Le marchand de peaux de lapins.

Le marchand de peaux de lapins a, selon Balzac, trois qualités principales : la sobriété, l'économie et la patience. À des époques où rien n'est jeté et tout récupéré, ce petit métier de gagne-misère se pratique non seulement dans les campagnes mais aussi dans les villes.

Le cri d'appel du marchand : « Le drôle crie à pleine tête, Ayant retroussé son chapeau, Oye s'il n'a pas mangé la bête, Du moins il achète la peau », écrit Balzac. Les cris glanés ça et là dans les mémoires des anciens de nos campagnes sont moins rimés mais plus efficaces: « Peaux de lapins, peaux de lapins, peaux ! » ou, selon le parler local : « Piaux de lapins, piaux ! ». Ça s'entend de loin ! Selon les époques, il passe à pied avec un sac ou un bâton pour accrocher les peaux, avec une carriole à bras ou à chien, un vélo avec une remorque ou de grosses sacoches, une 2CV ou une 4L sur la fin. Il porte une veste, une blouse (avant 1914) ou un gros paletot aux multiples poches pleines de bouts de ficelles (pour attacher les peaux de lapin) et de billets (pour les payer). Et il n'hésite pas à s'arrêter quelques minutes pour boire un café ou un petit coup de rouge...

Quelle clientèle et où ? : en 1950, ces marchands ambulants collectent encore en France un total de cent millions de peaux de lapin par an ! Car toutes les familles élèvent autrefois quelques lapins pour la consommation personnelle, y compris en ville. Pas de souci d'espace : un clapier se loge partout. Pas de problème d'alimentation : de l'herbe des bords de chemin, les épluchures des légumes et des pommes, des quignons de pain rassis, c'est bon. Le lapin se mange le dimanche, et comme on ne jette rien, la peau sert aussi. Certaines ménagères ont appris à la tanner et l'utilisent pour fourrer des chaussons ou des bottes, ou pour réaliser un manteau ou une couverture. D'autres la vendent au marchand de peaux de lapins, une sorte d'acheteur ambulant qui passe dans les rues toutes les trois semaines ou tous les deux mois selon la taille des communes. Entre les deux guerres, la collecte se ralentit dans les villes. Elle continue dans les campagnes jusqu'aux années 1970 puis s'arrête. Les modes de vie ont évolué : les gens achètent leur lapin « nu » en boucherie ou en supermarché et les fermiers qui ont encore un petit élevage personnel jettent les peaux.

Quel prix d'achat ? : en 1960, selon la taille, l'épaisseur du poil et son état, le marchand achète chaque peau de 0,10 à 0,15 F (le smic horaire est de 1,64 F). Il paie plus cher les peaux de lapins blancs, angoras ou bleus. Pour les femmes qui guettent son passage, les quelques sous laissés font un revenu d'appoint.

Pour quel usage ? : le marchand n'utilise pas les peaux récoltées, il les revend. Les plus belles partent chez des tanneurs ou des fourreurs locaux, les autres sont destinées aux chapeliers. Il faut environ cinq peaux pour la quantité de poils nécessaire à la réalisation d'un chapeau de feutre. Selon sa qualité, ce type de chapeau, à la mode jusqu'aux années 1960, consomme entre 75 et 100 g de poils de lapin. Et, comme rien ne se jette, la peau restée nue est ensuite découpée en lanière pour fabriquer de la colle.

Saviez-vous qu'un marchand de peaux de lapins a fini général ? Il s'agit de Jean Humbert (1767-1823), marchand de peaux de lapins en 1789, volontaire dans les armées républicaines en 1792, passé général de brigade en deux ans, en 1794 !

Extraits du livre : les métiers d’autrefois, Archives et culture, Paris, 2014, p.134.