La diversité de l'habitat 

La diversité des maisons est liée à l'histoire ; les bâtiments ont évolué au cours des temps pour s'adapter à des activités agricoles nouvelles : la polyculture vivrière permettait de produire un peu de tout pour les besoins familiaux, mais la vigne l'emportait autour de Bordeaux, les céréales ou l'élevage ailleurs. Le bâti dépendait toutefois de facteurs communs : le climat océanique humide et ventilé imposant une orientation des façades à l'est ou au sud-est par exemple...

Les habitats archaïques sont en pierres sèches ou couverts de chaume ou de « brande ». Ainsi, en Blayais-Bourgeais, les cabanes rondes, utilisées comme abris de vigne, sont bâties sans charpentes, en pierres sèches posées en encorbellement à la façon des « garriottes » du Périgord. En Bazadais, les « bordes » au toit de chaume ou de bruyère n'ont pas totalement disparu ; ces anciennes bergeries sont construites autour d'une cour ronde (par exemple à Goualade) ou carrée servant de parc à moutons. De tradition latine, les maisons à « cul levé », de petites dimensions et carrées, abritaient une famille dans une pièce unique surmontée d'un grenier, sous un toit à une seule pente...

À la fin du Moyen Age et à la Renaissance se sont multipliées les maisons à « deux eaux » avec façade tantôt sur le mur pignon, tantôt sur le mur gouttereau (sous la gouttière). Aux 17 et 18èmes siècles, l'habitat rural a été influencé par le modèle des « chartreuses » classiques et bourgeoises. Le volume des bâtiments a augmenté, de même que la dimension des ouvertures ; les façades sont devenues plus symétriques ; les toits à quatre eaux sont apparus...

La « maison girondine » est encore plus marquée par l'influence du modèle urbain et de « l'échoppe » bordelaise : un couloir central sépare les deux pièces principales, la salle commune et la chambre ; la façade est bâtie en pierres de taille.

Mais la diversité de l'habitat est aussi largement déterminée par la hiérarchie sociale : les chartreuses du 18e siècle sont de grandes maisons bourgeoises, sans étage. Les petits châteaux néoclassiques du 19e siècle ont, eux aussi, servi de modèle aux maisons plus modestes des vignerons promues au rang de « châteaux » pour les besoins de la publicité... Les maisons de maître sont généralement des maisons à un étage ; leurs toits à quatre eaux sont surmontés d'épis de faîtage verts en poterie ; le rang social du propriétaire est affirmé par le portail d'entrée en pierres de taille, les pilastres sculptés sur la façade qui a une ordonnance symétrique...

Au bas de la hiérarchie se situe la maison du salarié agricole non propriétaire (si ce n'est de son logis et du jardin attenant) ; cette maison de « bordier » est de dimensions modestes, la façade principale est en longueur avec une porte et deux fenêtres ; l'une éclairant la salle commune et l'autre la chambre. Le sol est carrelé mais le chai, à l'arrière du logis, a un sol en terre battue ; le toit à deux pentes descend très bas à l'arrière de la maison, il n'y a pas de comble... Le métayage, très développé dans les landes girondines a favorisé la survivance d'une architecture landaise en colombages et en torchis ; à la Belle Époque, les propriétaires enrichis par les cours élevés de la résine ont fait bâtir des maisons « bourgeoises » en pierre, dans les bourgs, abandonnant leurs vieux logis aux métayers...

Et bien sûr, les maisons varient aussi selon les « pays ». Ainsi dans le sud de la Gironde, les maisons du Bazadais et du pays de Buch avec leur auvent, l'estantad qui protège la façade, obéissent à la tradition landaise ; ce sont des maisons à cour ouverte dont les éléments, la bergerie, le poulailler, le four, etc., s'éparpillent sur un espace herbager : l'airial... Cette cour est ombragée de chênes et de quelques arbres fruitiers.

Le plan de la maison bloc à terre : au 18e siècle, la maison rurale la plus répandue est la maison bloc à terre dont tous les éléments principaux sont logés sous le même toit (le logis, la grange, le chai) et qui n'a pas de sous-sol mais, sous le toit, un grenier au-dessus de l'habitation. Le plan juxtapose la salle commune, la chambre, le hangar, le chai, l'étable qui ont leur ouverture en façade ; on entre directement dans la salle, il n'y a pas de couloir. Le cellier qu'on appelle le « chai » en Gironde (même s'il ne contient ni cuve ni pressoir) est souvent logé sous le pan arrière du toit, au nord ; même au cœur de l'été, il reste frais. La maison est exposée au sud ou au sud-est. Elle donne sur la cour, perpendiculaire à la route ; une murette la sépare du jardin.

Au 19e siècle, la masse des bâtiments augmente beaucoup ; le grenier est remplacé par un étage occupé par des chambres, la façade adopte le modèle des maisons bourgeoises : elle s'orne de pilastres ; sous le bord du toit, la génoise des siècles précédents est remplacée par une corniche à moulures et à denticules ; autre emprunt au modèle bourgeois, la porte d’entrée donne désormais accès à un vestibule par lequel on accède à la salle commune, à la chambre, au chai, à l’escalier pour monter à l’étage. Le toit à quatre eaux est souvent surmonté de deux épis de faitage… C’est la maison la plus représentée sur les étiquettes des bouteilles de bordeaux.

Les ouvertures : la porte d'entrée donnant accès à la salle commune, peut être de facture très simple. Elle utilise des bois durs et résistant à l'humidité (en Gironde, surtout le chêne). Les portes sont souvent composées de trois éléments : un vantail mobile fait de planches verticales protégées à la base par une plinthe. Ce vantail, muni d'une poignée métallique et d'une serrure, s'appuie sur un bâti fixe.

La porte est surmontée d'une imposte faite d'une rangée de trois ou quatre carreaux (elle n’est apparue qu’au 18e siècle, l’usage du verre étant jusqu’alors réservé aux maisons nobles et bourgeoises). Les impostes des maisons de maîtres des 18e et 19e siècles sont souvent en plein cintre et vitrées, décorées de moulures sculptées ; la clef de voûte porte parfois la date de la construction. Les linteaux placés au-dessus des portes sont souvent en bois ; traditionnellement, ils ne sont jamais en saillie mais au contraire légèrement en retrait de la maçonnerie qu'ils soutiennent pour éviter l'humidité.

Jusqu'au 16e siècle, les fenêtres, très étroites, beaucoup plus hautes que larges, ressemblent à des meurtrières. Elles sont closes par un seul volet (lorsqu'elles en ont un) placé en retrait de la surface du mur. La fenêtre ne devient d'un usage courant dans les campagnes girondines qu'au 18ème siècle ; elle est à double battant, munie de petits bois pour encadrer les vitres. Au 19e siècle, les progrès techniques ont permis des vitrages plus grands : chaque battant de fenêtre porte le plus souvent quatre carreaux ; l'ensemble de l'ouverture est deux fois plus haute que large. La largeur est limitée par le fait que le linteau est en pierre de taille ; il ne supporterait pas le poids du mur si on exagérait sa portée.

Des fenestrons, le plus souvent placés juste au-dessus des portes et des fenêtres, donnent du relief à la façade. Ces lucarnes destinées à aérer et éclairer un peu le grenier ont des formes diverses : le rectangle vertical domine au nord de la Dordogne, l'ovale horizontal en Entre-deux-Mers, le losange sans doute déterminé par une mode plus récente, au 19ème siècle, domine en Médoc... Mais on trouve d'autres formes moins fréquentes telles que le demi-cercle ou le triangle.

Les sols étaient en terre battue. À la fin du Moyen Age, seules les demeures nobles ou bourgeoises étaient pavées de dalles calcaires ou de petits pavements de pierre. La terre battue se trouve toujours dans les annexes de la maison, dans la grange ou le cellier, là où le béton n'est pas indispensable.

Au 18e siècle, les sols ont été recouverts de carreaux de Gironde en terre cuite disposés le plus souvent à joints interrompus, parfois en diagonale. Ils étaient posés sur une forme de mortier de chaux ou d'argile. Leur dimension n'a cessé de croître avec les siècles, les plus anciens ont une dizaine de centimètres de côté, les plus récents trente-trois. Ils tirent leur nom du village de Gironde-en-Réolais et sont toujours fabriqués à la main par les artisans de cette région, avec des moules en bois, réglables à la dimension voulue.

En Bordelais, les parquets de bois ont souvent été adoptés au 19e siècle comme une marque d'embourgeoisement, par exemple dans les échoppes urbaines : les planches de pin ou de châtaignier n'étaient pas bouvetées, simplement clouées sur les solives, les unes à côté des autres. Avec le temps, le bois se contractait. Entre les lames du grenier, un vide se formait et la poussière passait et salissait la pièce au-dessous.

D'autre part, l'isolement phonique et thermique était inexistant. C'est d'ailleurs pourquoi, dès le 17e siècle, dans les constructions bourgeoises, on a posé des plafonds en plâtre, tandis que les demeures plus modestes ont gardé leurs solives apparentes, posées sur une énorme poutre en chêne grossièrement équarrie. Ces plafonds anciens sont pleins de charme et de caractère, leur bois respire, il craint moins l'humidité et les insectes tels que les termites qui s'attaquent aux bois humides et non traités.

Victimes des mutations de l'agriculture, de l'abandon ou de restaurations mal inspirées, les vieux murs disparaissent très vite. L'essor du tourisme, les circulaires préfectorales développent le désir de conserver le caractère régional du patrimoine bâti.

Des associations comme Maisons Paysannes de France et les services publics compétents : Inventaire régional, Direction régionale de l'Environnement, Bâtiments de France, Musée d'Aquitaine, etc., s'efforcent d'éclairer le public. Des expositions thématiques sont réalisées, des fiches techniques publiées pour les artisans. Il ne s'agit pas de cultiver la nostalgie d'un « bon vieux temps » où la vie était plus en accord avec la nature.

Les maisons d'autrefois nous charment par la souplesse vivante de leurs lignes, l'harmonie de leurs proportions et parce qu'elles sont belles avec modestie, mais aussi parce qu'elles ont été construites pour durer.

Transmises de génération en génération, elles portent le souvenir émouvant des ancêtres et la marque de l'histoire des « pays » de Gironde. Elles sont une référence pour les architectes d'aujourd'hui, qui ont le souci de respecter l'identité régionale.

Michel-Maurice Cognie. Texte extrait de Gironde, Encyclopédie Bonneton, 2002, p.81-107.