La Lebade 

La Lebade, ou grand chemin de Bordeaux à Soulac est une ancienne voie qui traversait notre région. Elle est parfois nommée Magna via de Solaco ou grand camin bourdalès.

Le « Livre des bouillons » qui transcrit les anciens privilèges de la ville de Bordeaux l’évoque à propos de la légende de Cenebrun qui s’était retiré « dans sa terre de Médoc avec sa femme et d’immenses trésors. Mais Galienne, sa mère, qui ne pouvait vivre sans lui, fit faire, à travers les bois épais qui la séparaient du Médoc, un chemin uni et droit comme une corde, qui allait de son palais jusqu’à la mer ». Galienne serait la fille aînée de l’empereur Titus, Cenebrun serait le fils de Vespasien ; c’est également le nom du fils qu’il eut avec Galienne. Cette légende, même si elle est contestable, atteste l’ancienneté de cette voie.

On trouve des traces de la Lebade dans la carte levée au début du 18e siècle par Claude Masse qui en a dessiné d’importants tronçons (qu’il attribuait faussement aux Anglais !). De nombreux actes notariés des 17e et 18e siècles citent « le grand chemin de Bordeaux à Soulac » pour des confronts de propriétés.

Cette voie quittait Bordeaux par la porte Médoque (entrée de la rue Sainte Catherine), suivait les allées de Tourny, les rues Fondaudège, de la Croix Blanche et Ulysse Gayon, l’avenue d’Eysines. Elle traversait Eysines par l’avenue du Taillan (devant le château de la Plane et à proximité de Gleyse où une hallebarde de bronze a été trouvée dans un tumulus aujourd’hui disparu) et franchissait la Jalle à Jallepont (où a été découverte une amphore romaine sous les fondations du pont et près de l’ancien village de Bussac).

Dans la traversée du Taillan elle passait par le lieu-dit « La Caussade » (la chaussée) puis par une suite de chemins, pour la plupart devenus des rues (rue de Lacaussade, avenue de Germignan, chemin de Cantegric, chemin de Jau qui correspondent à l’ancien chemin de Brun). Puis vient le Pian. Elle le traversait à l’ouest de Louens. Sa trace est très visible sur la carte IGN au 1/25.000, édition 1984, et sur les photos aériennes du milieu du 20e siècle où elle subsistait sous la forme d’un chemin forestier. Elle a maintenant disparu avec l’aménagent du golf.

Après le Pian, elle entrait dans Arsac pour traverser l’actuelle route de Lesparre au niveau du Salzet (où ont été découverts plusieurs tumulus) et franchissait le Besson près de l’ancienne chapelle de Birac. Toute cette zone ayant été remaniée par l’aménagement d’une zone d’activités et les cultures, il n’y subsiste aucune trace.

Pour Bordeaux et Eysines, il est facile de la situer puisqu'elle suit des voies existantes.

Les croquis du Taillan et du Pian ont été réalisés sur la carte IGN au 1/25000 édition 1990. Le trait est plein lorsqu'il est marqué sur la carte, il est en tirets ailleurs.

 

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             Croquis de la levade au Taillan-Médoc.                      Croquis de la levade au Pian-Médoc.

La photo jointe, extraite d’un cliché IGN de 1956, montre sa traversée de la route qui, à Louens, part plein ouest. Ce carré entouré de fossés avait été considéré comme un fort romain par un curieux qui en voyait partout. Aurait-il eu raison ?

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Article et croquis Michel Baron.

Nouvelles données sur la Levade du Médoc

La présente note est un condensé de la communication effectuée lors de la causerie organisée par le CHB à la maison du patrimoine de Blanquefort le 14 octobre 2022, résultat d'une initiative du regretté Michel Baron, à qui je tiens à rendre hommage ici.

La Levade du Médoc est un ensemble de vestiges d'une route ancienne caractérisée, sur les parties mal drainées du territoire qu'elle traverse, par son élévation formant un large dôme aplati qui lui a donné son nom. Elle est surtout visible dans le sud de la péninsule, entre Le Taillan-Médoc et Avensan d'une part, Saint-Laurent et Saint-Sauveur d'autre part. Depuis le Moyen-Age (légende de Cénebrun) elle est considérée comme la partie visible d'un axe plus ancien qui reliait Bordeaux à l'embouchure de la Gironde. Son tracé n'était pas éloigné des axes actuels, car il est comme eux largement dicté par les contraintes de la géographie, qui commandent d'éviter, autant que possible, les sables mal drainés des landes girondines à l'ouest, et les vallons marécageux des esteys qui jalonnent l'estuaire à l'est, pour profiter des appuis plus fermes que fournissent les graves et les calcaires du Médoc central.

Les vestiges de la Levade ont fait l'objet de remarquables travaux à la fin du XXe siècle, principalement de la part de D. Brocheriou associé à M. Baron. Ils ont notamment montré que par endroits, par exemple au nord de Castelnau-de-Médoc, il fallait distinguer une route de construction anglo-gasconne du tracé de la Levade, présumée antérieure. Toutefois, la datation de celle-ci demeurait incertaine, et les ouvrages sur l'Aquitaine antique l'ignoraient souvent, faute d'éléments de datation probants.

L'occasion de progresser vers la résolution de ce mystère fut fournie dans les années récentes par une conjonction d'éléments favorables : la vigilance d'une équipe de veilleurs attentifs à protéger le patrimoine (D. Brocheriou, M. Seutin, S. Boisseau), des occasions fournies par les circonstances (tempête Klaus, extension de la zone d'activités d'Arsac), le soutien des institutions (Ausonius, Service Régional d'Archéologie) et la bienveillance des aménageurs (propriétaire, municipalité). Il en est résulté deux interventions sur la commune d'Arsac, dont les résultats qui se complètent ont permis des avancées importantes.

La première a concerné la Chapelle de Birac, édifice disparu que J. Clemens avait identifié comme une sauveté du XIIe siècle, localisé et fouillé en 1964, sur le tracé de la Levade, qui n'est pas apparente à cet endroit. Une intervention a eu lieu sous ma direction en 2012, avec le soutien d'Ausonius, pour étudier les rapports entre sauveté médiévale et Levade. Au préalable, le laboratoire de géomatique d'Ausonius a réalisé des relevés GPS qui ont montré l'alignement des tronçons de la Levade de part et d'autre du segment disparu, et facilité le repérage des fondations de la chapelle. Lors de la fouille, il est apparu que la Levade avait été détruite et ses matériaux utilisés pour assainir les terrains du hameau médiéval, il n'en restait en creux que la trace d'un des fossés latéraux. Mais la répartition des monnaies recueillies par S. Boisseau autour du site et le long de la route fossile allait dans le sens d'une utilisation antique de la Levade, avec dispersion sur le site de la sauveté. Par ailleurs, une coupe stratigraphique opportunément taillée par le creusement d'un fossé de drainage au nord de la chapelle montrait que la Levade comportait deux états successifs (avec puis sans fossés latéraux), mais n'apportait pas d'éléments de datation.

Ceux-ci ont été fournis par la seconde intervention d'Arsac, un peu au sud de la première : l'extension de la zone d'activités de Chagneau sur la lande de Boutuges a donné lieu en 2018 en effet à une fouille dédiée d'une certaine ampleur, confiée à l'entreprise Hadès, et dirigée par X. Perrot. Sept transects de la Levade ont été réalisés, et certains ont fait l'objet d'une fouille horizontale. Celle-ci a confirmé l'existence de deux états successifs : le premier forme une chaussée large de 6,30 m faite de grave tassée très compacte encadrée de deux fossés latéraux ; au second état, la chaussée est plus large (9 m) et recouvre les fossés antérieurs, la grave moins tassée forme un revêtement plus souple et plus confortable. Les éléments de datation sont peu nombreux, mais significatifs : pour l'état 1, quelques tessons de céramique de facture antique, dont un probable fond d'amphore gauloise, et dans l'état 2 une boucle de ceinture datée de la fin du 5e ou du début du 6e siècle. Tous vont dans le sens d'une voie antique, et rejoignent l'indice fourni par les monnaies.

Au vu de ces éléments, il apparaît de plus en plus probable que la Levade soit bien une route datant de l'époque romaine. Mais d'autres interventions sont à souhaiter, dans d'autres secteurs, pour confirmer celles-ci et fournir des éléments qui font encore défaut sur la durée d'utilisation de la Levade.

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FD-1 : Vue de la Levade prise par drone à la Lande de Boutuges, en début de fouille. Cl. Hadès 2018.

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FD-2 : Les deux états de la Levade à la Lande de Boutuges. Sondage 4, cl. Q. Baril.

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FD-3 : Les deux états de la Levade à la Lande de Boutuges, vus en coupe : X. Perrot, Hadès 2019, mod. M. Courrèges-Blanc, Ausonius 2021.

François DIDIERJEAN, membre associé d'Ausonius (CNRS-Université BordeauxMontaigne).