L'anthroponymie
Le stock onomastique passe continuellement des lieux aux personnes et des personnes aux lieux. L'homme prend le nom de la maison ou du hameau où il fixe sa résidence, mais il lui arrive aussi d'apporter un nom et de le transmettre à la maison qu'il bâtit. Et les relevés anthroponymiques et toponymiques sont en grande partie identiques, même dans ce Bordelais ouvert à toutes les influences extérieures et depuis longtemps lieu d'immigration. On peut donc négliger les éléments du corpus toponymique étudié ci-dessus (formations romanes ou occitanes) qui sont tous aussi des anthroponymes, pour examiner d'autres séries plus originales.
Parmi les noms de baptême devenus patronymes, les plus locaux et les plus caractéristiques, sont Amanieu, Aymeric (et diminutifs Méric, Mérigot), Bernat (diminutif Bernadet), Estèbe, Eyquem, Fort (diminutif Fourton, Fortin), Gassie, Gaussem, Guilhem, Micouleau, Miqueul/Miqueau, Nadau, Peyr (diminutif Peyrot), Ramon (diminutif Ramonet, Mounet, Mounic), Ricard, Sans, Seurin. En composition Arnaudguilhem, Mestreguilhem, Guichamaud (Gassie-Arnaud), Guicheney (Gassie Aney), etc.
Les noms de localités d'origine sont très nombreux, mais on peut observer que ce sont toujours les mêmes noms qui reviennent à satiété, alors que d'autres toponymes ne sont pas représentés : Barsac, Bernos, Caudéran, Cavignac, Callen, Contis, Dignac, Douence, Fronsac, Frontenac, Hostens, Juillac, Lesparre, Loupiac, Luxey, Mano, Mauriac, Mérignac, Montignac, Paulhac, Sore, Soulignac, Tartas. Il y a aussi des noms tirés du pays d'origine : Albigès, Biarnès, Bigorre, Biscaye, Bougès (du pays de Buch), Comminges, Darmagnac, Dastarac, Navarre, etc.
Les sobriquets et noms de métiers sont à l'origine de plusieurs anthroponymes. Des noms comme Mouret, Nègre, Sarrazin sont, en fait, des sobriquets appliqués à un individu à la peau noire. Un nom de métier peut aussi se transmettre aux descendants comme un sobriquet, d'où les nombreux Béguey (viguier), Bayle (bailli), Perbos (prévôt), Baquey (vacher), Bassibey (berger), Barbey (barbier), Bouquey (boucher), Bouey (bouvier), Faure (forgeron), Mouliney (meunier), Roudey (charron), Técheney (tisserand), etc. (D'après Jacques Boisgontier dans Bordelais-Gironde, 1990).
Le français parlé aujourd'hui en Bordelais est évidemment largement marqué par le substrat gascon. Si la vieille langue vernaculaire a reculé plus tôt en milieu urbain, elle a survécu, sous des formes plus ou moins « patoisantes », jusqu'à la veille du second conflit mondial, dans les campagnes. L'accent, la syntaxe calquée sur les structures occitanes et un fonds lexical pittoresque font du parler populaire de la région de Bordeaux, parfois appelé « bordeluche », le témoin majeur du patrimoine linguistique de ce secteur. Dernier avatar d'une longue évolution que l'on ne peut que regretter, il a fait l'objet d'une étude réalisée par Jacques Boisgontier dont se sont inspirées les lignes qui suivent. Les « régionalismes » les plus vivants dans le lexique, dans les tournures syntaxiques mais aussi dans les emplois grammaticaux de verbes français y sont présentés.
Texte extrait de Gironde, Encyclopédie Bonneton, 2002, Bénédicte Boyrie-Fénié, p.177-180.