Les curés 

 

Pas plus que pour les maîtres en chirurgie, on ne possède la liste des curés de la paroisse. Quelques noms ont été recueillis au cours des recherches faites à propos de ce travail mais cette liste est très incomplète, les archives diocésaines contiennent certainement bien d'autres renseignements.

On ne trouve aucun nom de curé avant 1305 bien que la paroisse existât longtemps auparavant. Cette année, il est fait mention d'Arnaud de Saint-Médard, chapelain de Saint- Médard, qui devait avec d'autres personnes 50 livres cinq sous à Édouard II (soit 1 005 F or). S'agit-t'il de notre Saint-Médard ?

Dans la délégation envoyée à l'archevêque à propos de la réconciliation du cimetière de notre paroisse, en 1339, figure maître Daniel de Bellanguey, prêtre. C'était probablement le curé de la paroisse. Un Bellanguey existait encore dans Saint-Médard au XVIIIe siècle.

En 1492, Maître Jean de Brosseronde possède la cure de Saint-Médard ; 12 ans plus tard, il est archiprêtre de Moulis et recteur de Rions, sur la rive droite de la Garonne, en amont de Bordeaux. Puis en 1552, Dabathe, titulaire de la cure, a un différend avec le chapitre de Saint-Seurin au sujet de la dîme de Gajac.

En 1567, sous le Roi Charles IX, les ecclésiastiques furent obligés, pour subvenir aux besoins de 1'État, de donner une portion de leur temporel (Beaurein). Dans le règlement pour l'aliénation de 50 000 écus de rente des biens du clergé en Archiprebyter Sancti Médardi : un écu de rente (archives de l'Archevêché).

Un ami de Montaigne, Pierre de Brach, conseiller et secrétaire en la chancellerie de Bordeaux, fut archiprêtre de Saint-Médard en 1588. Trente ans plus tard, le curé (dont on ne donne pas le nom) devait s'absenter bien souvent puisque l'archevêque lui intime l'ordre de résider. Ce curé était en même temps trésorier de Saint-André.

À la fin du XVIIe siècle, maître Pierre Montmand, docteur en théologie, est archiprêtre de Saint-Médard. Il mourut en 1709 à 1'âge de quatre-vingts ans, il fut inhumé dans le « presbytère » de l'église (le chœur actuel). On le qualifie d'ancien curé de Saint-Médard dans l'acte de sépulture, ce qui fait supposer qu'il était dans l'impossibilité d'assurer son service depuis quelques temps pour cause d'infirmité. En effet, son successeur Jean Bouyé était curé depuis 1703 puisque son acte de décès mentionne « qu'il a fait le service de la paroisse pendant trente-cinq ans avec zèle et charitablement » (octobre 1738). Pendant de longues années, il avait eu un vicaire du nom de Lombrégot. Par testament du 28 octobre 1738, Bouyé légua à la fabrique de Saint-Médard un pré situé dans la grande palu de Blanquefort et une pièce de bois taillis à Tyran (probablement le bois de Mons) ; en outre, il légua diverses sommes d'argent à ses parents. Lui-même évalue sa succession à 4 500 livres. Resplaudy Théodore, du diocèse de Toulouse, était déjà curé en 1745 puisqu'il eut un différend avec Joseph de la Salle au sujet de la dîme, cette même année. Il résida à sa cure en 1774. Sa signature est apposée pour la dernière fois sur les registres le 31 mai, accompagnée de la mention « ancien curé ».

Linars, qui avait été le vicaire de Resplaudy, lui succéda en qualité de curé car il signe comme tel à partir du 22 avril 1774. Ce fut le dernier curé de l'Ancien Régime. Est-ce lui qui fit reconstruire le presbytère ? Est-ce au contraire Resplaudy ? Aucun document connu ne permet de se prononcer sur ce point. Les renseignements suivants sur Linars sont postérieurs à 1790 et comme tels sortant du cadre de ce travail, néanmoins on a cru devoir les y insérer parce qu'ils donnent quelques indications sur une période de notre histoire locale complètement inconnue. Linars prête serment à la Constitution Civile du clergé selon la formule : « Je jure de veiller avec soin sur les fidèles de la paroisse qui m'est confiée, d'être fidèle à la nation et de maintenir de tout mon pouvoir la Constitution décrétée par l'Assemblée Nationale et acceptée par le Roi. » Conformément à cette constitution, Linars avait été élu curé de la paroisse par les électeurs de Saint-Médard tout comme ils avaient élus le maire et la municipalité. 189 curés du diocèse refusèrent de prêter serment.

Le 11 avril 1792, Linars inscrit sur le registre des sacrements de mariage « pour y recourir en tant que de besoin » le mariage civil de Jean Abel Bavur, fils de feu Pierre Bavur et de Marie-Antoinette Balguerie avec Anne Delap, veuve d'Alexandre Nairac, fille majeure et légitime de feu Samuel Delap et de Barbe Repp, tous habitants de Bordeaux. « Les particules ont déclaré avoir fait entre elles les articles de mariage en date du un courant par lesquels ils se sont promis et juré de se prendre l'un l'autre en mariage et voulant exécuter ladite promesse, ils nous ont requis et priés d'être témoins du mariage qu'ils se sont réciproquement donnés afin de vivre et passer ensemble toute leur vie comme mari et épouse. Ce à quoi ne trouvant aucun inconvénient et cela non contraire aux loys du Royaume qui déclarent le mariage aux yeux de la loy un contrat permanent civil, avons été témoins de leurs engagements réciproques et en avons fait acte dans nos registres de paroisse... en présence des seigneurs Pinek et Lartigue, négociants de Bordeaux, J. Mangé praticien, qui ont signé avec les époux et Linars curé. » Curieux cas de mariage civil auquel se prête Linars, bien que la municipalité de Saint-Médard constituée depuis deux ans soit en fonctions. Il est vrai qu'elle ne détient pas encore les registres paroissiaux qui ne lui furent remis par Linars que le 18 novembre suivant, en exécution de la loi du 20 septembre 1792. Est-ce pour cette raison que ce dernier inscrit le mariage sur ses registres ? Quoi qu'il en soit, cet acte de Linars de se prêter à mariage civil, le premier dans la commune, jette un jour sur sa mentalité et nous explique sa prestation de serment, ainsi que ses actes postérieurs. C'était incontestablement un « avancé », un adepte des idées philosophiques de Rousseau sur la suprématie du pouvoir civil. Comment se fait-il que ces personnes habitant Bordeaux se soient mariées à Saint-Médard ? La famille Balguerie possédait alors le domaine de Sans Souci à Sérillan et sans doute à l'occasion des séjours qu'elle y faisait Linars avait-il eu l'occasion de faire sa connaissance, bien qu'étant de religion protestante, tout comme les Bavur et les Nairac.

À partir de ce moment, à peu près tout ce qu'on sait de Linars provient de documents constituant un dossier remis par lui aux citoyens administrateurs du département de la Gironde en réponse aux mémoires des citoyens Roche, Eyquem et Lasserre et Fourton, agent national » (Archives départementales 4 2084).

Le 22 ventôse an II, tous les objets du culte (calices, ciboires etc.) ont dû être remis au district en conséquence de la suppression du culte. Nous voici au plus fort de la terreur. L'échafaud est dressé en permanence place Dauphine (Gambetta) à Bordeaux, les prisons regorgent de suspects. Le citoyen Barh, négociant à Bordeaux, commandant de la garde nationale de Saint-Médard, propriétaire à Corbiac, arrêté par le comité de sûreté générale, a été remis en liberté par la commission militaire de Bordeaux le 25 ventôse an II (15 mars 1794). Il a probablement laissé des plumes entre les mains de certains membres de cette commission comme ce fut le cas pour bien d'autres négociants. Enchanté de s'en être tiré à si bon compte, Barh donne une fête civique les 10 germinal an II (1er avril 1794). À 11 heures, le cortège composé de la Municipalité, précédée par la Garde Nationale suivie des autres convives, se met en marche en chantant l'hymne des Marseillais. Il suit le vieux chemin Gleysaou qui pénètre dans la Poudrerie actuelle à peu près au grand portail et se dirige vers Corbiac. Accueilli à l'entrée du village par des jeunes filles en vêtements blancs portant une guirlande de lauriers, le cortège gagne la petite place qui est au devant de la maison de Barh (actuellement maison Fougeroux, contigüe à la muraille de notre propriété). « Un arbre y avait été conduit, on l'entoura de la guirlande de lauriers, on y pose une pique avec le pavillon tricolore et cet arbre s'est élevé majestueusement en l'honneur de la liberté et aux cris mille fois répétés de « vive la République, vive la Convention Nationale ». L'arbre affermi, un citoyen a fait un discours sur les vertus morales et politiques qui caractérisent le vrai Républicain. Le discours achevé, on a dansé la Carmagnole autour de l'arbre de la liberté et dans le temps qu'on se livrait à toute la joie et gaieté champêtre, le curé Linars, citoyen de la commune de Saint-Médard-en-Jalles, qui a toujours prêché et donné l'exemple des vertus républicaines est monté sur une barrière et a demandé un moment de silence. Il ne lui était pas difficile de l'obtenir, tous les yeux étaient tournés vers lui, et il a dit : « Chers concitoyens, il est beau sans doute de voir les sentiments d'allégresse que vous manifestez à la vue de l'arbre sacré que nous venons d'élever à la liberté et à l'égalité, il est beau de vous entendre parler des vertus civiques mais cela ne suffit pas à de vrais républicains, il faut les pratiquer. La patrie exige des sacrifices pour combattre nos ennemis, notre commune n'est pas riche, joignons nos petits moyens aux efforts prodigieux que la ville de Bordeaux fait en ce moment pour la construction d'un vaisseau destiné à combattre les ennemis de la république. Que chacun vienne déposer au pied de l'arbre de la liberté nos offrandes, il sera très flatteur pour nous de procurer un cordage à ce vaisseau. Je n'ai point de fortune, vous le savez, cependant je dépose 50 livres pour acheter quelques clous. Ces paroles prononcées avec énergie ont électrisé tous les cœurs et ont été applaudies avec transport. Aussitôt, les citoyens Morel, membre de la commission militaire, Dorgueil, membre du comité de surveillance de Bordeaux, invités à la fête ont dit : nous ne sommes pas les habitants de cette commune et la pureté des sentiments qui l'animent nous fait désirer de lui appartenir ; à cette qualité, nous demandons de contribuer à ce don. Cet exemple a été suivi par tous les citoyens présents et dans l'instant on a recueilli 4 378 livres quinze sous. Ceci fait, on est entré dans la maison du citoyen Barh où un repas servi pour l'amitié était préparé. Jamais il n'y eut de fête plus agréable ni plus honnête. On y aperçut un citoyen de couleur, aussitôt l'assemblée se lève et il reçut l'accolade fraternelle de tous les citoyens et citoyennes. Après le repas on a dansé jusqu'à la nuit et chacun s'est retiré en criant : « Vive la république ». De tout quoi a été dressé procès-verbal pour, sur la motion de plusieurs citoyens, être envoyé la Convention Nationale, aux représentants du peuple séant à Bordeaux et au Club National. Signé : Laporte Maire, Ramond officier municipal, Dugay fils d'officier municipal, Montignac, Bérard agent national, Peyneau, Laserre, notables.

Pour copie conforme à l'original à Saint-Médard-en-Jalles, le 10 floréal An II de la République. Fournier Greffier.

L'exemplaire figurant au dossier Linars porte un sceau en cire rouge très bien conservé représentant une femme casquée, debout, tenant une lance à la main, autour la légende : municipalité de Saint-Médard-en-Jalles, République française. Les citoyens Morel et Dorgueil dont il est question faisaient partie des « missionnaires civiques » envoyés deux par deux par le Club National de Bordeaux en vue de « propager les principes révolutionnaires et républicains ». Morel, doreur rue Saint-Martin, fut nommé membre de la Commission militaire de Bordeaux avec le sanguinaire Lacombe par Tallien et Ysabeau ; Dorgueil fut accusé de nombreux vols d'argenterie, commis au cours des perquisitions chez des suspects (A.Viré, La Terreur à Bordeaux).

L'allocution de Linars, du moins ce que nous en rapporte le procès-verbal passait sous silence la situation intérieure du pays et disait exclusivement la politique extérieure. Elle est animée d'un sentiment patriotique très pur, on ne peut lui adresser aucun reproche, bien au contraire. Un peu plus tard, eut lieu une autre fête comme l'indique une note de l'inventaire du fonds révolutionnaire (Tome II page 185) : « Sur la demande des citoyens de la commune Fulminante, le Bureau municipal de Bordeaux autorise le citoyen Beek (du Grand Théâtre) à prêter son concours pour solenniser avec plus d'éclat la fête de l'Être suprême et de la Nature dans cette commune. Le 19 très prairial An II. Il est vraiment dommage que Linars n'ait pas écrit le procès-verbal de cette solennité célébrée la veille de la Saint-Médard (La fête de l'Être suprême fut célébrée à Paris le 20 prairial qui correspond au 8 Juin, fête Saint-Médard (voir Histoire de la Révolution française par Thiers).

Au cours de l'année 1793, une question importante fut posée aux habitants de Saint- Médard : fallait-il partager ou non les communaux ? C'est par erreur qu'on qualifiait ainsi les padouens en vacants : communal signifie appartenant à la commune ; or, ces biens appartenaient aux communautés d'un ou de plusieurs villages depuis des siècles et non pas à la commune qui n'existait que depuis trois ans. On aurait dû les qualifier de biens communs et non de biens communaux. C'est d'ailleurs à la faveur de cette équivoque que la commune s'empara de certains de ces terrains sous le Second Empire. La loi du 28 août 1792 avait rétabli les communes, en réalité communautés, dans la propriété des terrains qui leur avaient été enlevés par la puissance féodale et comme conséquence de cette loi plusieurs habitants demandaient le partage des communaux. Les citoyens ayant été convoqués aux formes ordinaires, dit le procès-verbal, la réunion eut lieu le 10 frimaire an II (23 novembre 1793) dans le Temple de l'Être Suprême. Le citoyen Antoine Gourmeron était président comme le plus ancien et le citoyen Etienne Fournier faisait fonction de secrétaire. Toujours respectueux de la forme, les assistants discutèrent longuement puis éliront Linars comme président à la majorité des voix. Mais comme les débats avaient pris beaucoup de temps et que l'heure était avancée l'assemblée s'ajourna à trois heures de l'après-midi pour permettre à ses membres de manger. À trois heures, en ouvrant la séance, Linars remercia de cette marque de confiance mais déclara ne pouvoir accepter « d'après les manifestations que plusieurs individus de la commune lui avaient fait », mais sur l'insistance de l'assemblée il finit par accepter. Puis la discussion s'ouvrit, elle se poursuivit les décadis suivants, 20 et 30 frimaire, pour aboutir au sujet du partage par 139 non contre 4 oui et la nomination de trois commissaires chargés de faire rentrer les biens usurpés par puissance féodale : Guillaume Gravey, Bertrand Laporte et B. Bérard. Et Linars qui préside inlassablement toutes ces réunions signe un registre en cette qualité. Il convient de remarquer en passant que pour discuter au sujet d'une même affaire nos ancêtres ont tenus quatre réunions dont nous ignorons la durée, deux le premier décadi et une chacun des décadis suivants. Il faut admirer leur courage civique et leur force de caractère. Nos concitoyens, qui sont loin d'avoir leur ardeur et leur constance, ne consentiraient certes pas à sacrifier trois après-midis de dimanche pour discuter des affaires publiques. Linars, comme tout bon citoyen doit le faire, payait ses impôts. On lit en effet sur le registre d'acompte de la contribution foncière de l'année 1793 la mention suivante écrite de sa main : article 123, le 9 nivôse An II, le citoyen Linars curé a payé 27 Livres 18 sous 6 deniers. Le même jour, il verse sur la contribution mobilière de 1793 un acompte de 172 livres 1 sou. Sur le reçu qui lui est remis on lit : municipalité de Saint-Médard-en-Jalles en haut et en bas : à Fulminante, ce 20 thermidor An II de la République une et indivisible (6 Août 1794). Signé : Bérard percepteur.

On peut remarquer que Linars se qualifie de curé en 1794 et que Laporte maire, Ramond, Montignac, Peyneau officiers municipaux, qui contresignent le reçu délivré par Bérard, acceptent ce titre. D'autre part, on peut éprouver quelque surprise en lisant sur le même acte officiel deux appellations si différentes de notre commune. Il existe d'autres pièces sur lesquels on pourrait faire la même constatation. Ces faits prouvent que la municipalité ne s'associait que modérément, aussi peu que possible, aux actes des exaltés de la Société Populaire et qu'au fond elle les désapprouvait. Ladite Société avait adressé une plainte à ce sujet au citoyen Isabeau, représentant du peuple à Bordeaux, contre la municipalité le 18 fructidor An II (1er août 1794) mais sans aucun résultat car Robespierre avait été guillotiné deux mois plutôt : la Terreur était finie. En effet, le 14 thermidor an II (1er août 1794), le sanguinaire Lacombe, président de la Commission Militaire de Bordeaux avait été exécuté et la guillotine, en permanence sur la place Dauphine (Gambetta) depuis tant de temps, enlevée. Tout tendait donc vers l'apaisement ; aussi, peut-on se demander quel mobile a poussé Linars à écrire la lettre suivante trouvée par M. Rivière dans ses titres de propriété et aimablement communiquée par lui (la maison Rivière fut autrefois le presbytère de Linars.)

« Aux officiers municipaux de la commune de Saint-Aubin. Citoyens Magistrats. Je suis dans l'intention de planter lundi prochain un arbre de la liberté. Je vous prie de venir en corps vous réunir avec nous. Nous tâcherons de vous convaincre que nous sommes de vrais sans-culottes et de bons républicains. Nous vous attendons à midy précis afin que nous puissions ensemble boire à la santé de la République. Salut et Fraternité. Linars, curé sans-culotte, Saint-Médard, ce huit nivôse an 3ème de la République française (29 décembre 1794).

Par le rapprochement des dates, on est amené à se demander si Linars n'a pas voulu fêter le premier de l'an, d'une manière détournée bien entendu, tout en faisant preuve de civisme. Par une loi du Il prairial an III (10 mai 1795), la Convention avait ordonné la remise des églises aux communes. Déjà quelque temps, avant le vote de cette loi, Linars avait acheté à l'État les bois et vignes dépendant de l'ancienne fabrique de l'église de Saint-Médard qu'il eut pour 16 250 F au total, en germinal et floréal an III (mars à mai 1795). Le 7 thermidor suivant (24 juillet), Linars se présente devant la municipalité et fait la déclaration prescrite par la loi : le citoyen Linars est comparu, lequel a déclaré qu'il se propose d'exercer le ministère du culte, comme sous la dénomination de culte catholique et a requis qu'il lui sera donné acte de sa déclaration. Signé : Linars et Boisset, Maire.

La reprise du culte eut lieu peu après puisque le 29 thermidor la municipalité tient séance « à l'issue de la messe ». C'est donc par erreur que Linars dans le passage qu'on va lire fixe cette reprise en fructidor. « La reprise du culte se fit en fructidor an III. On commença par bénir le temple dans lequel on s'était permis toute espèce d'excès, comme dans d'autres. On fit la prière ordinaire du Miserere, je fis un discours, le seul que j'ai fait depuis trois ans relatifs à la cérémonie et n'ayant pour objet que l'oubli du passé… »

Roche, armateur, propriétaire du domaine de Belfort acquis de Jeanne de Ségur, déclare : avoir entendu le citoyen Linars, en chaire, dans une cérémonie extraordinaire faite dans l'église de Saint-Médard, tenir les propos suivants : « Si je me suis décidé dans le temps à prêter le serment, c'était pour rester toujours parmi vous, je m'en repends et j'aimerais mieux mourir que de le refaire ». Il a ensuite réitéré le Miserere à genoux, et lu dans un petit livre qu'il promettait d'obéir au Pape et à tel ou tel Concile dont Roche ne se souvient pas du nom. Le citoyen Louis Eyquem (celui qui fit reconstruire notre maison) déclare avoir été dans l'église de Saint-Médard-en-Jalles un jour que Linars monta en chaire et rapporte que celui-ci tint les mêmes propos qui sont rapportés ci-dessus. Les deux témoins confirment donc le récit de Linars et comme ils ont déposé devant l'administration municipale de Blanquefort à 1'occasion de l'ordre d'arrestation de Linars dont il sera question plus bas ; on peut tenir pour certain que s'ils n'ont pas chargé celui-ci, c'est parce que rien ni dans ses paroles ni dans ses actes ne leur permettait de le faire. Mais la reprise du culte ayant surexcité certains éléments, la municipalité décida d'adresser une proclamation aux habitants le 6 fructidor an III (août 1795) : « Les uns ont dit qu'on avait fait une pétition pour empêcher de dire la messe, les autres qu'on avait empêché le ministre du culte de bénir les troupeaux le jour de Saint-Roch, celui-ci qu'on faisait des promesses à divers particuliers pour les empêcher d'aller à la messe, celui-là qu'on voulait établir un nouveau culte. Citoyen, je suis chargé de vous dire de la part du Conseil général de la Commune que tous ces faits sont faux... Bien loin que vos magistrats n'aient jamais eus de pareilles idées, ils vous déclarent ici par ma bouche qu'ils ont vu le rétablissement du culte catholique avec plaisir et qu'ils en seront toujours les défenseurs et qu'ils feront punir selon toute la rigueur des lois tous ceux qui se permettront d'en troubler les cérémonies. Méfiez-vous de tous ces rapports faux et inventés par la plus noire méchanceté. Soyez d'accord, jouissez en paix et en bonne intelligence de tous les avantages que procure la Convention. » Signé : Roche, Procureur de la Commune.

Et voici qu'à l'encontre de cette proclamation de la municipalité tendant à l'apaisement des esprits, un incident survint le 12 vendémiaire auquel était mêlé Linars : Delmestre, Officier municipal, accompagné du greffier Fournier, s'était présenté à la porte du temple pour procéder à la vente de pierres se trouvant dans le cimetière, sans utilité, « ayant excepté les tombes, pierres de croix et toutes celles qui appartiennent aux murs délabrés » (rappelons que la croix dressée au milieu du cimetière avait été démolie par les vandales révolutionnaires). « L'enchère allait se terminer lorsque Linars demanda l'arrêt du district ordonnant la vente et sous l'explication qu'aucune des pierres tant provenant des tombes que des démolitions de la croix y étaient comprises ; on a vu s'élever un mouvement à la tête duquel étaient les citoyens Linars, ministre du culte, François Lestage, F. Eyquem, Bérard et Jean Dugué. Le citoyen Delmestre et son greffier ayant été interrompus par des cris séditieux qui disaient qu'on voulait vendre la commune entière, et qu'on avait eu tort de provoquer cette vente, le procureur fit suspendre la vente et dressa le présent procès-verbal. La municipalité décida de l'envoyer tant au District qu'au Comité de sûreté générale de la Convention. Quelques jours plus tard, le 26 vendémiaire (4 septembre 1795), Lebrun, juge de paix de Blanquefort, vient faire une enquête à propos d'une dénonciation contre Linars. Mais la municipalité déclare « quant à la moralité du citoyen Linars, seul et unique ministre du culte, qu’il a toujours obtenu facilement les certificats que les municipalités précédentes lui ont accordé comme les ayant mérités », Bahr, commandant de la force armée, rappelle la plantation de l'arbre de la liberté devant sa porte, le discours de Linars et la souscription. Il dépose sur le bureau le procès verbal, le discours et la quittance de la somme. Après lecture de ces pièces, il les retire. Il n'est plus question de cette affaire dans le registre des délibérations.

À quels mobiles a obéi Linars dans cette affaire ou il a pris parti contre la municipalité qui était pourtant en sa faveur. Parmi les pierres mises en vente, y avait-il des débris de la Croix du cimetière démolie pendant la Terreur comme le prétendaient Linars et ses collaborateurs ? Delmestre, Officier municipal et le procureur de la Commune Roche affirmaient le contraire ?

Comment trancher ce différend avec le peu de renseignements connus ? Le premier brumaire suivant par devant Poirier, faisant fonction de Maire, comparaît Linars qui déclare : je reconnais que l'universalité des citoyens français est le souverain et je promets soumission et obéissance aux lois de la République. Deux jours plus tard, « les citoyens (soussignés) domiciliés de la Commune de Saint-Médard, en conformité de la loi du 7 vendémiaire dernier, déclarent que l'enceinte choisie par eux pour l'exercice de leur culte est la même que celui dans lequel on l'a toujours exercé et dont la jouissance leur a été provisoirement accordée par la Convention. Ledit lieu situé au bourg de la commune de Saint-Médard-en-Jalles. Signé Linars, Gourmeron, Déjean, J. Ramond, P. Eyquem, Eng.Mallet, Taudin.

Cette déclaration est envoyée au greffe de la police correctionnelle de Blanquefort. (Après quoi Roche, qui était armateur, partant en Hollande et à Hambourg, déclare qu'il ne peut plus occuper les fonctions de Procureur de la Commune). Il semble bien que la déclaration de Linars et celle des habitants de Saint-Médard avait pour but de donner un caractère définitif aux mesures provisoires prises par la Convention. Là s'arrêtent les renseignements connus sur Linars en tant que curé ; ceux qui vont suivre sont relatifs à sa fonction d'Officier municipal. Dans un des mémoires de Linars on lit : « le 15 brumaire an IV (novembre 1796), je fus élu à la majorité agent municipal de la Commune de Saint-Médard-en-Jalles. Cette nomination parut déplaire à quelques-uns de mes ennemis restes d'une société populaire établie dans la commune sous le nom de Fulminante ». On ne trouve pas trace de cette élection dans le registre de la commune qui est aux archives de la mairie. Mais, comme le 3 nivôse, la signature de Linars, accompagnée de la mention Officier municipal, figure à côté de celles de Boisset maire et Fournier greffier, que de plus le treize suivant il préside une réunion ayant pour but de réorganiser la Garde nationale le fait n'est pas douteux. Peut-être cette élection a-t-elle été faite à Blanquefort ou siégeait la municipalité cantonale substituée aux municipalités communales par la Constitution de l'an III, entrée en vigueur le premier vendémiaire an IV

(23 septembre 1795). C'est à cette nouvelle municipalité du canton de Blanquefort qu'il avait fallu remettre les registres, actes et papiers de l'ancienne municipalité et les comptes avec vérification des fonds comme le déclarent Boisset, Poirié, Baquey, Fournier et Linars. Ce dernier est le seul qui soit qualifié d'officier municipal et sa signature ne figurera plus sur le registre de Saint-Médard après le 13 nivôse (janvier 1796). Ce jour-là, il présida une réunion qui avait pour but de réorganiser la garde nationale... L'assemblée sur la proposition de Linars, « prêta serment de haine à la royauté puis de fidélité à la République ». Après quoi, elle passa à l'ordre du jour. Mais les débats s'étant prolongés trop longtemps, le citoyen président dût accéder au désir des assemblés de se retirer et ajourna la réunion à décadi prochain, neuf heures du matin. Personne ne s'étant présenté ce jour-là, Linars se retira après avoir dressé procès-verbal. Il n'avait plus d'autorité morale, son rôle était terminé.

À l'occasion d'un déplacement à Blanquefort pour la fête de la jeunesse, Linars prononça un long discours inséré in extenso dans le registre de la municipalité à la date du 19 ventôse an IV (mars 1796). De tous les bons conseils qu'il donne, une seule phrase mérite d'être plus particulièrement retenue « La liberté ne consiste pas faire tout ce qu'on veut mais seulement à faire ce qui n'est pas défendu par la loi ou tout qui ne nuit pas aux droits d'autrui. » Ce discours fut suivi du chant : « Amour sacré de la Patrie entonné et exécuté par toute l'assistance ».

Quelques temps après, le 15 prairial an IV (juin 1796), Linars acheta le domaine de la cure 6 100 F sur une mise à prix de 4 660 F. Pendant que Linars était officier municipal, il eut à s'occuper de l'emprunt forcé du 19 frimaire an IV (10 décembre 1796), ce qui lui suscita des ennemis acharnés comme on le verra par la suite. La situation financière du pays à cette époque ainsi que les moyens employés pour y remédier ressemblant singulièrement à la situation actuelle ainsi qu'aux expédients de nos politiciens, ainsi il est donné plus d'extension à cette affaire de l'emprunt forcé. Marion écrit (journal des Débats du 24 décembre 1925) « le papier était tombé à tous à dix sous les 100 F ».

Il fut décidé d'un emprunt forcé de 600 millions environ de valeur métallique payable surtout en Assignats à 1 % de leur valeur vénale. Cet emprunt ne frappait que les riches et les aisés, ce qu'on ne peut trop apprécier parmi des républicains. Seul le quart le plus imposé ou le plus imposable des citoyens dans chaque département était appelé à concourir à cette œuvre de salut national. Le quart était partagé en seize classes renfermant chacune un nombre égal d'assujettis. Chaque classe était taxée d'une somme identique (50 F la plus basse, 6 000 F la plus élevée). De ce système grossier, il résultait que des avoirs très modestes allaient se trouver compris dans les départements pauvres et manquant de gros contribuables, dans des classes fort élevées et surtaxées jusqu'à l'impossible. Les municipalités manquant de tout, manquant surtout de zèle, paralysées par le sentiment des injustices énormes qu'elles commettaient et qu'elles ne pouvaient pas ne pas commettre, assourdies par les réclamations unanimes qui s'élevèrent lorsque les rôles commencèrent à paraître, marchèrent lentement. Force fut de modifier la loi à plusieurs reprises, de renoncer à l'égalité numérique des classes, d'admettre des réclamations que, tout d'abord, on avait eu la prétention de ne pas tolérer, de prolonger les délais de paiement... Puis, en fait indéfiniment. Et pendant ce temps l'Assignat de continuer à grossir en volume car il fallait bien vivre et de diminuer en valeur ce qui empêchait de servir à quelque chose. »

Pour cet emprunt forcé de l'an IV, la commune de Saint-Médard fut cotisée de 412 000 F d'après les registres de la municipalité cantonale de Blanquefort. Comment Linars qui n'était pas le seul officier municipal se trouva-t-il chargé de cotiser les redevables ? Rien dans les documents qui se trouvent à la Mairie. Les seuls renseignements de cette affaire se trouvent dans un mémoire de Linars qui contient le passage suivant : « Le motif de la déclaration dudit Peychaud n'a d'autre objet que de se venger de ce qu'étant agent municipal je l'ai fait cotiser sur le rôle de l'emprunt forcé pour une somme de 400 livres en numéraire. Ledit Peychaud est un forgeron très riche qui a la réputation d'avoir beaucoup de numéraire, qui tient à son argent ; il n'y avait d'autres moyens de l'atteindre. Aussi, dès qu'il apprit le montant de sa côte, lui, sa femme et ses enfants se permirent les plus étranges propos. Le citoyen Louis Eyquem (propriétaire de notre maison) a été cotisé pour sept cents livres qu'il a eu à verser dans mes mains (reçu cy indexé), en ma qualité d'agent municipal, préférant même payer plus que pas assez... Doumeret est mon ennemi, il a été cotisé à l'emprunt forcé. » D'après les déclarations de Linars lui-même, il semble bien que les cotisations de Peychaud, L. Eyquem et Doumeret n'aient pas été déterminées uniquement par la situation pécuniaire des intéressés mais que d'autres facteurs tels que les passions politiques et les haines individuelles ont joué un rôle prépondérant. Rien d'étonnant que ceux qui se considéraient comme des victimes aient pris un jour leur revanche. En effet, le 6 frimaire an VI (décembre 1797), Roche et Eyquem, agents municipaux, donnent l'ordre à la Garde nationale d'arrêter le citoyen Linars et ceci après interrogatoire de diverses personnes de la commune, au sujet de la rétractation dudit curé Linars. Mais celui-ci étant absent l'arrestation ne put avoir lieu. L'affaire est alors évoquée devant la municipalité cantonale dans la séance du 5 nivôse an VI (janvier 1798). On lit dans le procès-verbal de ce jour : un membre demande que les citoyens Roche et Eyquem soient interpellés de dire la vérité pour ou contre le citoyen Linars sur la rétractation qui lui est imputée. Sur ladite interpellation, le citoyen Roche fait une déclaration (reproduite plus haut à l'occasion de la reprise du culte). Quant à L. Eyquem, il déclare avoir été dans l'église de Saint-Médard un jour que Linars monta en chaire et il rapporte que celui-ci tint les propos rapportés par Roche. Après avoir délibéré l'administration déclare que le citoyen Linars peut être dans les termes de la loi. Signé : Saincric Président.

En conclusion, c'était un non-lieu en faveur de Linars, d'ailleurs à ce moment le vent soufflait vers l'apaisement. Un peu plus tard, à la fin de l'année 1798, Linars vendit ses biens à Thomson et quitta le pays. On n’entendit plus parler du curé sans-culotte. (À Thomson succéda Maizonnobe, dont les descendants laissèrent la place à M. Rivière, notaire.) Il est bien certain que Linars n'a fait figurer dans son dossier que des pièces en sa faveur. D'autre part, on ne connaît pas les griefs de ses adversaires. Enfin, l'impossibilité de consulter les archives municipales de cette époque nous met dans l'ignorance de la conduite de Linars lorsque « toute espèce d'excès furent accomplis dans l'église » selon son propre aveu. La tradition rapporte que le crucifix fut fendu à coups de haches par un membre de la famille Bouey. Pour combattre la disette, on distribuait des grains à la population et celle-ci attachait ses mulets ou ses ânes à la grille du chœur. Ce sont les seuls faits connus mais il a dû s'en passer bien d'autres... Pour toutes ces raisons, le cas de Linars ne peut être instruit à fond, ce qui empêche de se prononcer en plein connaissance de cause.

Il y a cependant de fortes présomptions contre lui : sa prestation de serment alors que la Constitution civile fut condamnée par le pape et repoussée par la plus grande partie du clergé. Sur ce point, il a reconnu publiquement sa faute. Sa conduite : le curé présidant des réunions publiques dans l'église, ses accointances avec les exaltés (lettre du 8 nivôse an III, etc.) soulevèrent la réprobation de bien des paroissiens.

Roche et Eyquem, ce dernier surtout dont le rôle modérateur durant la révolution est bien connu, furent certainement les porte-parole de tous ceux qui réprouvaient la conduite de Linars. Car la foi catholique, à cette époque, n'était pas atténuée comme de nos jours si on en juge par ce que nous disait notre arrière-grand-père : « Tout le monde en avait assez de cette suspension de vie religieuse, aussi est-ce avec joie qu'on la vit reparaître ».

À ces griefs d'ordre religieux, il faut ajouter ceux qu'avaient fait naître les actes de l'officier municipal Linars, notamment ses « cotisations » à l'emprunt forcé qui ne paraissent pas précisément inspirées par l'esprit de l'Évangile, de l'aveu même de Linars. Par toutes ces considérations, on comprend qu'une fois la tourmente révolutionnaire passée, à mesure que le calme revenait dans les esprits, le curé sans-culottes ait senti que sa présence était devenue indésirable dans la paroisse, qui avait été la sienne pendant bien des années, malgré le non-lieu d'apaisement de la municipalité cantonale. On ne sait où il se retira.

Notes du docteur Arnaud Alcide Castaing sur la paroisse de Saint-Médard-en-Jalles sous l’Ancien Régime et sur la commune de la Révolution au XXème siècle, dossier familial, 1946, 270 pages, p.73-80.