Le port de Lagrange
Une ordonnance royale d'août 1681 en fixait déjà les limites. L'Abbé Baurein, moins de cent ans plus tard, cite ce port Royal qui embarque des denrées au devant du village de Lagrange, composé de cinq à six habitations. Il fait également état du très bon mouillage dans la rivière profitant aux navires au gré des marées. C'est pourtant la nécessité d'abandonner le port de Cadillac qui amène les élus, en 1858, à solliciter de l'État la construction d'un port véritable sur ce site. Un avant-projet est approuvé par décision ministérielle le 13 octobre 1859 et le projet définitif le 5 mai 1860. La commune prend à sa charge le tiers du coût, soit 1 500 F.
Les travaux sont exécutés en 1862. Il s'agit de construire deux cales :
- l'une, saillante, de 12 m de long et 4 m de large, toujours accessible quelle que soit la marée, est destinée à l'accostage des petits bateaux, lesquels sont amarrés à des organeaux (anneaux fixés sur la tige centrale des ancres) placés sur le talus des cales;
- l'autre, inclinée, qualifiée de cale haute, de 15 m de long et 10 m de large est parallèle au fleuve. Un terre-plein d'égale surface se situe en arrière.
Une notice d'un ingénieur des Ponts et Chaussées, datant de 1885 précise que les bateaux y sont parfaitement à l'abri des vents d'ouest et que cinq embarcations de plaisance sont affectées à ce port. On apprend en outre l'existence d'un débarcadère avec ponton pour les bateaux à vapeur faisant le service entre Bordeaux et Pauillac. Ce port n'était pas exclusivement réservé au commerce communal mais servait également à l'embarquement des marchandises des communes voisines, Blanquefort et le Pian, entre autres.
Aussi le conseil municipal décide-t-il, le 14 janvier 1872 d'établir un droit sur les marchandises qui utiliseront les terrains du port de Lagrange tant à l'embarquement qu'au débarquement. Ceci permet de connaître la nature des marchandises séjournant sur les communaux (terrains appartenant à la commune) : moellons, graviers et sables, bois de construction, bourrées, fagots, haubans, carrassonnes, vimes et joncs de vignes ou de chaises foins et pailles (et même fumiers), vins en barriques, pétroles ou leurs dérivés.
En effet, du pétrole était stocké dans ce port, lui valant en 1875, le qualificatif de « l'un des premiers ports pétroliers de France ». C'était à l'époque où le pétrole ne servait qu'à l'éclairage. Il arrivait d'Amérique du Nord dans des fûts de bois qui étaient stockés dans des bassins remplis d'eau (ici grâce à une écluse donnant sur la Garonne).
En février 1923, une enquête est faite pour l'autorisation d'un dépôt de pétrole sur les bords de la Garonne, près du canal d'Olives. Il semble donc que le commerce fluvial ait connu jusqu'à la deuxième guerre mondiale, un trafic important à Parempuyre. C'est pourtant la fin de la guerre qui donne au port de Lagrange une notoriété dont il se serait certainement bien passé. Les annales du Port autonome de Bordeaux en font état en ces termes, d'après extraits du rapport de MM. André Bron, ingénieur en chef du Génie Maritime et Alphonse Grange, ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, alors directeur du Port Autonome de Bordeaux.
« Avant de quitter Bordeaux, le 28 août 1944, les Allemands avaient sabordé tous les navires disponibles, y compris les principaux engins de servitude du port, et les bateaux de navigation intérieure. Les épaves dénombrées à la libération étaient au nombre de 202, dont 103 navires de mer. En particulier, l'ennemi avait barré la rivière, à 15 kilomètres en aval du port, en coulant à Lagrange 18 navires, dont certains très importants ».
« Dès le début..., tous les efforts furent portés sur l'ouverture du chenal à Lagrange, clé de la reprise du trafic pour le port de Bordeaux... Sur les dix-huit navires sabordés à Lagrange (fig. 1), neuf gisaient en plein chenal... Ces neuf navires constituaient deux barrages, distants de 500 mètres et obstruant toute la largeur du chenal, le long de la rive gauche. Le barrage aval était composé de l'Orsono, parallèle à la rive, de l'Elsa-Essberger perpendiculaire au chenal et appuyé sur l'Orsono par son étrave, de l'Usaramo et du Sscharlachsberger parallèles à l’Elsa-Essberger. Le barrage amont comprenait l'Himalaya, oblique au courant et à l'avant à la berge, une petite citerne, la Cascade, et, en plein chenal, le Rastenburg, perpendiculaire au courant, et le Stanasfalt, en position oblique ...
Plus en amont, le pétrolier Zweena était coulé dans la passe. En outre, à la fin de décembre 1945, en pleine période de travaux, un caboteur grec en route vers Bordeaux, l'AÏghaï, sautait sur une mine et coulait dans le chenal, en amont du barrage amont. Les difficultés de dégagement du chenal tenaient à la fois à l'état des navires et aux conditions locales ; elles faisaient dire, à la fin de 1944, au commodore Sullivan, chef du service des renflouements de la Marine américaine, et responsable des travaux dans le Pacifique comme en Méditerranée, que le dégagement du chenal à Lagrange représentait le problème le plus difficile qu'il eût jamais rencontré... Certains bateaux étaient chargés de minerai de fer. L'Osorno portait 600 tonnes de grosses pièces, dont plusieurs pesaient plus de 50 tonnes, placées non seulement à fond de cale, mais en abord, dans les entreponts.
Schéma et 3 photos de Lagrange
D'autre part, le courant et les remous autour des épaves étaient si violents que les scaphandriers ne pouvaient plonger sans danger hors des navires qu'au moment des étales de courant, pendant une demi-heure à trois-quarts d'heure. La vase en suspension dans l'eau empêchait toute visibilité, même à quelques décimètres sous l'eau ; tout le travail devait se faire à tâtons. Les affouillements produits par les remous sur le fond, constitué par du sable vasard, bouleversaient les profondeurs, naguère très régulières en cet endroit. Les navires s'enfoncèrent en quelques semaines de plusieurs mètres et en outre, se cassèrent ou se plissèrent, par suite des efforts développés dans la coque par l'irrégularité des affouillements.
L'envasement des épaves était considérable, le poids de la vase restant à l'intérieur arrivait à égaler le poids de la coque...
« Tandis que des dispositions étaient prises pour l'aménagement d'un chenal provisoire, contournant le barrage et présentant des fonds limités à 3 mètres sous l'étiage, deux solutions permettaient de résoudre le problème essentiel : le dégagement du chenal normal. La première consistait à enlever tout d'abord l'Osorno, en aval, et l'Himalaya, en amont, pour dégager en première urgence un étroit chenal le long de la berge. La seconde, plus difficile, exigeait la disparition de l'Elsa-Essberger, du Rastenburg et du Stanasfalt ».
« Les premiers moyens rassemblés, vedettes, pompes, compresseurs, scaphandres permirent assez vite d'organiser la prospection à Lagrange. Ce village, agglomération de quelques maisons, sans autres moyens de communication avec la ville qu'une route étroite et la rivière offrait des ressources limitées pour la vie d'un important chantier. Il fallut y installer des magasins, y construire des appontements pour la nombreuse flottille destinée à desservir les travaux, poser une ligne à 13 000 volts pour y amener l'énergie électrique (la puissance installée atteignait 780 kilowatts), et résoudre l'important problème des transports sur les 15 kilomètres entre Bordeaux et Lagrange. Étant donné l'importance des travaux de renflouement dans les autres ports, le recrutement de bons scaphandriers et de bons chefs de chantiers, pourtant essentiels, était toujours difficile. Il n'y eut jamais plus de 50 scaphandriers sur l'ensemble des chantiers, à Bordeaux, en Garonne ou en Gironde. Quant à l'effectif total à Lagrange, il finit par dépasser 400 ouvriers ».
Plusieurs méthodes sont envisagées :
- essai de renflouement par pompage, que l'on trouvera finalement décevant,
- écrasement à l'explosif, relevage en force, découpage,
- écrasement au pilon.
Le tableau ci-après établi en 1948, donne le résultat de ces diverses méthodes ainsi que les caractéristiques des navires sabordés.
Tableau : Caractéristiques des navires sabordés au barrage de Lagrange.
Depuis près de cinquante ans, la situation des épaves du barrage a fait l'objet d'études et de sondages de vérification (en 1967, 1969, 1974, 1986 et 1990). Les travaux de pilonnage qui en découlent encore de nos jours permettent d'éviter tout risque à la navigation fluviale.
Le port de Lagrange reste aujourd'hui un charmant hameau visité à la belle saison par de nombreux touristes qui viennent déguster crevettes et bigorneaux sur la berge elle-même.
Les digues font l'objet de chantiers réguliers de consolidation protégeant les riverains des assauts répétés du flux et reflux, ainsi que des inondations. En 1973, de gros travaux sont entrepris afin de rehausser la digue et créer un mur de protection tout le long du quai assurant véritablement la sécurité, même aux plus fortes marées.
Les maisons ont conservé leur caractère. La pêche au filet rond y est pratiquée. Ses voies ont des noms empreints de poésie : « allée des pêcheurs », « quai des mouettes ». Conquis par le charme qui s'en dégage, un peintre, Paul Leuquet, y a installé son atelier.
Vue aérienne
Texte extrait de : Parempuyre, sa mémoire, ouvrage collectif édité par le Comité d’animation communale de Parempuyre, 1995, p.37- 44.