Le couvreur.

Les toits de France représentent un formidable capital de beauté à la portée de tous ceux qui savent les regarder. Construits beaucoup plus en fonction des climats et des matériaux que pour le simple plaisir des yeux, les toits sont néanmoins un éminent facteur d'intégration de l'architecture au site. Ils contribuent par leurs formes et leurs couleurs à la beauté et à la variété des paysages. Formes et couleurs de toitures concourent encore à la singularité des régions, dont elles épousent le caractère. Il est rare qu'un terroir ne leur doive en partie son identité. Qui ne connaît les toits gris de l'Anjou ardoisier, la tuile écaille de l'Alsace, la lauze du Cantal ou de la Lozère, la tuile plate de Bourgogne ou encore la tuile canal du sud de la France ?

Le métier de couvreur, comme tous les métiers du bâtiment, résulte d'une somme de savoir-faire ancien et contemporain. Groupés en corporation dès le Moyen-âge, les couvreurs ne furent reconnus dans le compagnonnage qu'à partir de 1759. Mais ils n'ont véritablement affirmé leur identité par rapport aux maçons et aux charpentiers qu'avec l'utilisation croissante de l'ardoise et de la tuile plate aux 18 et 19èmes siècles. Parallèlement, l'emploi nouveau du zinc, du cuivre et du fer étamé promouvait les métiers de couvreur-zingueur et de ferblantier. L'on trouve dans notre département trois types de matériaux de couverture : l'ardoise, la tuile plate et la tuile canal. Nous nous limiterons au type le plus répandu, nous centrant sur le métier de couvreur de tuiles canal.

Si l'on a coutume de dire que la frontière séparant la tuile canal de la tuile plate septentrionale concorde avec les frontières entre langue d'oc et langue d'oïl, cette règle admet quelques exceptions. Il existe par exemple de nombreuses toitures couvertes de tuiles canal en Lorraine. En fait, il faut plutôt voir dans cette répartition le reflet de l'imprégnation romaine, car n'oublions pas que la tuile canal est d'inspiration latine et se serait imposée dès le 11ème siècle, à l'époque romane, au détriment de la tuile romaine.

Rappelons que les Romains utilisaient pour leur couverture deux types différents de tuiles : les imbrices de forme tronconique, posés sur des tuiles plates à rebords appelées : tegulae. Mais dès le Bas-Empire romain, la tegula commence à disparaître pour être remplacée par un imbrex. Ce principe de la double pose inversée se montrait beaucoup plus efficace d'emploi puisque le même module s'adaptait à toutes les situations de pose, non seulement en versant (pente) mais encore en arêtier et en faîtage On remarquera tout de même que dans certaines régions et notamment la nôtre, les tuiles couvrantes et courantes sont sensiblement galbées différemment dans le but d'avoir une meilleure adhérence à la charpente (galbe concave pour la courante) et une meilleure imperméabilité (galbe convexe pour la couvrante).

De part leur forme semi-tronconique, les tuiles canal s'emboîtent les unes dans les autres d'environ un tiers de leur longueur totale ; les deux tiers restants s'appellent le pureau, sur lequel la patine du temps reste visible. Le même module est utilisé en double pose inversée, ajustant une tuile couvrante dont la partie évasée est tournée vers le haut sur une tuile courante en position inverse.

L'emploi de la tuile canal ne se fera que si la pente de la toiture est comprise entre 20° et 30° ; au-delà, l'emploi d'un autre type de tuiles, ou d'ardoises par exemple, s'imposera. L'on trouve dans notre département trois principes de mise en œuvre. Bien que le matériau soit toujours le même, les techniques de pose traditionnelles dépendent de la structure de la charpente.

Les tuiles courantes peuvent être posées sur : - des chevrons de section triangulaire fixés sur les pannes de la charpente, - des voliges fixées sur les chevrons des pannes, - des liteaux cloués sur les chevrons.

Dans ce dernier cas, la tuile sera munie d'ergots moulés dans la masse lors de la fabrication.

Dans la rénovation du bâti ancien, l'emploi de procédés modernes est de plus en plus fréquent.

Il existe une grande quantité de nouveaux produits industriels à la fois plus légers, plus résistants, plus isolants... qui peuvent remplacer la couche de tuiles courantes et être recouverts par des tuiles de réemploi (mais ces produits possèdent leurs avantages et leurs inconvénients).

Au-delà des techniques de pose sur les versants, le savoir-faire du couvreur est surtout visible sur des détails tels que : - le faîtage où les tuiles sensiblement plus grandes et plus creuses sont scellées au mortier de chaux et posées en emboîtement dans le sens opposé au vent dominant, - l'égout, formé par le débordement des tuiles courantes sur une génoise qui termine le toit, -la rive, qui est traitée grâce au scellement, toujours au mortier de chaux, d'une tuile couvrante qui vient en léger débord sur l'arête du mur, - l'arêtier composé de tuiles canal scellées en faible recouvrement, - la noue, où les tuiles sont retaillées à la demande et l'étanchéité assurée par du métal.

Bien que paraissant insignifiants à l'échelle de l'édifice, ces détails sont indispensables à l'intégration des toitures au paysage. Ils sont les finitions grâce auxquelles on obtient une véritable harmonie des lignes, des formes et de subtils jeux d'ombre et de lumière. Le métier de couvreur s'exerce souvent de père en fils, comme celui de charpentier. Un apprentissage solide est nécessaire au couvreur pour assurer aux couvertures étanchéité, sécurité, longévité et beauté. Comme la charpenterie, la couverture exige des aptitudes physiques et un sens aigu de l'équilibre, tant son « plan » de travail est inconfortable et fragile. « La hauteur à laquelle il travaille confère au couvreur une certaine liberté d'esprit dont il tire souvent une personnalité moqueuse, tel le merle sur les branches du platane... » (M. Pagnol). L.T.

Texte extrait de la Lettre du patrimoine de France, Conseil Général de la Gironde, novembre 2000, n°22.

Bibliographie sommaire :

- Encyclopédie des métiers : l'art du couvreur, Compagnons du devoir.

- Les toits des pays de France : J. Y. Chauvet, Ed. Eyrolles.