L'ardoise et l’ardoisier.

L'ardoise évoque instantanément les toits bleutés des pays de Loire. Pourtant, sous des aspects différents, dont certains rappellent davantage la lauze de schiste que l'ardoise fine d'Angers, elle a permis de réaliser les toitures de nombreuses régions. L'ardoise est un matériau naturel qui présente des qualités exceptionnelles en matière de résistance mécanique, d'inaltérabilité et donc de longévité. Parfaitement étanche et donc non gélive, l'ardoise constitue l'un des meilleurs matériaux de couverture, très bien adapté à toutes formes de toitures et de pentes comprises entre 20 % et la verticale. L’usage des ardoises pour la couverture des édifices n'était pas connu des anciens, qui n'employaient que la tuile de terre cuite. Les premières exploitations en France se situent dans les Ardennes : une charte du 11ème siècle déposée aux archives de Fumay, nous apprend qu'il y était situé une confrérie d'ardoisiers.

Mais il faudra attendre les 14 et 15èmes siècles pour voir s'ouvrir les carrières d'Anjou, de Bretagne, de Savoie, des Pyrénées et de Corrèze. Et ce n'est qu'à partir de la Renaissance et grâce au développement d'une architecture majestueuse que l'emploi de ce matériau en couverture va se répandre dans tout le royaume de France. En dehors des territoires d'exploitation, l'ardoise est un matériau de couverture prestigieux et onéreux, c'est pourquoi on ne la rencontre guère que sur les églises, châteaux, portes de ville, maisons bourgeoises et autres beaux ensembles urbains, comme ceux dont Bordeaux s'équipe aux17et 18èmes siècles. À partir de la Renaissance, l'ardoise devient le matériau de prédilection de nombreux architectes : elle libère le créateur d'un certain nombre de contraintes, lui permettant d'imaginer et de créer des formes de toitures inédites et infiniment plus variées qu'auparavant.

Les ardoises se sont formées à l'ère primaire, entre 500 et 190 millions d'années, à partir de boues provenant de l'érosion de reliefs, déposées en milieu marin sur plusieurs centaines, voire plusieurs milliers de mètres d'épaisseur. La variabilité de composition de ces boues, selon leur prédominance en silice, feldspath ou mica, explique les différentes natures chimiques des ardoises, leur irrégularité de résistance mécanique et leur diversité de couleurs : les ardoises peuvent être à nuances rouges, bleues, vertes, grises et noires.

Dans le bassin d'Angers, à Trélazé, elles sont d'une teinte bleue à bleue-noire, tandis que dans le bassin des Ardennes, à Fumay, la teinte est violacée à vert-rouge. Ce schiste argileux d'un grain fin et dur a l'avantage d'être compacté en feuillets réguliers, plus ou moins faciles à débiter en plaquettes minces ou en dalles de plus forte épaisseur, suivant des plans sensiblement parallèles, dits plans de fissibilité. Pour arriver au produit fini, la belle ardoise, une chaîne de plusieurs opérations est nécessaire : l'extraction, la fente du bloc et la taille de l'ardoise. Revenons sur chacun des stades de fabrication traditionnelle de l'ardoise.

Jusqu'au milieu du 19ème siècle, les carrières d'extraction étaient pour la plupart souterraines. Après l'enlèvement des terres et des premiers bancs d'ardoise trop tendres donc inutilisables appelés « feuilletis », les ardoisiers procédaient dans les galeries à l'abattage des bancs ou bordées, en tranche de 2 à 3 m de long. Cette opération se faisait à l'aide de coins de bois enfoncés dans les rainures du banc et de barres de fer pour faire levier jusqu'à ce que la pièce de schiste se sépare du banc, en suivant son pli naturel. Ces blocs étaient ensuite débités en plaques plus fines, les dalles ou crénons, transportables autrefois à dos d'homme puis par wagonnets. Cette opération dite d'alignage demandait déjà un examen rapide afin de déterminer le sens de fissibilité du bloc et se faisait à l'aide d'un outil appelé le tailladé, sorte de grand ciseau que l'ardoisier plaçait dans les rainures et qu'il frappait à coups de masse. Ces crénons étaient ensuite remontés à la surface pour y être sciés en blocs parallélépipédiques de longueur et de largeur à peine supérieures à celles des futures ardoises : c'est le quernage.

Les blocs obtenus, épais de 10 à 20 cm, étaient alors refendus pour obtenir les répartons. Cette opération, dite de fendage, demandait un examen rigoureux de chacun des blocs car la présence d'un grain de pyrite ou encore celle d'un pli vertical, appelé poil, peut la faire rater : le fendeur devait parfaitement repérer le lis, fine bande horizontale lisse dans laquelle il engageait sa douge (burin) qu'il frappait avec un maillet pour détacher les répartons. Ces derniers, épais de 8 à 10 cm, étaient refendus en feuillets ou quartelles d'environ 2 à 3 cm d'épaisseur (toujours dans le sens de la fissibilité), eux-mêmes encore refendus en fendis qui déterminaient l'épaisseur finale de l'ardoise (jamais inférieure à 8 mm). Les fendis obtenus étant de forme irrégulière, l'ardoisier les travaillait avec un piquet, enclumette en bois terminée par une partie effilée en fer qui permettait une taille nette. Tout d'abord, il prenait un marteau à tête tranchante dont le manche mesure 33 cm, dimension type de longueur d'ardoise. Avec le manche, il marquait la longueur sur le fendis, puis perforait de petits trous suivant la ligne tracée et, d'un coup sec de la main, il séparait la pièce en deux. L'équerre et la tranche parfaite s'obtenaient sur le fer coupant de l'enclumette.

Chaque ardoise était alors ramenée à ses cotes précises : cette finition s'appelle le rondissage. Depuis, l'industrie ardoisière a bien sûr réalisé d'importants progrès techniques et la mécanisation a largement modifié le métier d'ardoisier. Les machines ont remplacé les outils et les gestes ancestraux. Comme pour les carrières de pierres, l'extraction, désormais le plus souvent à ciel ouvert, se fait à l'explosif, la plupart des manutentions sont supprimées grâce à l'emploi de chargeurs mus à l'électricité. Les opérations de surface se font en atelier où des engins de levage des blocs facilitent l'alignage, le sciage au fil de diamant remplace le quernage, tandis que le fendage est facilité par des dispositifs pneumatiques programmés. Bien qu'aujourd'hui très mécanisé, le travail de l'ardoise reste fort spécialisé et les techniques de pose nécessitent l'intervention de professionnels expérimentés : le poseur d'ardoise reste le prince des couvreurs. L.T

Texte extrait de la Lettre du patrimoine de France, Conseil Général de la Gironde, octobre 2001, n°26.

Pour en savoir plus:

- Musée de l'ardoise de Trélazé - 32, chemin de la Maraichère - 49800 Trélazé

- Jean-Yves Chauvet, Les toits des pays de France, Ed Eyrolles, 1996.