La mobilisation en août 1914 

Citoyens, c’est la guerre ! La mobilisation heurte de plein fouet la vie des paysans et des citadins. 3,6 millions de Français, en majorité des paysans, rejoignent le front à partir du 2 août. Parmi eux, 406 000 viennent du Sud-Ouest.

Le 1er août 1914, à 16 h 40, l'État-major de la 18e région militaire de Bordeaux, rue Vital-Carles, réceptionne l'ordre de mobilisation générale. Tous les hommes de 20 à 48 ans sont appelés sous les drapeaux : c'est la guerre. Sinistre, le tocsin sonne dans tous les clochers de la Gironde où l'on placarde des centaines d'affiches…

Dans un « ordre parfait », la mobilisation s'étalera jusqu'à la mi-août. Dès le 2, les réservistes affluent à Libourne qui abrite les 678 cavaliers du 15e régiment de dragons, et à Bordeaux, dans les casernes Niel, Boudet, Nansouty, Pelleport et Xaintrailles. Malgré l'ambiance plombée, on rit parfois : le 3 août, au marché des Capucins, une marchande offre des fruits à un troupier. D'autres suivent et se mettent à le bombarder, lui et ses camarades, de pêches, choux, carottes et prunes. Les « pious-pious » repartent chargés de nourriture et contents, sourit le journal qui, moins drôle, appelle aussi à « dénoncer les espions ». Le 5 août, la foule escorte le 144e régiment d'infanterie vêtu de drap bleu et du fameux pantalon rouge garance. Les larmes coulent. Résolus, les soldats défilent cours Victor-Hugo en chantant « Vous n'aurez pas l'Alsace et la Lorraine », avant de s'embarquer gare d'Orléans, à La Bastide : direction la Lorraine et le front. Sans cocoricos mais avec sérieux : on fait son devoir et on veut en découdre avec les Allemands. Et puis on a une certitude : le conflit sera court, pas plus de trois mois. Au pire, on sera de retour à Noël…

La guerre durera quatre ans et 19 844 Girondins mobilisés seront tués, comme le jeune écrivain bordelais, Jean de la Ville de Mirmont, ami de François Mauriac, mort au chemin des Dames le 28 novembre 1914. Mais il y aura aussi des miracles : les six frères de la famille Besnier, de Blanquefort, reviendront tous sains et saufs.

Qui va s’occuper de la ferme ? En pleine moisson, le tocsin prend le monde rural de court. Mal informés, les paysans ne s’attendaient pas à la guerre. À la différence des ouvriers, tous ceux qui sont en âge d’être mobilisés le sont : dans les campagnes, c’est la catastrophe et l’angoisse. Comment assurer les récoltes ? Et la prochaine vendange, qui la fera ? Mieux préparés à l’inéluctable, les citadins balancent entre enthousiasme patriotique, résignation, peur et détresse : la vie ordinaire, c’est fini. Les magasins licencient leurs employés qui partent au front. Les femmes s’inquiètent : « Les hommes de plus de 45 ans sont-ils mobilisés ? ». « La Petite Gironde » ouvre une rubrique quotidienne de « Réponses aux questions ». Avant de partir à la guerre, on se marie à tour de bras et la colonne des avis de mariage s’allonge dans le journal.

À Bordeaux, l’absence des hommes réduit le service des tramways. Les cafés ferment à 8 heures, par « ordre de la ville », et le soir, la foule déambule sans gaieté dans les rues. Dès le 3 août, le maire, Charles Gruet, en bon organisateur, fait voter par le Crédit municipal un crédit de 100 000 F, destiné aux familles nécessiteuses que les hommes enrôlés ne peuvent plus nourrir. Arcachon fera de même. À Soulac, Margaux et Blaye, on publie les derniers succès au certificat d’étude. On annule les colonies de vacances avant d’ajourner l’ouverture de la chasse : personne ne songe à crier au scandale.

Article du journal Sud-ouest du 4 août 2014, Cathy Lafon.