L’apprentissage à la fin du 18^e siècle

La lecture de 32 contrats d’apprentissage extraits des minutes de maitre Pierre Berninet, notaire à Blanquefort, entre 1761 et 1791, nous éclaire sur les conditions dans lesquelles les jeunes apprennent un métier en cette fin du 18^e siècle. Tous les métiers ne sont pas représentés, sont présents : charpentier, charpentier de moulin, charpentier de haute futaie, charron, cordonnier, forgeron, maçon, maréchal-ferrand, sabotier, tailleur de pierre, tailleurs d’habits, tisserand, tonnelier, voilier. Le métier de tonnelier est choisi par 13 des apprentis sur 32, ce qui est de loin le métier le plus représenté. Ces apprentissages ne concernent que des jeunes hommes.

Le futur apprenti, appelé apprentif, est généralement mineur, moins de 25 ans, mais nous ne connaissons l’âge de l’apprenti (16 ans, 17 ans, 18 ans, 26 ans) que pour 6 d’entre eux. L’apprenti est donc présenté à son futur maître d’apprentissage par son père, sa mère si le père est décédé, son tuteur ou son parâtre (mari de sa mère), son frère ou son oncle. Un seul apprenti, Jean Ornon se présente seul à son maître Pierre Delaube, charpentier à St Aubin, on peut supposer qu’il est majeur.

A cette époque, les métiers se transmettent très souvent de père en fils, mais 14 des apprentis sont orphelins de père, ils doivent donc apprendre un métier autrement. Pour les autres, les fils vont apprendre un métier différent de leur père, parfois complémentaire : un père vigneron et un fils apprenti tonnelier, un père laboureur et un fils apprenti charron, un père meunier et un fils charpentier de moulin.

Je note que 3 des apprentis ont un lien familial avec leur maitre :

Jean Danau, charpentier à Eysines, est l’oncle de l’apprenti Richard Miquau,

Bernard Castanet, tonnelier à Parempuyre, est le cousin germain de l’apprenti Pierre Philip,

Jean David, forgeron à Bruges, est le parrain de l’apprenti Jean Caujean.

Par ailleurs Jean et Vital Faugère, 2 frères, sont apprentis tonnelier à moins de 2 ans d’intervalle dans la même famille de tonnelier, Jean avec le père Louis Dabié et Vital avec le fils Raymond Dabié.

Dans cet échantillon, certains maitres instruiront plusieurs apprentis : Louis Dabié 4 apprentis tonnelier, Pierre Ponson 3 apprentis maçon et/ou tailleur de pierre, Jean Dupuy 2 apprentis charron.

Avant de commencer leur apprentissage, généralement les apprentis habitent la même paroisse que leur maître, ou une paroisse avoisinante.

Dans ces contrats toutes les conditions et les obligations pour l’apprenti et le maître sont consignées, les obligations de l’apprenti sont nettement plus nombreuses et contraignantes que pour le maître. Sur aucun des 32 contrats il n’est requis une compétence préalable à l’apprentissage comme, par exemple savoir lire, écrire ou compter. Seuls 11 apprentis: Guillaume Arnade, Jean Bau, Michel Béraud, Jacques Decham, Antoine Dumec, Léonard Dupuy, Jean Faugère, Jean Lauba, Louis Lussac, Richard Miquau, Pierre Philipp savent signer.

Le maitre promet « d’apprendre et enseigner autant qu’il lui sera possible le métier », « du mieux de son pouvoir » ou « autant qu’il lui sera possible » et « ne lui (à l’apprenti) cacher les travaux et ouvrages concernant son dit métier ». L’apprenti devra être assidu, exact et attentif pour bien apprendre le métier et obéir à ce que son maitre lui ordonnera le concernant « pour toutes choses licites et honnêtes ». Jean Mondon est le seul qui s’engage à « le traiter humainement, lui inspirer les principes de religion, lui accorder le temps nécessaire pour assister au catéchisme pour qu’il fasse sa première communion ».

Durée 

L’apprentissage dure entre 2 et 5 ans, en fonction des métiers et peut-être des capacités de l’apprenti. C’est l’apprentissage des métiers de forgeron et tailleur d’habits qui nécessite la durée la plus longue, 5 années. Mais la durée de l’apprentissage pour un même métier n’est pas toujours la même, pour le métier de tonnelier l’apprentissage va de 2 ans à 4 ans, sans doute en fonction de l’âge de l’apprenti et de ses capacités manuelles.

Le contrat de tisserand est très court, 4 mois, mais il propose 1 an de perfectionnement en qualité d’ouvrier et donc rémunéré.

Souvent l’apprentissage a déjà commencé quand le contrat est signé, sans doute pour s’assurer que le métier envisagé convient au jeune homme, qu’apprenti et maître ont des caractères compatibles mais aussi pour juger de la docilité et la dextérité de l’apprenti. Le décalage entre le début de l’apprentissage et la date du contrat peut aller de quelques jours à plusieurs mois. Sur un seul acte, l’apprenti Jean Decours peut arrêter son apprentissage sans contrepartie le premier mois de l’apprentissage chez Pierre Ponson, maçon à Eysines.

Coût ou rémunération 

Une grande disparité entre les apprentissages dont on ne peut tirer une règle générale. 14 apprentissages sont payants dont 8 apprentissages courts (moins de 3 ans), 11 apprentissages sont rémunérés et 7 apprentissages ne sont ni payants ni rémunérés, parmi ces derniers le maitre spécifie « aucun prix ni rétribution compte tenu de la longueur de l'apprentissage ». Mais la durée de l’apprentissage n’est visiblement pas le seul critère qui entre dans la logique de rémunération, un même maître d’apprentissage pour une même durée d’apprentissage rémunère un apprenti et exige un paiement pour un autre, les raisons ne sont pas explicitées.

Lorsque les apprentissages sont payants, ils coutent de 20 à 90 livres par année d’apprentissage, excepté l’apprentissage de tisserand qui coûte 33 livres pour 4 mois soit 100 livres ramenés à l’année. Le paiement est généralement prévu d’être effectué en 2 ou 3 fois.

Le salaire, lorsqu’il existe, est très variable, quelques fois progressif, parfois versé chaque dimanche, parfois versé chaque année. Il est toujours sous condition que l’apprenti termine son apprentissage, sinon il doit rembourser une partie du salaire.

Dans un seul contrat le parâtre de l’apprenti verse une somme à l’apprenti pour s’habiller, 36 livres la première année, 30 livres la seconde année et 24 livres la dernière année.

Parfois l’apprenti reçoit un paiement en nature, Jean Lauba apprenti charron recevra des tabliers dont il aura besoin au cours de l’apprentissage et Antoine Fau recevra un paquet d’outils neufs à la fin de l’apprentissage de tonnelier.

Maladie

Généralement la maladie en cours d’apprentissage est prévue, soit c’est totalement à la charge des parents ou tuteurs soit pour 15 apprentis le maître « le fera soigner et traiter et lui fournira les aliments convenables » sur une période allant de 4 à 15 jours, si la maladie est plus longue les parents ou tuteurs prennent le relai. Les jours « perdus » pour maladie doivent parfois être restitués en fin d’apprentissage.

Absences 

Si l’apprenti vient à s’absenter « sans cause ni raison légitime » avant la fin de l’apprentissage c’est aux parents d’obliger leur fils à revenir et dans la grosse majorité des cas les jours d’absence devront être restitués en fin de contrat.

Si l’apprenti ne revient pas, c’est aux parents ou tuteurs de le remplacer par un autre apprenti de la même capacité pour parachever l’apprentissage. Un apprenti, Mathieu Serre, abandonne au bout d’un an son apprentissage de charpentier de haute futaie, le métier de son défunt père, pour entreprendre un autre apprentissage, celui de cordonnier, on suppose que sa mère l’a fait remplacer chez son maître charpentier de haute futaie.

Logement et nourriture

Le plus souvent l’apprenti est logé, nourri chez son maître d’apprentissage, parfois son linge est entretenu, voire rapiécé, et pour deux d’entre eux l’apprenti est « éclairé ». Le maitre s’engage à « le loger chez lui, le nourrir à son ordinaire accoutumé et lui faire blanchir son linge » ou « le nourrir à sa table de son ordinaire et le loger dans sa maison » ou « le nourrir à son pot et feu ordinaire accoutumé, lui faire blanchir son linge et rapiécer ».

Pénurie de travail 

Il arrive qu’une clause soit ajoutée concernant l’absence de travail dans la spécialité de l’apprentissage. Le maître pourra faire travailler un apprenti tonnelier à la taille de la vigne en hiver ou un apprenti charpentier de haute futaie fera de la maçonnerie avec son maître.

Décès

Aucune disposition n’est prévue en cas de décès du maître ou de l’apprenti, et cependant c’est ce qui arrive à Louis Lussac, apprenti tailleur d’habits chez Antoine Tartas à Blanquefort, il décède le 5 juin 1782 après 7 mois d’apprentissage.

Clauses particulières

L’apprenti tonnelier Guillaume Arnade est autorisé à s’absenter chez sa mère 8 jours pour faire les vendanges, mais il devra restituer les 8 jours en fin d’apprentissage.

Liste des contrats d'apprentissage trié par métier

Sources : archives départementales de la Gironde côte 3E 28250 à 3E 28270. Martine Le Barazer, novembre 2021.