, et le 25/04/1881 vice-archiprêtre. Il décède à Eysines chez son frère Jules, le 13/09/1886. (Cf. l’Aquitaine, 1886, p. 594)
Et enfin, Jean Jules Tiphon, né le 09/08/1828 à Lamothe-Landerron. Auquel nous nous intéressons plus précisément.

Jean Jules Tiphon est ordonné le 26 décembre 1851 à Bordeaux. Le 14 janvier 1852, il est nommé vicaire à Saint-Eloi (de Bordeaux) puis le 3 janvier 1861 à Notre Dame (de Bordeaux). Le 25 juin 1870, il devient desservant à Saint Selve et fin 1870, il est curé d’Eysines (le 25 avril 1881, il est vice-archiprêtre). (Cf. la Revue Catholique de Bordeaux 1889).

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Jules Tiphon, curé d’Eysines

Sources : archives municipales (délibérations du conseil municipal / cadastres …)

À l’époque où Jules Tiphon devient curé d’Eysines, la nouvelle église (l’église actuelle) est terminée depuis une dizaine d’années mais le problème du presbytère n’est pas résolu. En effet, l’ancien presbytère, situé près de l’ancienne église sur l’actuelle place du 4 septembre, est jugé inhabitable et des projets pour construire un nouveau presbytère près de la nouvelle église sont évoqués. Cependant, la municipalité affirme ne pas avoir les moyens de financer cette construction.

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Signature de Jean Jules Tiphon (bas de son testament olographe photo document AD n° 3 E 59796).

Aussi, de nombreux échanges cités dans les délibérations du conseil municipal montrent que les relations semblent parfois difficiles entre la municipalité et le curé.  Le problème de l’indemnité de logement demandée par Jules Tiphon revient à plusieurs reprises de 1877 à 1885 : elle est acceptée à un moment puis refusée à un autre …

Le 12 août 1877, il est fait mention d’une lettre du curé demandant une indemnité de logement car il a quitté le presbytère en raison, semble-t-il, de son état. Le conseil note : « M le curé refuse catégoriquement de donner la clé du presbytère s’opposant ainsi à toute réfection ».

Toujours au mois d’août, la commune après obtention des clefs du presbytère va faire un inventaire et estimer les réparations ; on constate que les garnitures intérieures, les armoires, les boiseries scellées aux murs ont été enlevées et peut-être vendues (Vote de 880 francs pour réparations).

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Plan de l’ancien presbytère, actuellement place du 4 septembre (photo AD n°2 O 1642).

Le 11 novembre 1877, une indemnité de logement de 500 francs est accordée au curé Tiphon.
Le 9 décembre 1879 et le 2 juillet 1882 : la demande d’indemnité de logement du curé est refusée.
En octobre 1884, on apprend que le curé a tenté une action auprès de la préfecture pour obtenir son indemnité de logement.
Le 22 mars 1885, le conseil accepte une indemnité de logement de 425 francs pour le curé.

La construction de sa maison…

Sources : archives départementales (actes notariés).

En 1880, Jules Tiphon et son frère Désir achètent un terrain près de l’église, comme en témoigne le document suivant.

Le 17 avril 1880, vente de M. Barrière Elie Théophile à MM. Typhon Jules et Désir(acte chez M° Rabion, notaire à Bordeaux, AD n° 3E 64618) ont comparu M. Elie Théophile Henri Barrière propriétaire et son épouse Suzanne Granier , demeurant 89 rue David Johnston à Bordeaux,
Ont vendu à MM. Jules Tiphon prêtre et curé d’Eysines où il demeure et Désir Tiphon, prêtre et curé du Taillan où il demeure, acquérant conjointement et pour moitié entre eux une parcelle de terrain en nature de pré de la contenance de 1 180 m² environ sise au-dessus du Bourg, cette parcelle a forme d’un carré long …

 

Sur ce terrain, Jules Tiphon fait construire une maison qui est vendue en 1889 par ses héritiers à Yves Argillos. L’acte de vente nous permet de préciser la description de ces biens.

Le 8 novembre 1889, vente de M. Jean Augustin Tiphon et de Mlle Catherine Noémie Tiphon à M. Yves Argillos (acte chez M° Cayx, notaire à St Médard, AD n° 3 E 45948) ont comparu M. Jean Augustin Tiphon curé et archiprêtre de La Réole, demeurant à La Réole 
Melle Catherine Noémie Tiphon sa sœur, célibataire sans profession, demeurant à Lamothe Landerron vendent à M. Yves Argillos, appelé en famille Sylvain, propriétaire et jardinier demeurant à Lescombes… une maison construite en pierres et couverte en ardoise, composée d’une cave, un rez-de-chaussée et un premier étage avec petite construction au Nord et attenante et un jardin attenant et entourant ladite maison, le tout occupant une superficie approximative de 11 480 m², situé dans la commune d’Eysines au-dessus du Bourg…

Origine : M. Jean Augustin Tiphon et Mlle Catherine Noémie Tiphon étaient propriétaires desdits immeubles actuellement vendus dans la succession de Jean Jules Tiphon, leur frère en  son vivant prêtre et ancien curé d’Eysines ayant demeuré à Eysines, puis à Lamothe Landerron où il est décédé le 23 août 1889 et duquel ils étaient légataires universels en vertu du testament olographe de ce dernier fait à Eysines le 15 décembre 1888, présenté à M. Alexandre Nadeau, juge au tribunal de 1ère Instance de La Réole… ainsi que le dit l’ordonnance rendue par M. Nadeau le 5 octobre 1889.

Le même immeuble appartenait audit Jean Jules Tiphon.

Le terrain : une moitié pour avoir été acquise conjointement avec Claude Désir Tiphon, son frère, curé du Taillan où il demeurait , de M. Elie Théophile Henri Barrière suivant contrat devant M° Rabion notaire à Bordeaux le 17 avril 1880 et l’autre moitié pour l’avoir recueilli en qualité de légataire universel dans la succession de Claude Désir Tiphon, décédé à Eysines le 13 septembre 1886, en vertu du testament olographe fait au Taillan le 11 mars 1876 chez M° Rabion, suivant acte reçu le 9 novembre 1876 en vertu d’une ordonnance de M. le Président du Tribunal de Bordeaux en date du 29 octobre 1886, ledit légataire est venu en possession de son leg le 18 décembre 1886.

Acte notarié après le décès de Claude Désir Tiphon chez M° Rabion le 9 novembre 1886.

Les constructions : pour avoir été édifié par ledit Jean Jules Tiphon… sans principe d’architecte ni entrepreneur.

 Le terrain sur lequel ont été édifiés ces constructions avait été acquis antérieurement par MM. Jean Jules Tiphon et Claude Désir Tiphon, conjointement pour moitié entre eux de M. Elie Théophile Henri Barrière, propriétaire et négociant et de Melle Suzanne Granier, son épouse, demeurant ensemble à Bordeaux 83 rue David Johnston suivant contrat chez M° Rabion le 17 avril 1880.

 

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La façade et l’arrière de la maison de Jules Tiphon, état actuel (photos Connaissance d’Eysines).

Le projet d’achat de cette maison

Le projet d'achat par la municipalité pour en faire le presbytère …

Sources : archives municipales (délibérations du conseil municipal).

De 1886 à 1888, plusieurs délibérations du conseil municipal mentionnent le projet d’achat de la maison du curé Tiphon pour en faire le presbytère. Ainsi le 14 novembre 1886 où il est précisé que ce projet est envisagé sur sa proposition…

Le 17 avril 1887, le conseil décide d’emprunter 4 000 francs avec 3 centimes extraordinaires pour payer les intérêts, pour l’achat de la maison du curé Tiphon.
Cependant, le 27 mai 1888, il est noté que pour l’achat de la maison du curé Tiphon, l’opinion publique est contre.
La vente de la maison en 1889 marque la fin de ces tractations et dans les années 1895-1896 un nouveau presbytère est construit.

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L’église et la maison construite par Jules Tiphon (collection Guy Michelet).

Ses prises de position, ses interventions

Ses prises de position et ses interventions en faveur des écoles religieuses dans la commune …

Source : archives du diocèse.

À travers de nombreuses lettres adressées à l’archevêque, nous constatons que le curé Tiphon intervient directement et à plusieurs reprises en faveur de la classe tenue par les Frères pour les garçons d’une part et de l’ouverture d’une classe pour les filles d’autre part.

  • Le 30 août 1876, lettre du curé Tiphon à l’archevêque : « ……. Les frères resteront à Eysines. Après nos instances si fortement appuyés par votre lettre, le supérieur a consenti à ne pas les retirer… »
  • Le 22 novembre 1876, lettre du curé Tiphon à l’archevêque : « L’ouverture d’une classe à Lescombes pour les filles me parait nécessaire. … les sœurs y sont désirées. La maison de l’institutrice communale est insuffisante pour l’école et salle d’asile. On s’en plaint beaucoup. J’empêcherai ainsi ou retarderai indéfiniment la construction d’une nouvelle école et salle d’asile à presque 1 km de l’église sur un terrain de 1 000 à 1 100 m de superficie. Je n’ai plus rien à attendre de l’institutrice communale dont je suis fort mécontent. Je supplie votre Eminence d’obtenir de la Supérieure du Bon Pasteur 1 ou 2 sœurs pour l’œuvre de Lescombes. La Supérieure du Vigean se chargerait volontiers d’organiser cette nouvelle charge. Je veillerai moi-même à ce que tout se passe bien… »

Il n’hésite pas non plus à soutenir financièrement ces écoles.

Le 23 novembre 1876, dans une lettre à l’archevêque, le curé Tiphon fait un rapport sur les dépenses de l’école des frères :

1/ dépenses immédiates : Mobilier pour 3 frères : 1 000 francs, mobilier pour le nouveau venu au Vigean : 600 francs, réparation de la maison : 200 francs

  • Total de 1 800 francs, M. Le Curé donne 1 000 francs et les 800 francs seront fournis par des souscriptions

2/ dépenses au cours de l’année : traitements des 3 frères : 2000 francs, traitement du 4ème frère : 600 francs, récompenses et distribution de prix : 200 francs, location de la maison d’Eysines : 400 francs, location de la classe du Vigean : 100 francs, entretien des 2 maisons et classes :200 francs

  • Total de 3 500 francs, M le curé donne 600, M Barrière donne 600, recette de l’école d’Eysines 600, recette de l’école du Vigean 400, la location de la maison d’Eysines par souscription ainsi que le loyer de la classe du Vigean, il ne manque que 800 francs pour l’année en souscription.

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L’école du couvent du Bon Pasteur du Vigean se situe au rez-de-chaussée de la maison haute (photo Connaissance d’Eysines.)

Enfin, il multiplie les requêtes lorsque se pose le problème du maintien de l’école des Frères en raison des effectifs, de l’inadaptation des locaux …

Entre 1872 et 1876, nous avons retrouvé aux archives municipales (1R5), les déclarations suivantes d’ouverture pour la classe des frères.

Le 23 août 1872 : ouverture d’une classe, au bourg dans la maison de M. Lafon, demande faite par M. Forestier.
Le 30 juin 1873 : succession de la classe de M. Forestier, au bourg dans la maison de M. Lafon, demande faite par M. Barbut Louis Charles Basile, frère du Sacré Cœur.
Le 1 avril 1876 : succession de la classe de M. Barbut Louis Charles Basile, au bourg dans la maison de M Lafont, demande faite par M. Bonnet Jean Pierre.
Le 10 octobre 1876 : succession de la classe  de M Bonnet Jean Pierre, au bourg dans la maison de M. Lafon, demande faite par M. Cornut Augustin.
Le 20 août 1877, lettre du frère Norbert (écrite depuis la Maison de Paradis près de Le Puy) à M. le Curé d’Eysines : «… je ne puis taire que l’école des frères, dans les conditions où elle se trouve depuis ses commencements ne saurait être maintenue plus longtemps sans de graves inconvénients pour nous… Eysines n’a pas une population suffisante d’enfants pour alimenter 2 écoles et la majorité des habitants tient à conserver son école laïque  ainsi que le prouve les faits, il ne nous reste donc qu’à nous retirer…. ».

Le 26 août 1877, lettre du curé Tiphon à l’archevêque : « Ne pouvant me faire à l’idée du départ des frères… recourir à de nouvelles instances auprès du Supérieur de leur Institut pour le déterminer à ne pas fermer notre école… Elle me confirme dans la conviction où j’étais depuis 2 ans que la maison-mère ne tenait pas à maintenir l’école d’Eysines… ».

Le 8 novembre 1877, lettre du curé d‘Eysines Jules Tiphon à l’archevêque :« Je regrette vraiment de n’avoir à communiquer à votre Eminence, qu’une réponse négative du Supérieur de Ploërmel. Dois-je pour cela désespérer ? Ce que le Supérieur de Ploërmel ne nous a pas accordé, ne pourrais-je l’obtenir du Supérieur de la Maison de Lavacan près d’Auch, par M de Langalerie ? J’écris à cet effet… et vous demande de la recommander… entretenir dans ma paroisse le désir et l’espoir du rétablissement des frères… Je préparerai dans cette vue une maison plus convenable… à offrir à de nouveaux venus ».

Cependant, l’école des frères ne peut se maintenir…

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Le testament de Jules Tiphon et la sépulture de la famille à Lamothe-Landerron (photos Connaissance d’Eysines).

Conclusion 

En décembre 1888, Jules Tiphon se retire chez lui à Lamothe-Landerron où il décède le 28 août 1889. Il a laissé outre ses nombreuses lettres, une trace matérielle dans l’église d’Eysines en finançant avec son frère Désir deux vitraux : il s’agit d’un groupe de deux vitraux hauts situés dans la nef sur le bas-côté gauche ; ils représentent Saint Médard et Saint Hilaire et sont datés de 1873.

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 Eglise d’Eysines : à gauche Saint Médard don de Jules Tiphon, à droite Saint-Hilaire don de Claude Tiphon (Photos Connaissance d’Eysines).

 

Il a donc joué un rôle important dans la vie de la paroisse pendant presque vingt ans, à un moment où de nombreux changements se produisaient dans la société et où les rapports de l’église et du pouvoir laïque se redéfinissaient.

Texte extrait du blog de l’association Connaissance d’Eysines, 3 juillet 2020, Elisabeth Roux et Marie-Hélène Guillemet.