Le couvreur d’ardoise.

L'évolution des techniques de mise en œuvre de l'ardoise, depuis le 11ème siècle est considérable. À l'origine, les matériaux étaient grossiers, aussi devait-on les maçonner pour faire tenir les grandes plaques de schiste sur le toit. Plus tard, lorsque l'on sut tirer parti de la fissilité du schiste pour en extraire des éléments plus plats et réguliers, plus légers, mais aussi moins stables, on les fixa sur le support de la couverture à l'aide de chevilles en bois ou en plomb. Groupée en corporation dès le Bas Moyen-âge, la communauté des maîtres couvreurs de Paris fut confirmée dans ses statuts en 1566 par lettre patente de Charles IX et c'est en 1759 qu'ils furent reconnus dans le compagnonnage.

Mais les couvreurs n'ont véritablement affirmé leur identité, par rapport aux charpentiers et aux maçons qu'avec l'utilisation croissante de la tuile plate et de l'ardoise aux 18 et 19èmes siècles, grâce aux progrès que l'on fit sur les exploitations ardoisières notamment ceux de découpe, de tranchage et de rondissage qui permirent de livrer à l'utilisateur un matériau de dimensions précises et prêt à l'emploi. Le support de la couverture était autrefois constitué de grosses planches, puis de lattes refendues en chêne ou en châtaigner. Ensuite, on utilisa des lattes en sapin ou en peuplier, mais ces premières étaient rapidement piquées par les vers, tandis que les secondes se déformaient. D'autre part, les clous tenaient mal dans ces bois, ce qui explique que jusque vers 1850, il n'y eut que d'assez mauvaises couvertures en ardoise. À partir de cette date, on commença à se préoccuper d'y apporter quelques améliorations.

En 1860, on fit venir des bois du Nord de meilleure qualité (épicéa) qui permirent de donner aux couvertures une apparence plus plate. Mais c'est surtout en 1874 qu'aboutirent les recherches des inventeurs avec le changement de mode de fixation des ardoises. Les progrès de la tréfilerie et de la galvanisation permirent la fabrication des crochets, ce qui eut pour conséquence de révolutionner les techniques de pose. En effet, la pose au clou est très délicate car le percement de trous dans l'ardoise peut provoquer la casse et la perte du matériau tandis que la pose au crochet est nettement plus rapide et les pertes réduites au minimum. Traditionnellement, la couverture en ardoise était posée sur des pentes comprises entre 40 et 60 degrés. Grâce aux progrès des chercheurs au 19ème siècle et aux efforts des exploitants d'ardoisières, les pentes minimales ont pu être abaissées à 11 degrés. Comme l'ardoise peut être posée sans difficulté à la verticale (l'essentage), elle est l'un des matériaux de couverture s'adaptant le mieux à toutes les formes de pentes dans la construction.

La couverture en ardoise est formée par l'assemblage d'éléments plats disposés en rangs horizontaux bord à bord et à joints décalés, leur plus grand côté étant posé parallèlement à la ligne de plus grande pente.

L'étanchéité est obtenue par le recouvrement latéral et vertical des ardoises suivant des règles variables et précises, qui tiennent compte tant de la valeur de la remontée d'eau par capillarité ou par l'effet du vent entre deux ardoises, que de la pente du toit, de la zone d'application et du site de la construction, ou encore de la longueur du rampant et du mode de fixation des ardoises. (Note : l'ardoise est divisée en trois parties égales : le pureau apparent, le pureau caché et le recouvrement (tierçage). Lorsque la couverture est terminée, le pureau apparent est la partie visible de l'ardoise. C'est le pureau qui règle l'échantillonnage des voliges dans la couverture en ardoise posée au clou sur un voligeage à claire-voie, ou qui, pour la couverture à crochet donne la distance de bord supérieur à bord supérieur des liteaux.)

Une fois le type d'ardoise et le mode de fixation déterminés, le couvreur peut installer le support sur lequel il viendra poser les ardoises. Ce support, fixé sur les chevrons de la charpente, peut être formé soit de voliges s'il s'agit d'une couverture posée au clou ou au crochet à pointe, soit de liteaux pour la pose au crochet à agrafe. La pose des ardoises s'effectue de l'égout au faîtage. Le couvreur procède aux opérations de traçage à l'aide d'une pige pour l'échantillonnage qui consiste à repérer l'entière de la demie (lignes de chaîne et de contre-chaîne) dans le sens de la pente, puis à l'aide du cordeau pour le lignage, opération qui consiste à reporter les points sur les lignes parallèles à l'égout et au faîtage.

L’approvisionnement et le stockage des ardoises sur le toit se font par accrochage de celles-ci sur le support : le couvreur procède par « ourne », surface égale à une largeur de travée verticale correspondant au nombre d'ardoises qu'il peut poser sans se déplacer latéralement. Ce mot est la déformation du mot « heure » qui désignait le chevalet mobile sur lequel était agenouillé le couvreur. Il dispose dans chaque ourne le nombre d'ardoises nécessaire pour couvrir l'ourne de gauche ou de droite. Une ourne est laissée libre au départ entre les ardoises ainsi disposées et l'ourne à couvrir, pour permettre le passage. La pose proprement dite des ardoises s'effectue ourne par ourne et le plus généralement en « échiquette », c'est-à-dire en diagonale, certains couvreurs posent les ardoises, rang par rang ou en V.

Les ouvrages de coupe et de raccord délimitent les versants de la toiture (égouts, rives, arêtiers, faîtages et noues) ou raccordent celle-ci aux souches, aux châssis, aux lucarnes... leur réalisation doit être conduite avec le plus grand soin car d'elle dépendent l’étanchéité, la solidité et la longévité de la couverture. Dans tous ces cas, le couvreur est obligé de retailler chacune des ardoises sur place. Il dispose pour cela d'une enclume portative qu'il fixe sur les chevrons de la charpente et à l'aide de son marteau de couvreur, il pourra recouper chacune de ces ardoises qui seront fixées à ces endroits sensibles de la couverture. Pour les arêtiers comme pour les noues, par exemple, les ardoises en approche de la rencontre des deux pentes seront retaillées sur leur long côté de manière à ce que ce dernier devienne parallèle à l'axe de cette rencontre.

Souvent, ces points particuliers de la toiture font l'objet de la part du couvreur d'un travail non seulement technique mais aussi d'un raffinement esthétique. Il n'est pas rare de remarquer des ardoises taillées en carré et disposées en losange pour les protections des chevrons de rive, système appelé « bardeli », ou bien d'autres encore, dont la partie inférieure est taillée en pointe, remarquables sur le dernier rang au niveau du faîtage, appelé « liqnolet ». La relative facilité de taille de ce matériau qu'est l’ardoise permet également d'obtenir de nombreux dessins visibles sur les pans de toiture qu'elle recouvre : couvertures en nid d'abeille, en écaille, à pureau découpé, en feuillage, en trèfle, en diagonale losangée... démontrent toute la créativité du maître d'œuvre et toute l'ingéniosité du couvreur face à ce matériau exceptionnel qui permettra de couvrir les toitures les plus complexes.

Enfin, l'ardoise est très souvent associée à d'autres matériaux pour les faîtages ou les arêtiers tels que la tuile creuse ou le zinc. L'ardoise reste pour l'homme de métier un matériau de prédilection parce qu'elle épouse admirablement toutes les formes de toiture, qu'elle est agréable à façonner et ne pose pas de difficultés particulières de mise en œuvre. Elle permet au contraire au couvreur d'exercer l'art de son métier de façon la plus achevée. L.T.

Texte extrait de la Lettre du patrimoine de France, Conseil Général de la Gironde, janvier 2002, n°27.

Pour compléter lire l'article sur l'ardoise et l'ardoisier.

Pour en savoir plus :

- Encyclopédie des métiers-l'art du couvreur, Compagnons du Devoir.

- Les toits de pays de France, J .Y.Chauvet, Ed. Eyrolles.