Les maitres-chirurgiens aux XVII et XVIIIe siècles 

Sous l'ancien régime les médecins étaient classés en deux catégories :

* Les docteurs en médecine qui suivaient les cours des facultés de médecine et couronnaient leurs études par une thèse de doctorat. C'était en quelque sorte l'enseignement officiel de l'époque. Les docteurs en médecine relativement peu nombreux n'exerçaient guère que dans les villes.

* Les chirurgiens, élèves du collège des médecins agrégés de Bordeaux depuis un temps fort, reculé jouissaient du droit de faire des cours aux élèves chirurgiens et aux apothicaires. Ce collège était composé des médecins exerçant à Bordeaux qui avaient subi devant tous leurs collègues, le maire et jurats, de nombreux examens. Les chirurgiens et les apothicaires, obligés de suivre les cours du collège des médecins, étaient en outre soumis à un enseignement pratique auprès des maîtres de leur profession et devaient subir devant les bayles de leur corporation des examens pour être admis à la maîtrise. Malheureusement, la plupart des documents relatifs à la communauté des chirurgiens de Bordeaux ont été détruits lors de l'incendie des archives de l'hôtel de ville en 1862.

On sait néanmoins que la chirurgie bordelaise comptait des hommes habiles dans leur art tel que Jean Mingelousaulx qui en 1632 sauva la vie de Richelieu. Celui-ci « revenant d'assoupir les troubles du Languedoc » fut pris à Bordeaux « d'une suppression d'urine » causée par un abcès qui le mit au bord de la tombe. Mingelousaulx, appelé près du malade, « proposa de faire uriner M. le cardinal par le moyen de ses bougies cannelées qu'il poussait si habilement dans la vessie que le malade ne ressentait aucune douleur... Elles étaient inconnues aux médecins de la cour... Le malade ayant accepté ce traitement, la première bougie passa fort doucement et l'urine vint si abondamment que son éminence en rendit quatre livres. Car elle fut pesée, gardée et vue de toute la Cour. Son éminence eut une joie inconcevable de se voir hors de ce grand péril et jamais chirurgien du royaume ne fut si caressé ni loué par tant de grands hommes. » Simon de Mingelousaulx, fils de Jean, pratique l’opération du trépan en 1662. Maître Loyseau eut l'honneur de soigner et de guérir Henri IV en 1598 (Portmann).

Les chirurgiens bordelais n'eurent pas par la suite de clients aussi éminents que Richelieu, du moins nul document ne l'indique, on sait seulement en 1754 un véritable enseignement officiel avec cours d'anatomie est installé à l'école de chirurgie de la rue Lalande. Dans son amphithéâtre, on enseignait la chirurgie d'ostéologie et la maladie des os ainsi que les opérations, en 1756 une cinquième chaire est consacrée aux médicaments saignées et ventouses et en 1758 on ajouta une chaire d'accouchements. (Portmann).

Il n'existait pas à cette époque de tableau des médecins en exercice comme de nos jours ; aussi, ignore-t'on le nom de ceux qui pratiquaient à Saint-Médard. Les seuls renseignements recueillis sur eux proviennent des actes de baptême, de mariage, d'inhumation (l'équivalent de l'état civil sous l'Ancien Régime) tenus par les curés des paroisses depuis l'ordonnance de Villers-Cotterêts rendue par François 1er en 1539. Mais cet enseignement n'est pas bien connu, parce que le plus ancien registre est celui de l'année 1681, ce qui fait qu'on ne sait rien des années antérieures. Ensuite, parce que tous les chirurgiens n'ont pas été inscrits sur ces registres.

En cette année 1681, deux maîtres chirurgiens exerçaient à Saint-Médard : Abadie Nicolas et Constantin François. On trouve aussi mention d'Abadie François qualifié de compagnon chirurgien, nous dirions aujourd'hui : étudiant en médecine ; c'était probablement un parent à Nicolas. Cinq ans plus tard, François Abadie, devenu maître chirurgien, est présent au baptême d'une fille de Constantin, ce qui indique que ces deux confrères s'entendaient bien. Les médecins modernes pourraient prendre en exemple cette bonne confraternité et la mettre en pratique. En 1692, François Abadie exerce encore en même temps de Fronton Jaubert. Ce dernier fut procureur d'office (ministère public dirait-on aujourd'hui) de la juridiction de Saint-Médard en 1728. Il maria sa fille à Baptiste Thévenard, notaire royal, d'où on peut conclure que ce chirurgien jouissait d'une certaine considération dans la paroisse. Jean Desperon « chirurgien » qui mourut en 1709 fut inhumé dans l'église. Pierre De Rohan exerçait en 1725 presque en même temps que Bonaventure Bernard, sage-femme, qui « ondoya un enfant au passage » le 1er septembre 1731. Dans son procès-verbal de visite de mai 1734, Mgr de Maniban, archevêque de Bordeaux, écrit que deux chirurgiens et 3 sages femmes exercent dans la paroisse. Les chirurgiens sont Jaubert et Marceron, les sages-femmes Peyronne Dignan, Moncet Jeanne et Marie-Loignon, cette dernière qualifiée de sage-femme approuvée. « Ils ont soin d'avertir le curé des malades qui sont dans la paroisse ».

L'état civil des chirurgiens n'était pas toujours bien établi comme on va le voir. Le 4 novembre 1738, décédait « un garçon nommé Michel, âgé d'environ 50 ans qui exerçait la profession de chirurgien dans la paroisse. » Jean Salles qui exerçait en 1740 mourut en 1796. En 1742, on trouve le nom d'Élie ou Hellies Rallion qui avait épousé damoiselle Élisabeth Balthazar. Ce devait être un personnage important à en juger d'après les deux faits suivants. Il représente P. Delmestre, courtier royal, en qualité de parrain au baptême d'une fille d'un valet de M. de la Salle.

Joseph de la Salle, seigneur de Saint-Médard, présent à la cérémonie, apposa sa signature à côté de celle d'un Rallion. Plus tard, en 1751, Joseph de la Salle ainsi que Mme de Raoul, femme du seigneur de Saint-Aubin et jeune mariée, furent parrains et marraine d'un fils de Rallion. Quel contraste entre ce baptême auquel assistait la fine fleur de l'aristocratie locale, peut-être clients de Rallion, avec le baptême des enfants du seigneur de Jallès, vers la même époque dont les parrains et marraines étaient un des vignerons, des voisins mais jamais des personnes nobles ! En 1767, Rallion outre sa profession de chirurgien est « le procureur de la juridiction de Saint-Médard ». Son confrère Lasserre se trouvait dans une situation analogue, comme on le verra plus loin. Les deux chirurgiens se retrouvaient donc parfois dans le prétoire et pas du même côté de la barre. Rallion exerçait encore à Saint-Médard en 1778.

Joseph Vieilleville, maître chirurgien habitant « saint André de Cussac », épousa une fille Thévenard, notaire royal, en 1754. Cazejus, chirurgien réputé de Bordeaux et Rallion furent témoins à la cérémonie. Voilà un exemple de bonne confraternité…

Thévenard vendit plus tard à son gendre la maison dans laquelle était son étude, c'est l'immeuble attenant notre maison occupée maintenant par le café du Centre. La famille Vieilleville possédait des terres au lieu-dit qui a conservé son nom et qu'on appelle aussi Faydit. Il ne semble pas que Vieileville ait exercé à Saint-Médard. Pigasse, maître en chirurgie, soigne des malades dans la paroisse en 1762 ; 10 ans plus tard, il habite Martignas. En 1765, Pierre Lasserre « chirurgien habitant à Saint-Médard », époux d'une fille de Jean Salles, maître-chirurgien et Fronton Thévenard, notaire royal, assiste à la cérémonie en qualité du témoin P. Lasserre, officier de santé, originaire des Hautes-Pyrénées, veuf de Jeanne Salles, décéda à Saint-Médard le 9 novembre 1814, âgé de quatre-vingts ans.

La même année, par réciprocité, Pierre Lasserre, garçon chirurgien, est témoin au baptême de Benoit, fils de Fronton Thévenard. Le 3 novembre 1787, décéda Jean Salles, chirurgien, âgé de 76 ans. Enfin, le 2 mars 1789, parmi les électeurs signèrent le cahier des tolérances on trouve : Pierre Lasserre et Bernard Abeillé, tous deux qualifiés de maîtres chirurgiens. Le premier habitait à Plantebourg près du chemin du moulin à poudre, une maison à rez-de-chaussée avec façade au midi qui appartient encore à ses descendants : Élie Lasserre et sa sœur Mme Grunessin. Ils figurent au rôle de la contribution foncière de 1790 pour un revenu de 34 livres 7 sous. Le dernier descendant mâle du second est mort il y a quelques années.

De ces lointains confrères, on retrouve seulement quelques reçus d'honoraires libellés à peu près dans les mêmes termes que ceux que nous délivrons maintenant avec cependant cette différence notable qu'il n'y avait pas alors obligation de les illustrer d'un timbre quittance représentant un impôt inconnu de nos ancêtres. Cela n'empêchera d'ailleurs pas certains manuels de prétendre que nos aïeux étaient plus accablés d'impôts que nous.

Les médecins faisaient alors leur tournée à cheval, car il n'y avait pas de routes et les voitures légères n'ont fait leur apparition que sur le second Empire. Ils s'enveloppaient comme tous les cavaliers dans une vaste cape descendant jusqu'aux pieds, le tissu en était extrêmement solide ainsi qu'on peut en juger par celle qui se trouve dans notre maison, le col très large et rigide remontait très haut de manière à protéger l'intervalle existant entre les épaules et le chapeau de feutre aux larges bords qui recouvrait la tête. Ainsi équipés contre le vent et la pluie, ils visitaient des malades parfois éloignés dans ce pays dépourvu de routes et où il n'y avait que des chemins de terre, de simples pistes. Ces quelques renseignements bien incomplets ne nous apprennent rien au sujet des rapports que les chirurgiens avaient avec leurs clients.

Fort heureusement, au milieu du XVIIIe siècle, un paysan de Gajac se mit en tête de ne pas payer les honoraires de son médecin : de son côté, celui-ci ne jugea pas à propos de faire cadeau de cette dette au client récalcitrant. Le résultat de ces volontés opposées fut un procès dont les pièces, conservées par hasard, vont nous renseigner sur le traitement des maladies à cette époque en même temps que sur la procédure suivie alors contre un débiteur de mauvaise foi. Pierre Renouil dit « Le Blayés » habitait avec sa famille une maison lui appartenant située à Gajac. Elle était bâtie sur le talus qui domine le carrefour grand chemin de Bordeaux et du chemin conduisant du moulin de Gajac à la lande de Villeneuve (chemin de la Lande actuel). Sur l'emplacement de cette maison, est bâtie la demeure de Bérard Petiton dont les archives si précieuses contiennent des documents qui seront analysés ci-après.

Cette famille Renouil venait de perdre un procès avec le seigneur de Gajac, Joseph de la Salle, au sujet des droits seigneuriaux que celui-ci avait sur sa maison et qui étaient d'une paire de chapons par an. En 1761, cette rente et ses arrérages se montaient à 86 livres sans préjudice des frais de l'instance à la charge de Renouil, bien entendu. Un peu plus tard, des collecteurs d'impôt feront sommation à Catherine Doussin, veuve Renouil, de payer dix livres 20 sous pour sa quote-part de taille, capitation etc. (1763). Bref, ces gens-là étaient des durs à cuire, des résistants. Leur médecin s'en aperçut lui aussi. Élie Rallion, chirurgien, avait donné des soins et fourni des médicaments à Pierre Renouil, feu sa mère, feu sa femme et ses enfants entre le 5 juillet 1752 et le 3 septembre 1767, soit pendant quinze ans. Il attendit le paiement de ces horaires cinq ans encore après la cessation des soins mais ce fut en vain ! Devant tant de mauvaise volonté, le chirurgien à s'adressa à la justice.

Le 2 août 1772, Antoine Gourmeron, sergent ordinaire de la juridiction de Saint-Médard, qui demeurait à Gajac, donna assignation à Bérard Renouil dit Blayes « à comparoir dans le délay de l'ordonnance au parquet des juridictions de Corbiac, Magudas et Saint-Médard pour se voir condamner à payer au requérant la somme de 143 livres 4 sous. Fait au domicile dudit Renouil parlant à luy qui a pris la présente copie par nous. Signé Gourmeron, sergent. »

Mais le Blayé ne parut pas ému pour si peu, il ne se rendit pas à l'audience qui se tenait place de la pompe actuelle, le demandeur était représenté par son procureur maître Lasserre chez lequel il avait fait élection de domicile conformément à la coutume, que nul ne pouvait actionner en justice sinon par procureur. Celui-ci occupait alors les mêmes fonctions que l'avoué actuel en première instance et appel correspondant aux tribunaux de moyenne et haute justice. Devant les tribunaux de justice de paix correspondant à la basse justice le procureur a été supprimé en 1790. Mais fait piquant à relever, le P. Lasserre dont il est ici question exerçait en même temps la chirurgie à Saint-Médard comme on l'a vu plus haut. Son confrère Rallion lui aussi exerçait les deux professions comme on le voit dans un document de 1767 d'après lequel il était procureur de François Bérard dans un procès contre Guillaume Bérard devant le juge de Saint-Médard. Les deux confrères en chirurgie étaient donc également confrères dans le prétoire. Était-ce pour occuper leurs loisirs ou plus probablement pour augmenter leurs revenus ?

À la requête de Maître Lasserre, le lieutenant de juge Moreau donna défaut contre le défendeur et le condamna à payer la somme de 143 livres 4 sous ainsi qu'aux dépens (1er septembre 1777). Mais le Blayé s'obstina tant et si bien qu'il fallut lui signifier le jugement : c'est ce que fit le sergent Gourmelon le 30 mai 1778 en donnant « très exprès commandement de par le Roy et sa justice... de payer bailler et délivrer incontinent et sans délai au seigneur requérant la somme de 143 livres 4 sous faute de quoi il lui est déclaré qu'il en sera procédé par prise et saisie de ses biens meubles et immeubles partout où il en sera trouvé. Fait au domicile dudit Renouil etc. » Aucune pièce n'indique la suite donnée à cette affaire mais il est vraisemblable que le Blayé se sera exécuté sous la menace de saisie de ses biens.

 

Notes du docteur Arnaud Alcide Castaing sur la paroisse de Saint-Médard-en-Jalles sous l’Ancien Régime et sur la commune de la Révolution au XXe siècle, dossier familial, 1946, 270 pages, p.252-256.